Le psychiatre Dirk de Wachter, auteur de L’art d’être malheureux : « une vie écologique ne rend pas malheureux »


Balles de coton, Thonakaha, région de Korhogo, Côte d'Ivoire (9°28' N - 5°36' W).

Dans son dernier livre, « L’art d’être malheureux », paru le 25 mars, Dirk de Wachter développe une réflexion sur notre rapport au malheur et l’importance de celui-ci dans une société dominée par l’impératif du « bonheur à tout prix ». Le psychiatre, psychothérapeute et chef du service de thérapie systémique et familiale du Centre psychiatrique universitaire de l’Université catholique de Louvain, en Belgique, prône une vie sobre, dénuée de surconsommation, recentrée autour du vivre ensemble et de l’amour de l’autre, qui serait la clé du bonheur de chacun. Dans cet entretien, Dirk de Wachter revient sur les liens entre la psychologie humaine et les problématiques environnementales.

L’art d’être malheureux dénonce le caractère factice de certaines formes de bonheur. Les réseaux sociaux relaient sans cesse beaucoup d’injonctions au bonheur à tout prix. N’est-ce pas étouffant ?

Absolument, c’est ma théorie. Il faut se libérer de cette obsession d’être absolument heureux. Il faut accepter que tout ne soit pas parfait. Être ensemble même dans les périodes de malheur rend beaucoup plus heureux que l’obsession de se réaliser soi-même comme un être exceptionnel. Les réseaux sociaux reflètent un bonheur de consommateur. Des voitures, maisons, voyages… cela apparait très vide. Ce dernier est un des symptômes le plus important du mal-être de la société occidentale. Le bonheur matériel ne marche plus après quelques temps.

Cette réflexion sur la matérialité n’est pas révolutionnaire, pourtant elle prend une part accrue dans notre société. Toute cette consommation extrême se montre impossible non seulement d’un point de vue psychologique, parce qu’elle nous oriente vers une vie sans sens, mais aussi d’un point de vue écologique. Donc, bonne nouvelle : une vie écologique ne rend pas malheureux. Une génération de jeunes gens le réalise de plus en plus, je suis optimiste pour l’avenir.

[A lire aussi l’entretien avec le philosophe Patrick Viveret sur l’empreinte écologique et l’empreinte égotique]

Dans votre livre, vous faites des liens avec la crise climatique, et évoquez aussi la culpabilité écologique qui pèse sur beaucoup de personnes, liée par exemple au transport en avion, à la consommation de certains produits… Pourtant, vous invitez les gens à accepter cette culpabilité. Pour quelles raisons ?

Tout est parti d’un texte d’un journaliste qui écrivait se sentir coupable, car il avait l’impression de ne « plus pouvoir rien faire » sans conséquences environnementales. Or, je dis qu’il faut accepter cette culpabilité, car elle aide à prendre conscience du monde qui nous entoure. En effet, une vie presque fantastique, faite de voyages partout dans le monde n’a pas tellement de sens. C’est pourquoi, j’incite à mener une vie un peu plus sobre. Nous pouvons être plus heureux dans notre propre jardin, même si l’idée peut paraître un peu saugrenue.

[À lire, Emmanuel Cappellin, réalisateur du documentaire Une fois que tu sais : « comment limiter collectivement ce qu’on ne sait plus s’interdire soi-même ? »]

Est-ce que ce fardeau lié au changement climatique peut nous guider vers une nouvelle forme de bonheur ?

Oui, car paradoxalement chercher le bonheur dans des impulsions, dans une consommation sans fin et dans des moments hors normes sans cesse répétés s’avère en fait une invitation à devenir malheureux. Le lien avec l’écologie devient alors évident puisque le vrai bonheur se trouve dans les liens avec les autres, dans l’amour, dans la sobriété et les choses simples plutôt que dans une consommation effrénée.

Justement, vous parlez du besoin d’être avec les autres et par extension de la solitude. La France est entrée dans son troisième confinement et donc d’isolement. Qu’en pensez-vous ?

On sent très bien aujourd’hui qu’être proche avec les autres est extrêmement important, et j’espère bien qu’on ne va pas l’oublier quand tout sera fini. La solitude est un des grands problèmes des grandes villes de l’Occident : beaucoup de personnes sont seules. Elles n’ont pas d’amis avec lesquels elles peuvent parler de leurs problèmes… ou alors n’ont que des contacts via Facebook, Instagram, où sont affichées des photos de fêtes, de vacances, de toute sorte de grands plaisirs… Bref, des images de moments parfaits bien loin de la réalité du quotidien et de ses tracas.
Pourtant, une partie de la vie sociale se construit autour des contrariétés, des petits malheurs, des chagrins… partager ces expériences permet de se lier avec l’autre.

Cependant, il est possible de valoriser le temps passé seul, à se recentrer sur soi. Qu’en dites-vous ?

Je pense qu’il faut tout de même nuancer. Je constate que les gens qui me consultent sont souvent très isolés. L’homme est un animal social qui se réalise toujours à plusieurs. Même si prendre du temps pour soi peut être une nécessité de temps en temps, les relations restent au cœur de la vie humaine.

Quelles peuvent être les répercussions de l’isolement général ? Va-t-il entraîner une hausse des consultations psychologiques ?

Beaucoup d’études scientifiques montrent en effet que cette période de confinement va donner, à nous autres les psychiatres, beaucoup de travail. Il y a une hausse des dépressions et d’autres troubles psychiatriques. Toutefois, cela prend du temps : c’est après des semaines, des mois, voire des années qu’ils se manifestent. C’est ce que Michel Houellebecq appelle « les particules élémentaires ». Or, il faut que tout le monde soit un peu psychiatre et écoute sa famille, ses amis, ses voisins… Il convient de ne pas laisser ce travail seulement aux professionnels.

[A voir, un message de sagesse de Matthieu Ricard]

Enfin, avez-vous un conseil à donner pour gérer notre rapport au malheur ?

Notre société semble parfois superficielle et dénuée de sens à cause de la consommation extrême et de la recherche perpétuelle de plaisirs. Ces deux facteurs participent au sentiment de futilité et d’isolement. Pourtant, quand on parle d’un côté et qu’on écoute de l’autre, des liens très riches se créent. C’est pourquoi je recommande à chacun de trouver une personne avec qui discuter de ses préoccupations et d’en parler. Ces moments, importants voire gratifiants, donnent, à juste titre, l’impression de faire quelque chose de vrai dans la vie.

Propos recueillis par Louise Thiers

L’Art d’être malheureux, Dirk de Wachter, 144 pages, 14€90. Éditions de la Martinière

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Un commentaire

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    • Guy J.J.P. Lafond

    Bravo!
    Et j’ai très hâte de recommencer à jouer dehors avec ma fille à Ottawa. Et vous?

    « Tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » – Blaise Pascal.
    Je suis demeuré au repos dans ma chambre assez longtemps maintenant. Des actions musclées sont maintenant requises pour un développement plus propre et plus durable pour les enfants et pour nous tous s’il vous plaît!

    Autre ouvrage récent pour nous aider à mieux comprendre la biologie de l’être humain:
    « Des âmes et des saisons », de Boris Cyrulnik, Éd. Odile Jacob,.2021.

    @GuyLafond @FamilleLafond
    À la course ou en vélo, et très préférablement dans un lavabo d’air frais, svp!