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Renaud Duterme, auteur de Nos mythologies écologiques : « amener une vision sociale de l’écologie afin de briser le tabou de la remise en cause du mode de vie occidental »

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Parking au Japon © Yann Arthus-Bertand

Enseignant en géographie, Renaud Duterme propose avec Nos mythologies écologiques, un petit ouvrage publié en mars 2022 aux éditions Les Liens qui Libèrent, de s’attaquer à 25 idées reçues sur l’écologie. Son objectif remettre un peu de complexité face au simplisme de certains discours sur l’écologie et la préservation de l’environnement. Démographie, solutions, effondrement, causes des crises etc. il passe au crible des idées répandues afin de leur apporter de la nuance. Entretien avec Renaud Duterme.

Pourquoi revenir sur 25 idées reçues sur l’écologie en les qualifiant de mythologie ?

Depuis une quinzaine d’années, je m’intéresse aux questions d’écologie et je constate que des interrogations, souvent légitimes, reviennent régulièrement. Je remarque aussi que ces interrogations sont propagées par une série d’acteurs qui ont intérêt à détourner le regard vers des causes ou des solutions supposées, ce qui s’avère toxique car cela empêche de se poser les bonnes questions et de prendre le problème à la racine. On essaye ainsi de trouver des réponses simplistes à des problèmes complexes. J’aime bien l’idée de mythologie car ce sont des idées reçues qui ne sont pas totalement fausses, elles contiennent une part de vérité, elles ont toutefois besoin d’être déconstruites et nuancées pour sortir du simplisme.

« On essaye ainsi de trouver des réponses simplistes à des problèmes complexes. »

Un bref exemple ?

La démographie est souvent résumée à la question de savoir si : « nous ne sommes pas trop nombreux sur Terre ? » Or, cette question-là ne pose pas le problème dans les bons termes puisqu’il se trouve résumé à des valeurs numériques, voire réduit à des quantités, sans poser la question du modèle économique, des modes de vie, des choix de consommation et de production. La question de la population ne se pose pas de la même manière si on y intègre l’empreinte écologique de telle ou telle manière de vivre car on sait que la consommation des plus riches n’est pas généralisable sur le plan environnemental.

Est-ce que, au-delà du constat des crises environnementales qui fait consensus, ces mythologies font qu’il n’y a pas d’accord sur certains aspects du débat ni d’éléments de convergence sur ce que peuvent être les solutions ?

Il s’agit justement du problème. Ces mythologies évitent qu’on se pose les vraies questions. Elles créent des débats là où il ne devrait pas y en avoir. Notre système économique implique de produire toujours plus, alors même que nous savons qu’il faut produire moins. Cette contradiction, trop rarement mise en avant, est au cœur des soucis.

La question de la technologie se montre intéressante à cet égard-là, certains pensant que l’ingéniosité humaine fera que la technologie fournira des solutions aux problèmes environnementaux. Pourtant, les débats sur les questions technologiques sont complexes et clivants. Sans expertise préalable, on peut vite être perdu et se retrouver rapidement à court d’arguments alors qu’au final le débat ne porte pas sur la faisabilité ou non de telle ou telle technologie mais plutôt sur le contexte de sa mise en œuvre.

« L’importance des énergies fossiles dans le confort de nos modes de vie demeure sous-estimée. »

Par exemple, au sujet de la voiture électrique, le débat dessus porte sur le fait de savoir si elle pollue plus ou moins qu’une voiture thermique. C’est compliqué de s’y retrouver car il existe de nombreuses études contradictoires et cela aboutit à un débat relativement stérile. Cependant, il est possible de poser un autre regard et d’améliorer la qualité du débat. Quand bien même la voiture électrique serait moins polluante que la voiture thermique, est-il possible et souhaitable de la généraliser à l’ensemble de la planète en sachant qu’il y a un milliard de voitures ? Est-il possible de remplacer un milliard de voiture ? Poser la question sous cet angle-là conduit à des réponses différentes : en termes de ressources, ce n’est pas possible. Idem, ce n’est pas souhaitable en termes d’empreinte écologique puisque les trois quarts de l’empreinte d’un véhicule sont issus de sa conception. De plus, cela pose la question du recyclage des véhicules déjà existants et celle des délais dans lesquels le renouvellement s’effectue puisqu’il faudra des décennies, qu’on n’a pas, pour électrifier le parc automobile.

