Christophe André, psychiatre : « c’est la première fois que l’humanité a une conscience aussi claire de sa dépendance à l’environnement et de sa responsabilité »

Christophe André éco-anxiété

Christophe André © Marion Lamure

Le psychiatre et psychothérapeute Christophe André a consacré de nombreux ouvrages au bonheur. Il est l’un des premiers médecins à proposer des séances de méditation laïque à ses patients. À une époque où l’impact des crises environnementales sur la santé mentale émerge comme problématique de santé, Christophe André tente d’y apporter des éléments de réflexion et des conseils pour vivre avec apaisement et joie. Il aborde dans cet entretien avec GoodPlanet Mag’ des sujets tels que l’éco-anxiété, le lien à la nature, l’incertitude climatique et la résilience.

Comment la crise environnementale actuelle influence-t-elle la santé mentale ?

Dans un premier temps, elle l’influence sur un aspect biologique puisque la santé mentale est très sensible à l’environnement, aux températures, aux perturbations climatiques et aux conséquences de ces perturbations.

Le changement climatique peut également susciter de l’inquiétude chez les individus. Ce phénomène est appelé l’éco-anxiété, c’est-à-dire l’inquiétude liée à l’avenir climatique. Selon moi, le plus étonnant est que l’éco-anxiété ne touche pas davantage de personnes et qu’elle n’incite pas plus de personnes à changer leur mode de vie. En réalité, c’est étonnant sans l’être réellement parce qu’on sait que, lorsque quelque chose inquiète les humains, soit ils accueillent cette inquiétude et modifient leur comportement, soit ils essaient de la chasser ou de la nier.

Chez certaines personnes, le sentiment d’inquiétude climatique, mêlé au sentiment d’impuissance, entraîne des réactions plutôt dépressives et de désolation, menant au découragement et à l’inaction.

« Je suis plutôt favorable à ce que nous nous sentions coupables de temps en temps. »

Beaucoup de personnes ressentent aussi de la culpabilité, ayant la sensation de ne pas faire suffisamment pour l’environnement. Auriez-vous des conseils pour transformer cette culpabilité en actions positives, sans s’épuiser mentalement ?

Je suis plutôt favorable à ce que nous nous sentions coupables de temps en temps. Ce sont les psychopathes ou les narcissiques qui ne se sentent jamais coupables. Heureusement, c’est une minorité de personnes. La plupart d’entre nous parviennent à ressentir de la culpabilité et il faut alors faire bon usage de ce sentiment. Le risque de la culpabilité est qu’elle soit trop forte et qu’elle nous pousse, comme l’anxiété, au découragement et à la démobilisation. Or, il faut se rappeler que tous les gestes comptent. Cela peut sembler banal mais c’est véridique. Un trajet en avion auquel on renonce, c’est déjà quelque chose de positif par exemple. Être trop exigeant peut démotiver les personnes qui ont une motivation fragile. En ce sens, il est important de valoriser les actions positives. Évidemment, plus on en fait, mieux c’est, mais l’essentiel actuellement est d’enclencher des comportements vertueux. Il faut surtout éviter que les personnes se démobilisent, en pensant que leur impact est dérisoire.

« Être trop exigeant peut démotiver les personnes qui ont une motivation fragile. »

Les actions individuelles permettent aussi à chaque citoyen d’accepter les décisions politiques. En effet, à terme, je pense qu’on ne va pas pouvoir se contenter de recommander de ne plus prendre l’avion, de suggérer de ne plus manger d’animaux d’élevages industriels, etc. À mon avis, il va falloir imposer des mesures, pour protéger l’environnement. Les comportements individuels jouent donc un rôle de préparation à la réceptivité face à des mesures plus contraignantes. Par exemple, si une mesure impose une restriction des vols en avion, elle n’aura pas le même effet sur quelqu’un qui ne s’est jamais restreint et sur quelqu’un qui limite déjà ses trajets aériens.

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« Agir permet de soulager l’inquiétude »

Les actions individuelles en faveur de l’environnement peuvent-elles avoir un impact positif sur le bien-être psychologique ?

De manière générale, l’action est anxiolytique. En psychologie, on sait que le pire est l’inhibition de l’action. Agir permet de soulager l’inquiétude, même si ça ne solutionne pas toutes les sources d’inquiétude. C’est ce qu’on appelle l’agentivité, c’est-à-dire le sentiment que nos actes ont le pouvoir d’influencer notre environnement. Le moindre petit acte, que ce soit un acte écologique ou altruiste par exemple, joue sur notre bien-être psychologique.

Au-delà de ça, les actes créent du lien et permettent de nous identifier à d’autres personnes. Lorsque quelqu’un agit, il s’inscrit dans une collectivité d’individus qui agissent comme lui. Ce lien social est très important et a un réel impact positif sur le bien-être psychologique.

Quel lien existe-t-il entre le contact avec la nature et le bien-être psychologique ?

Il existe un lien très fort qui est vraiment fascinant. Un très grand nombre d’études ont été menées ces dernières années sur ce sujet et les résultats sont assez spectaculaires. Chez les humains, il y a ce que les chercheurs appellent une biophilie, c’est-à-dire une affection spontanée et viscérale pour les environnements naturels. Dans les années 1980, une des premières études à ce sujet avait par exemple révélé que les patients hospitalisés passaient moins de temps en convalescence s’ils avaient une vue sur de la végétation depuis leur chambre, plutôt que sur des murs.

« Le temps d’exposition aux écrans de la plupart des enfants occidentaux est largement supérieur au temps passé au contact la nature »

De manière générale, les données sont irréfutables sur le lien entre le contact avec la nature et le bien-être psychologique. Or, aujourd’hui, le temps d’exposition aux écrans de la plupart des enfants occidentaux est largement supérieur au temps passé au contact la nature. Quand on connaît les bienfaits de la nature et les effets de l’exposition aux écrans, on sait qu’on fait du mal à nos enfants.

