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L’essor du marché de l’occasion se confronte au paradoxe d’être à la fois un moyen de contribuer à la sobriété et au contraire de pousser à la surconsommation

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Des badauds se promènent au milieu des étals d'une brocante, le 15 septembre 2002 place de la Bourse à Paris. © AFP PHOTO JEAN-PIERRE MULLER

Existe-t-il un paradoxe lié au développement de l’achat d’occasion ? C’est l’une des questions que soulève une récente étude conjointe de l’ADEME (l’agence pour la transition écologique), du CREDOC (Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie) et de l’Université Paris-Dauphine intitulée « Objets d’occasion : surconsommation ou sobriété ? », publiée en janvier 2023. En effet, alors que le rôle de l’achat de seconde main sur le marché de l’occasion est reconnu comme étant un facteur déterminant dans le cadre d’une économie de sobriété, puisqu’il permet de donner une nouvelle vie aux objets et de limiter ainsi la fabrication de biens neufs, l’ADEME reconnaît que « cette pratique d’achat est paradoxalement associée, et dans presque 50 % des cas, à une surconsommation liée à l’accumulation ou au renouvellement rapide des biens d’occasion achetés moins chers et dorénavant plus facilement revendables. »

L’occasion rentre dans les mœurs et les habitudes

« Il y a un enjeu à faire progresser la part d’achats d’occasion et pas consommer davantage parce que c’est de l’occasion », affirme Marianne Bloquel, ingénieure sobriété à l’ADEME. Elle commente les résultats de l’étude : « il faut sortir d’une approche binaire, bien ou pas bien, sur la seconde main pour voir que la consommation d’occasion prend sa place dans la consommation au sens large. C’est donc plutôt notre rapport global à la consommation qu’il convient d’interroger. »

Avant d’entrer plus dans les détails, il faut garder en tête que les modes de consommation des Français dépendent à la fois de leurs revenus, de leurs convictions et habitudes. L’achat d’occasion progresse en France. Désormais près d’un Français sur deux le fait. La proportion des Français qui achètent d’occasion est passée de 25 % en 2009 à 48 % en 2018.

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De plus, cette démarche s’inscrit dans le cadre des valeurs d’une population plus soucieuse de l’environnement, de la prolongation de la durée de vie des objets et du pouvoir d’achat. Dans ce contexte, acquérir d’occasion est plutôt bien perçu par les Français, témoignant de l’évolution des mentalités. Selon l’ADEME, « si l’achat du neuf est pour l’instant perçu comme une norme d’achat pour 75 % des Français, plus de la moitié des Français (54 %) considèrent aussi que l’achat d’occasion s’inscrit dans la norme“ ». La pratique est donc vue positivement. Pour 8 Français sur 10, l’achat d’occasion est une source de fierté. 9 sur 10 pensent même que c’est bénéfique pour l’environnement. Néanmoins, la réalité se révèle un peu plus nuancée et compliquée car cela dépend avant tout de la manière dont on consomme.

Quand acheter d’occasion permet de consommer davantage

L’étude de l’ADEME a établi une typologie des consommateurs français, les catégorisant entre 4 grandes familles en fonction de leurs comportements. Ses résultats ont été obtenus grâce à un sondage mené en ligne en février 2022 auprès de 1500 répondants de plus de 18 ans, d’une dizaine d’entretiens sociologiques et d’une analyse de la littérature scientifique.

L’étude « Objets d’occasion : surconsommation ou sobriété ? » montre l’existence d’un groupe de consommateurs majoritaires (45,3 % des sondés) dans la population, qui se caractérise par le fait d’acheter « beaucoup, du neuf, de l’occasion, ça dépend des besoins ». La moyenne d’âge de ce groupe est de 43 ans avec une proportion de cadre élevée (13 %). C’est dans la typologie de l’ADEME le groupe qui dispose du plus fort pouvoir d’achat. Ses membres se déclarent aussi assez sensibles aux enjeux environnementaux.

« Il s’agit de consommateurs jeunes à fort capital culturel et économique avec une tendance prononcée à consommer des objets, autant neufs que d’occasion. Ce sont les grands consommateurs d’objets neufs et d’occasion à fort pouvoir d’achat », explique l’ADEME. Marianne Bloquel de l’ADEME complète : « les gens voient aussi l’intérêt environnemental de l’occasion, mais ce groupe correspond à une population qui reste toujours prise dans la société de consommation. ».

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Pour eux, acheter d’occasion est à la fois un effet d’aubaine (c’est-à-dire acheter moins cher) et génère un effet rebond (en payant moins cher, on consomme plus ou on peut épargner). Ainsi, ces personnes ont « une forte consommation d’objets neufs et d’occasion. » Les conclusions du rapport notent que l’achat d’occasion s’avère pour elles un moyen de « consommer pour faire des économies et acheter davantage, acheter davantage de choses mais aussi davantage de loisirs. ».

