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Hadrien Klent, auteur de Paresse pour tous : « limiter le temps de travail offre à tout le monde l’opportunité d’arrêter d’être dans une course effrénée au temps et à la consommation »

paresse pour tous

Région Korhogo - Village de Thonakaha : ballots de coton © Yann Arthus-Bertrand

Le roman Paresse pour tous d’Hadrien Klent (pseudonyme) sort le 6 mai. L’auteur imagine la candidature à l’élection présidentielle d’Emilien Long, prix Nobel d’économie ayant travaillé sur le temps de travail. Sa mesure phase : la réduction du temps de travail à 3 heures par jour. Se présentant comme le candidat de la paresse, Emilien Long défend aussi une autre vision du monde basée sur la remise en cause du productivisme et de ses effets néfastes sur la santé, sur l’individu, sur la société et sur l’environnement. Ce droit à la paresse (qu’il ne faut pas résumer hâtivement à la « glande ») ne signifie pas pour autant la fin du travail, mais plutôt une autre manière d’envisager nos activités et le temps.  Cet entretien avec d’Hadrien Klent, l’écrivain derrière Paresse pour tous, est l’occasion de revenir sur la place du travail dans la vie, l’utopie et le rapport au temps à notre époque.

Vous imaginez un candidat à l’élection présidentielle qui fonde son programme sur la journée de travail limitée à 3 heures. En quoi une telle mesure aurait des impacts positifs pour l’environnement ?

Le candidat Emilien Long explique bien dans le roman que réduire le temps de travail aura de nombreux impacts positifs, y compris sur l’environnement, en arrêtant de surexploiter la force de travail des gens et donc la planète. Limiter le temps de travail offre à tout le monde l’opportunité d’arrêter d’être dans une course effrénée au temps et à la consommation qui épuise les ressources de la planète accroit la pollution. En vérité, en arrêtant de travailler, on polluera moins.

Comment cela pourrait se traduire concrètement dans la vie quotidienne ?

Par exemple, une personne va travailler en voiture car elle est pressée pour accomplir une journée de 8 ou 9 heures. Si elle ne travaillait que 3 heures, cette personne serait moins pressée et pourrait se rendre à son travail en bicyclette. Elle serait moins speed et pourrait aller plus lentement.

Le livre revient aussi sur le temps libre dégagé pour l’autoproduction. Si les gens possèdent un petit lopin de terre ou ont accès à un jardin partagé, ils peuvent produire une partie de leurs légumes plutôt que de les faire venir des serres et des usines de l’agroalimentaire.

[Lire notre entretien avec Gilles Vernet, le financier devenu instituteur, questionne la prépondérance de l’argent dans nos vies dans son dernier livre Tout l’or du monde : « plus on consacrera de temps à l’argent, moins on disposera de temps pour ce qui est essentiel »]

Travaillons-nous vraiment trop ?

La question, et elle renvoie à la thématique des bullshit jobs, n’est pas de savoir si on travaille trop, mais si c’est vraiment utile de travailler autant ? Il faut regarder en face cette problématique. Est-ce que l’accumulation et l’accélération de ce que nous faisons a vraiment un sens ?

Par exemple, dans les médias et le journalisme, il y a une boursouflure dans le langage, dans les dépêches et dans les sites Internet, encore accentuée par les réseaux sociaux. Mais, en réalité, qu’apportons-nous réellement avec ces pensées éphémères et ces dépêches aussitôt oubliées ?

Avons-nous vraiment besoin d’accumuler tous ces biens ou ces services ? Dans le roman, Emilien Long écrit un essai dans lequel, à un moment, il se demande pourquoi avons-nous autant d’écrans chez nous ?  Du smartphone à la télévision, en passant par la tablette et le PC portable, pourquoi avons-nous besoin de les accumuler ?

[Lire notre entretien Alain Damasio : « aujourd’hui, on est dans l’orgie numérique »]

Mais, au-delà de ces interrogations sur le sens porté au travail ?

Toute la thématique du livre consiste à se demander si on ne peut simplement faire une pause afin de s’interroger sur les besoins réels. Il faut arriver à les distinguer des besoins artificiels créés par une machine devenue folle à laquelle nous participons tous.

Collectivement, nous pourrions freiner cette frénésie de travail et d’activités. Est-ce pertinent de vouloir, sans cesse toujours plus, plus de choses à produire, plus de choses à consommer, plus de choses à manger, à voir ou à lire ?  Ne passons-nous pas à coté de choses cruciales dans nos existences ?

 [Sur les bullshit jobs, lire notre entretien avec David Graeber Crise du Covid-19, David Graeber, père des « bullshit jobs » questionne le sens du travail : « personne n’a envie de revenir au monde d’avant »]

Pensez-vous que de telles idées décroissantes peuvent se retrouver dans les programmes de la prochaine élection présidentielle et séduire ?