Au-delà des idées reçues, est-ce qu’il n’y a pas un tabou profond de la remise en cause du confort procuré par le mode de vie occidental moderne fondé sur les énergies fossiles bon marché ? Et que d’une certaine façon tendre vers plus d’écologie implique ce qui peut apparaître comme des renoncements sur ce qui semble la normalité pour des millions de personnes ?

Oui et non. L’importance des énergies fossiles dans le confort de nos modes de vie demeure sous-estimée. Ceci dit, il existe un amalgame sur le fait que les progrès socio-économiques de ces deux derniers siècles, notamment en termes de santé et de confort, reposent sur une consommation de masse et qu’ils ne pourraient subsister qu’en restant dans la consommation de masse. Je pense cependant qu’il faut dissocier les avancées sociaux économiques et la consommation. D’ailleurs, c’est un peu ce que dit la décroissance. Cela se montre conforme aux attentes des gens si on se réfère aux études d’opinions. Les personnes aspirent à des soins de qualité, à des emplois qui ont du sens, à des services publics de proximité, à des lieux de convivialité… bref toute une série de choses qui ne nécessitent pas nécessairement une gabegie d’énergie fossile.

« D’autres modèles écologiques et sociaux avec l’ambition d’améliorer le sort de la population. »

La société actuelle tend en effet à nous pousser à surconsommer et donc à surproduire en permanence. Résultat : on fait travailler les gens toujours plus dans des boulots vides de sens. Ce qui s’avère un moteur de frustration permanente puisqu’on observe que les gens ne sont pas plus heureux en consommant toujours plus. Le grand enjeu de l’écologie politique contemporaine est de proposer un autre imaginaire, d’autres modèles écologiques et sociaux avec l’ambition d’améliorer le sort de la population. Il faut montrer qu’il est possible d’améliorer la vie quotidienne et les conditions matérielles d’existence en diminuant l’empreinte écologique. Il faut amener une vision sociale de l’écologie afin de briser le tabou de la remise en cause du mode de vie occidental.

[À lire aussi  Est-il possible de concilier la lutte contre le réchauffement climatique et la santé ?]

Que pensez-vous du fait que le Giec pointe désormais les risques de « maladaptation » ?

La « maladaptation » est un mot gentil sur lequel personne n’est d’accord. J’ai du mal avec ces rapports, comme ceux du Giec, car, dans le même temps, ils sont de plus en plus alarmistes tout en étant de plus en plus prudents sur les solutions et leur mise en place. Ils ne proposent jamais de solutions en termes de système. De fait, ils se cantonnent à des bonnes intentions comme diminuer la consommation ou développer une agriculture de proximité. Ils ne font jamais le lien avec des politiques structurelles qui sont le cœur du problème. Par exemple, les accords de libre-échange mettent les agriculteurs de tous les continents en concurrence. Ils détruisent ainsi l’agriculture de proximité, pourtant prônée par ces rapports scientifiques, au profit des géants de l’agro-industrie en Europe, aux États-Unis ou au Brésil.

« Les gilets jaunes ont été vus comme un mouvement de ploucs qui adorent leurs voitures. Mais, en regardant de plus près leurs revendications, on s’aperçoit que c’était bien plus compliqué que cela. Ils parlent de redynamiser les campagnes, de recréer des services publics, des réseaux de transport en commun et des emplois de proximité. Bref, quoi que l’on en dise, des mesures écologistes. »

Il faudrait donc que les auteurs des rapports se posent la question des origines de cette « maladaptation ». Il ne faut pas non plus oublier que les scientifiques et leur démarche s’inscrivent au sein d’une société donnée. Ils devraient prendre parti. Il n’est plus nécessaire d’énoncer les faits ni de convaincre grand monde sur leur réalité.

Au final, pour assurer la transition écologique, faut-il avant tout déconstruire et combattre les idées préconçues ?

La bataille des idées constitue déjà un préalable, mais il faut être présent sur tous les fronts en particulier ceux de l’éducation et des luttes.  Les grands progrès dans l’Histoire résultent de luttes collectives comme les combats syndicaux, la sécurité sociale, l’égalité entre les femmes et les hommes. L’écologie n’échappera pas à la règle, elle aura besoin d’outils au service de ces luttes pour convaincre le plus grand nombre.