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De fait, ces pratiques de consommation conduisent à se demander si dans ce cas-là, et dans le cadre d’une société tournée vers plus de sobriété, la seconde-main ne participe pas à une surconsommation, plutôt que de participer à sa réduction. C’est pourquoi, le rapport préconise : « pour ce groupe […] de communiquer sur l’occasion afin qu’il poursuive la substitution objets neufs/d’occasion ».

Et quand l’occasion participe à la sobriété

L’étude met en lumière l’existence de 3 autres profils de consommateurs. Dont un, dit des « consommateurs de neuf », est doté d’un bon pouvoir d’achat. Ils représentent un peu plus du tiers de la population (34,8 %) et consomment faiblement des produits d’occasion. Ils se déclarent peu sensibles à l’environnement et estiment qu’acheter neuf leur procure plus de plaisir. Parvenir à les convertir à aller vers cette pratique pour substituer une partie de leurs achats neufs serait bénéfique pour l’environnement. Ce sont des cinquantenaires sensibles aux influences. Et, le rapport apporte un début de réponse à la question : « comment les convertir à moins consommer des objets neufs voire à moins consommer ? Il apparaît dans les entretiens que la socialisation inversée est assez efficace« , les enfants (souvent adolescents voire jeunes adultes) entraînant leurs parents à une consommation d’objets d’occasion voire à une consommation plus éthique, méconnue de cette cible. »

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Marianne Bloquel de l’ADEME approfondit la réflexion par une interrogation : « il faut se questionner : est-ce que tous mes besoins sont satisfaits par mes achats ? Ne puis-je pas trouver d’autres manières de satisfaire mes besoins qu’en achetant du neuf ? ». Puis, elle poursuit : « l’exemple type qu’on donne pour expliquer la sobriété est celui d’une contrariété, par exemple une journée de travail désagréable. Si on regarde la publicité ou la presse féminisme, il faut aller faire du shopping et acheter une robe pour se remonter le moral. On sait que l’acquisition donne l’impression d’être en contrôle, ce qui apporte au cerveau un shoot de dopamine. Pourtant, peut-être que d’autres options alternatives pour se réconforter existent comme aller se promener, boire un café ou discuter avec ami… Cet exemple est une manière de dire qu’il faut sortir de la fatalité de la facilité de la consommation. Il faut retrouver de la liberté, se dire qu’ un besoin n’implique pas nécessairement une acquisition ».

Des consommateurs sobres, ça existe ! mais ils sont encore minoritaires

Dans la lignée de ce constat, les conclusions de l’étude soulignent à propos d’un groupe de consommateurs qui se définit par le fait d’éviter d’acquérir du neuf que « communiquer sur les objets d’occasion permet à ce groupe de renforcer leur norme de consommation ». Ce groupe, minoritaire (7,6 %) voit les femmes surreprésentées en son sein. Ce profil-type dispose également de moins de revenus. Ces personnes adhèrent moins au matérialisme, sont plus enclines à réparer, donner, bricoler, prêter ou échanger. Elles manifestent aussi une forte préoccupation pour l’environnement. L’ADEME les qualifie ainsi « “alternatifs à moindre pouvoir d’achat et fort capital Faire“ ». Elles incarnent dans leurs pratiques ce que devrait être un individu dans une société de sobriété en privilégiant notamment l’usage à la possession.

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Pour la dernière famille de consommateurs étudiée (12,3 % du total), « l’occasion est “l’achat plaisir“ pour faire du shopping et le neuf représente une assurance d’avoir un produit plus solide et qui dure longtemps. » On trouve dans ce groupe, qui de manière générale achète peu, des personnes âgées. Elles sont appelées « silver sobres ». Elles sont sobres soit parce qu’elles n’ont jamais eu l’habitude de trop consommer soit parce qu’elles possèdent déjà beaucoup de choses. Néanmoins, le rapport met en lumière la question du devenir des objets accumulés au cours d’une existence au moment de la fin de vie, ce qui « pose une vraie problématique sociétale. […] Il serait ainsi pertinent pour ce groupe de communiquer sur les options pour faire le tri des objets de son vivant que ce soit les home organisers, des ateliers et/ou opérations de sensibilisation dans les recycleries, lieux de distribution intéressés par le don d’objets ou encore toutes associations solidaires. »

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Comme le conclut l’ADEME, « en résumé, il y a un enjeu à faire progresser la part d’achats d’occasion dans les habitudes… tout en évitant la surconsommation. » Cela passe donc par des changements dans les normes et les valeurs de la société pour qu’elles intègrent la sobriété. Le sujet relève à la fois de l’intime, de l’individuel et du collectif. Ce qui implique une réflexion sur le rôle de la publicité, des réseaux sociaux, des médias et de la fiction ainsi que sur les critères qui définissent une vie réussie en y intégrant la contrainte écologique des limites planétaires. Il en résulte une vaste question de justice sociale tant pour les générations actuelles que futures, qui mérite un vrai débat portant à la fois sur les inégalités et la durabilité de nos modes de vie.

Julien Leprovost

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