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Les jeunes générations semblent particulièrement affectées par l’éco-anxiété. Selon vous, quels sont les facteurs spécifiques qui contribuent à cette vulnérabilité chez les jeunes ?

En tant que psychiatre, je dirais que, pendant la période 15-25 ans, les humains sont en moyenne plus anxieux qu’ils ne l’étaient plus jeunes et qu’ils ne le seront plus âgés. À cet âge, les ados et les jeunes adultes accèdent à une conscience précaire de ce que la société et l’environnement sont, sans pour autant ressentir de lassitude. Les jeunes se retrouvent dans un univers où tout leur semble possible, ils font alors preuve de beaucoup d’énergie. L’attention des personnes plus âgées est souvent accaparée par un tas d’autres sujets, comme le devoir de s’occuper de leurs enfants. C’est vraisemblablement pour ça que, parmi les personnes très engagées, on compte un grand nombre de jeunes.

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Quel rôle jouent les réseaux sociaux vis-à-vis de l’éco-anxiété ?

En théorie, les réseaux sociaux devraient jouer un rôle favorable parce c’est un moyen de maintenir du lien. Cependant, des dérives négatives apparaissent finalement, comme le fait de pousser au narcissisme, à la compétition et à l’insatisfaction. Les réseaux sociaux poussent à ressentir des émotions négatives, comme la peur et la colère. Un autre inconvénient est qu’il existe un réel problème d’enfermement car les individus s’enferment dans des mondes qu’ils choisissent. Par exemple, si je suis complotiste, je ne vais voir que du contenu complotiste. C’est un vrai problème parce que c’est primordial de recouper les informations et d’accepter qu’il existe d’autres manières de penser. Ces contradictions permettent de prendre conscience du fonctionnement d’autres personnes.

« Quand j’étais enfant, on jetait les piles dans le jardin et on ne voyait pas le problème. »

Quels sont les aspects positifs observables dans les réactions qu’ont les individus face aux problèmes environnementaux ?

Je crois que c’est la première fois que l’humanité a une conscience aussi claire de sa dépendance à l’environnement et de sa responsabilité. Cette conscience écologique est extrêmement positive. Quand j’étais enfant, on jetait les piles dans le jardin et on ne voyait pas le problème. La fin du 20ème siècle représente une période durant laquelle nous avions un maximum de moyens pour polluer et une conscience minimale de ce qu’était la pollution. On a commis des erreurs monumentales à l’égard de l’environnement parce que la conscience écologique était proche de zéro. Même si ce n’est pas toujours suffisant pour agir, aujourd’hui, la conscience écologique, elle est là et c’est déjà réjouissant.

Au niveau individuel, comment peut-on gérer l’anxiété liée à l’incertitude face à l’avenir climatique ?

L’incertitude est effectivement le grand facteur de l’anxiété parce que notre cerveau n’apprécie pas l’incertitude et préfère même parfois les certitudes négatives. Pour gérer cette anxiété liée à l’incertitude, les deux grands outils sont l’action et le lien. Il faut se mobiliser, sans attendre que des personnes prennent des décisions politiques par exemple. Il est essentiel d’agir, à la fois pour son propre bien-être et pour limiter l’impact humain sur l’environnement. Dans sa vie quotidienne, on peut par exemple manger des protéines animales une seule fois par semaine, favoriser le vélo plutôt que la voiture, trier ses déchets, etc. Il faut sentir qu’on peut faire des choses à son échelle. Le lien est aussi un facteur extrêmement important. Il faut parler et partager autour de ces sujets. C’est important d’échanger avec des personnes qui pensent comme soit et qui agissent comme soi, pour pouvoir mettre en place des actions communes et se sentir compris.

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« C’est essentiel de garder l’énergie, la joie et le plaisir, pour agir sur la durée »

Comment peut-on renforcer notre résilience écologique face aux problèmes environnementaux ?

En psychologie, la résilience me semble caractérisée par la capacité à être heureux. Il ne s’agit pas seulement de résister et de survivre, mais bien de considérer que la vie vaut la peine d’être vécue. Je crois que le plus important est de maintenir sa capacité à ressentir des émotions positives, en estimant que le monde est beau et que les humains sont globalement sympas mais qu’il faut les mobiliser car ils sont un peu endormis. Il me semble que la clé de la résilience est l’optimiste et qu’il faut garder en tête que tout n’est pas perdu. Il est crucial d’agir, pas seulement sous l’effet de l’anxiété, mais avec la conviction qu’on peut y trouver de la joie. On ne sait pas où cette histoire se finira mais c’est essentiel de garder l’énergie, la joie et le plaisir, pour agir sur la durée.

Propos recueillis par Marion Lamure

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2 commentaires

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    • H. Delisle

    Certes rester positif est essentiel cependant il y a un risque de déni à vouloir oublier qu’il y avait une facette délibéré dans les comportements collectifs entre la fin des années 60 et ces dernières années car le plus grand nombre savait très bien ce qui nous attendait et les enjeux de nos comportements, et ce savoir s’accompagnait d’un discours de déni et de ridiculisation quasi haineuse envers les personnes qui évoquaient ces risques et la nécessité de modifier nos comportements.
    Il est nécessaire de veiller à ne pas reproduire par la minimisation des responsabilités ces erreurs et deni.

    • moreau emmanuel

    Comment dire que l’humain a pris conscience quand on voit l’état de la planète et l’inaction politique mondiale malgré les faux semblants de COP21… L’Homme à lui seul a tout détruit en moins de 100 ans sur Terre et continue de le faire de manière exponentielle ! Où est la conscience et surtout la réaction collective ???