[À lire aussi Gilles Bœuf défend l’idée que l’écologie soit une matière à l’école : « comprendre qu’il faut s’occuper de l’environnement est aussi important que d’apprendre le français ou à compter » ]

Dans la conclusion de Nos mythologies écologiques, vous pointez aussi le risque de ras le bol et d’intellectualisation de l’écologie comme des freins à l’ancrage de l’écologie, pouvez-vous revenir là-dessus ?

J’ai l’impression que l’écologie dominante est déconnectée des réalités que vivent les classes populaires. Cette écologie théorise beaucoup, elle reste cependant cloisonnée aux cénacles universitaires et politiques sans parvenir à toucher les catégories populaires. Les résultats électoraux des partis verts en France ou en Belgique constituent de bons indicateurs. Cela devrait susciter une remise en question pour aller vers une écologique plus pragmatique et populaire c’est-à-dire en s’inspirant des classes populaires et de leur vécu. Et, de façon ironique, ces classes populaires, parce que moins riches et plus simples, possèdent souvent une empreinte écologique moins élevée que la moyenne. L’écologie peut s’inspirer de ces modes de vie plus simples, plus frugaux et de leurs combats. Les gilets jaunes ont été vus comme un mouvement de ploucs qui adorent leurs voitures. Mais, en regardant de plus près leurs revendications, on s’aperçoit que c’était bien plus compliqué que cela. Ils parlent de redynamiser les campagnes, de recréer des services publics, des réseaux de transport en commun et des emplois de proximité. Bref, quoi que l’on en dise, des mesures écologistes. L’écologie dominante ne l’a pas vu, c’est pour cela qu’elle doit revenir à une écologie de terrain, proche des préoccupations des gens. 

Propos recueillis par Julien Leprovost

Pour aller plus loin : l’ouvrage Nos mythologies écologiques, déconstruire les idées reçues sur le changement climatique par Renaud Duterme, éditions Les Liens qui Libèrent, 144 pages

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3 commentaires

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    • Balendard

    indépendamment des gaz brûlés qui polluent l’atmosphère l’opinion de Mr Duterme selon laquelle les trois quarts de l’empreinte écologique d’un véhicule sont issus de sa conception n’engage que lui. Ceci dans la mesure où une petite voiture diesel ayant une durée de vie de 20 ans et qui consomme 5 litres au 100 en parcourant annuellement 20 000 km brûle environ 20 tonnes de carburant dans son existence soit grosso modo 10 fois son poids

    • Balendard

    indépendamment des gaz brûlés qui polluent l’atmosphère, l’opinion de Mr Duterme selon laquelle les trois quarts de l’empreinte écologique d’un véhicule sont issus de sa conception n’engage que lui. 
    Ceci dans la mesure où une petite voiture diesel ayant une durée de vie de 20 ans et qui consomme 5 litres au 100 en parcourant annuellement 20 000 km brûle environ 20 tonnes de carburant dans son existence soit grosso modo 10 fois son poids

    • Claude Courty

    Qui finira par aborder franchement la dimension démographique du problème?
    Ici et maintenant, parce qu’il doit impérativement ne serait-ce que se nourrir, se vêtir, se loger et se soigner, l’être humain plus que tout autre est un consommateur. Et il l’est depuis sa conception jusqu’après sa mort, se doublant d’un producteur dès qu’il est en âge de travailler (comme en atteste la prospérité des marchés du prénatal et du funéraire). Il est ainsi, avant toute autre opinion ou considération, un agent économique au service de la société, mais aux dépens de son environnement sous toutes ses formes. Et plus le nombre de ces agents augmente, plus leurs besoins s’accroissent – outre ceux qu’ils s’inventent toujours plus nombreux –, plus ils produisent, consomment, échangent et s’enrichissent, avec l’aide du progrès scientifique et technique, quelles que soient les conditions du partage de leurs richesses.
    Qu’il s’agisse de ressources non renouvelables, de déchets ou de pollution, le saccage de la planète Terre augmentent d’autant et s’ajoute aux caprices d’une nature jamais avare de catastrophes inopinées ou cycliques.
    Tous les malheurs du monde, que l’homme a la capacité de maîtriser par sa démographie en découlent, ce qui implique une dénatalité expliquée et consentie.