Je ne suis pas certain que le sujet sera dans la campagne présidentielle de 2022, par contre, je suis certain qu’il devrait y être. Il est certes encore un peu tôt puisque nous ne sommes pas encore rentrés dans la campagne électorale.

J’aimerais bien que quelqu’un surgisse de nulle part et articule en effet tout son programme sur une idée décroissante. C’est ce que raconte le livre, mais je ne pense pas que ce soit au centre du débat. Je m’en désole et je pense que c’est le cas d’un bon nombre de nos concitoyens. Ils observent un désintérêt des partis politiques plus préoccupés par leur « cuisine électorale » que par les idées.

On a l’impression que ces voix porteuses d’idées nouvelles ont vocation à rester minoritaires. On a parfois l’impression d’être resté dans les années 1970, quand René Dumont devient le premier candidat écologiste à se présente à la présidentielle. Il était considéré comme un candidat farfelu parce qu’il disait qu’il fallait réduire la place de la bagnole, produire moins et cesser d’accumuler des objets. Il est néanmoins troublant de constater qu’aujourd’hui ce discours dispose d’une base scientifique. Les sciences ont bien montré que nous sommes allés trop loin dans la pollution et le gaspillage des ressources et qu’il est temps de faire pause. Malgré tout, le discours politique n’a pas l’air de vouloir se saisir à bras le corps du problème. Ça reste à la marge. Des gens vont s’en désespérer. Avec le roman Paresse pour tous, j’essaye d’imaginer un avenir plus radieux où une partie de la population peut se saisir d’une proposition qui sort du champ politique traditionnel. L’idée des 3 heures de travail par jour est juste la clef de départ d’une transformation plus profonde de la société et des modes de vie.

Ce roman utopiste s’inscrit-il dans la tendance des « nouveaux récits » ? Ceux-ci doivent porter les germes d’un monde différent qu’appellent les défenseurs de l’environnement, comme le réalisateur et militant écologiste Cyril Dion, qui insiste sur la nécessité de faire émerger de nouveaux imaginaires ?

Paresse pour tous est entre l’utopique féroce et ce qui est possible. Je ne me vois pas comme un militant, cependant, en tant qu’auteur, j’ouvre un espace dans l’imaginaire. Ce roman est une utopie réaliste. Même si l’élan citoyen autour de l’idée de la journée de travail de 3 heures reste fictionnel, j’ai essayé de faire une œuvre qui tienne la route en étant argumentée. Elle donne au lecteur le sentiment que cette utopie s’avère possible.

Comment avez-vous ancré l’utopie portée par le récit dans le réel ?

Le récit démarre durant le Covid-19 avec le premier confinement et va jusqu’à l’élection de 2022. En matière de politique fiction, Il est important de ne pas faire comme si de rien n’était. Il y a actuellement une double injonction contradictoire. D’un côté, il faut être réaliste : lutter contre le chômage, ne pas faire des lois trop punitives écologiquement parlant. De l’autre, on nous dit que le monde est à deux doigts de s’effondrer. Ces deux lignes ne sont pas cohérentes et si le monde est vraiment sur le point de s’écrouler, alors il faut peut-être plutôt vraiment rebattre les cartes. Ce roman veut montrer que si tel est le cas, réduire le temps de travail est une carte à jouer qui permet de croire en un avenir commun tout en changeant ce qui fonde la société. Il y a énormément de choses très radicales, comme réduire l’écart des salaires de 1 à 4, mais qui sont pourtant simples à mettre en œuvre.

Enfin, choisir comme protagoniste principal du livre, Emilien Long, un économiste reconnu par un prix Nobel qui entre dans le champ politique, est-ce une manière de dire qu’actuellement les décisions politiques ne se prennent pas forcément en fonction des connaissances scientifiques, par exemple sur le climat et la santé, et de leurs implications ?

Sur le climat, la biodiversité l’environnement, les scientifiques nous disent bien que les choses vont mal. Mais, les décideurs ne voient pas l’urgence. Pour eux, la priorité reste la croissance pour réduire le chômage. Il y a donc urgence à faire irruption en politique afin de ne pas laisser la politique, qui est une affaire trop sérieuse, aux politiques, pour paraphraser Clémenceau.

Il est important de reconnecter la politique et la science. Après, attention, en économie, de nombreux scientifiques, notamment parmi les prix Nobel de la discipline, portent un discours orienté idéologiquement vers le libéralisme.

L’intérêt du personnage d’Emilien Long est donc de montrer un scientifique qui s’engage comme citoyen. Il va utiliser son savoir pour appuyer son engagement. Après, il est très rare que des prix Nobel d’économie soient dans un discours politique décroissant, mais j’en avais besoin pour l’histoire. Cela permet à Emilien Long d’arriver avec une crédibilité : il a travaillé sur la question du temps de travail et développé un modèle économétrique démontrant que malgré une hausse de la productivité, le temps de travail n’a plus diminué à partir d’un certain temps.

Propos recueillis par Julien Leprovost

Paresse pour tous, d’Hadrien Klent, éditons le tripod, 360 pages, 19 euros

 

A voir, extrait du documentaire d’Arte sur le travail dans lequel un think-tank britannique Autonomy avance en 2019 l’idée de réduire le temps de travail pour réduire les émissions de gaz à effet de serre

 

 

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7 commentaires

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    • Riquiqui

    Super interview! Merci Julien pour ce partage.
    Ce livre est simple et agréable à lire. En tant qu’étranger, j’ai découvert les démarches de l’élection présidentielle en France et j’ai apprécié l’idée de travailler 3 heures par jour, ça fait rêver! Vive Emilien Long! Vive Paresse pour tous! 🙂

    • michel CERF

    Pourquoi pas 3 heures par semaine ou par an , soyons un peu sérieux !

    • Claude Courty

    Non pas paresse pour tous, mais liberté pour chacun de choisir entre satisfaire son ambition en travaillant pour produire, ou limiter son sort à celui de consommateur.
    Choix offert par un revenu universel minimum et inconditionnel

    • Yves Lanceau

    Je reprends et j’adhère à la remarque de Claude Courty ci-dessous. En effet, cette idée de revenu minimum qui pourrait être acquis avec 3 h de travail/jour serait une très bonne chose. Ensuite libre à chacun de travailler plus s’il le souhaite, mais avec le respect de l’environnement, et l’arrêt de cette course à la consommation à laquelle nous sommes tous « soumis » actuellement.

    • Jean Grossmann

    Il faudra bien éviter le toujours plus
    On a déjà commencé à le faire avec la semaine de 40 heures il faudra bien un jour ou l’autre continuer dans le même sens

    Ceci toutefois seulement lorsque nous aurons modifié nos chaînes énergétiques actuelles

    http://www.infoenergie.eu/riv+ener/Toujours+.htm

    • Guy J.J.P. Lafond

    Intéressant, pénétrant et lumineux! Merci.
    Si on décide d’imposer très bientôt la semaine de 15 heures, il faudra bien s’assurer de couvrir toutes les fuites possibles.
    Exemple 1:
    S’assurer que les gens ne paressent pas trop dans leurs bains mais qu’ils se gardent en forme. En effet, le citoyen doit retrouver le goût de jardiner et de créer sainement en plein air. Il doit se faire à l’idée de passer moins de temps sur sa console de jeux vidéo ou bien sur smartphone ou bien sur son ordinateur. Il nous faudrait donc former plus d’entraîneurs, de jardiniers, de guides et peut-être former moins d’informaticiens, de médecins , de psychiatres et d’avocats. @;-)
    Exemple 2:
    Revoir les critères d’embauche des professeurs dans les universités à travers le monde car pour de plus en plus de nos jeunes, le besoin de consommer serait probablement surclassé très rapidement par les besoins d’écrire, de dessiner, de pédaler, de philosopher ou même de faire de la création artistique. Identifier donc des intellectuels qui pourront assurer une transition en douceur. Recruter des contemporains qui aiment débattre respectueusement sur l’environnement et sur le climat avec de jeunes universitaires enfin prêts à réaliser des utopies à porter de main.
    Exemple 3:

    @GuyLafond @FamilleLafond
    À nos vélos, à nos espadrilles de course, à nos équipements de plein air! Le paradis terrestre est à portée de main.
    @:-)

    • Patrice DESCLAUD

    Certes, on ne peut qu’être d’accord. Mais on entend déjà les « investisseurs » dire mais il faut rémunérer les actionnaires, de la croissance, produire, nourrir la planète, … il nous faut des travailleurs, des esclaves sinon trop d’oisiveté va faire réfléchir à la révolution … etc. C’est quoi le bonheur : respecter la planète, consommer à minima, être tous égaux, gagner tous la même chose, n’avoir que des services publics égalitaires, tous accès au bien être idéal, se soigner tous gratuitement, … etc.
    On commence par quoi ? Un élu ou politicien, ça produit quoi, c’est motivé par quoi ?
    Oui je fais de la provocation, mais ne croit pas qu’il soit de l’intérêt de tous que viser une forme de bien être pour tous. Pourquoi avons nous encore des guerre, des gens qui meurent de faim, d’autres qui s’entre-tuent pour des religions ? Du rêve à de tels objectif il y a encore de la route à faire. On ne sait déjà pas respecter la planète …