Jane Goodall : « nous avons perdu en sagesse en perdant contact avec la nature »

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Jane Goodalll dans une forêt_© Chase Pickering / the Jane Goodall Institute

Est-il encore nécessaire de présenter la célèbre primatologue Jane Goodall ? Ses recherches sur les chimpanzés ont révolutionné le rapport aux animaux dans la science. Ses observations sur la fabrication et l’utilisation d’outils par les chimpanzés ont ouvert de nouvelles perspectives sur la compréhension de l’intelligence et du monde animal. Figure emblématique de la défense du vivant, des animaux sauvages et de l’écologie, le docteur Jane Goodall a accepté de répondre par écrit à quelqu’une de nos questions pour notre série d’entretiens « À la rencontre du vivant ». L’institut Jane Goodall France sera aussi à l’honneur lors du weekend Le réveil des forces sauvages qui se déroulera le 2 décembre 2023 à la Fondation GoodPlanet avec la présence exceptionnelle de Jane Goodall.

Quels sont vos émotions et vos sentiments lorsque vous êtes en contact avec la nature ?

Je ne suis jamais aussi heureuse que quand je suis dans la nature. Et ce depuis que je suis enfant. Je me souviens de ma première nuit à Gombe [NDRL site situé dans la forêt en Tanzanie où Jane Goodall conduit ses travaux] comme si c’était hier, de mon excitation, de la magie des lieux. Je me revois assise sur ce promontoire rocheux, contemplant la vallée en contrebas, le ciel au-dessus de ma tête. J’écoutais le chant des oiseaux, je respirais le parfum des herbes desséchées par le soleil, la terre aride, le lourd parfum des fruits trop mûrs. Je m’absorbai peu à peu dans la vie de la forêt, c’était- et c’est toujours- pour moi le paradis sur terre.

 « Cette harmonie avec un grand tout, je le ressens à chaque fois que je suis dans la nature. »

Ce bien-être intérieur, cette harmonie avec un grand tout, je le ressens à chaque fois que je suis dans la nature.

 Comment décririez-vous notre relation à la nature ?

 Si nous malmenons mère Nature, ce n’est pas faute d’intelligence, mais faute de compassion envers les générations futures et la santé de la planète. En égoïstes purs et durs, des individus, des corporations et des gouvernements ont tout misé sur les bénéfices à court terme pour accroître leur richesse et renforcer leur pouvoir. Le reste n’est dû qu’à la négligence, au manque d’instruction et à la pauvreté. Notre intelligence s’est déconnectée de notre compassion. La sagesse véritable consiste à penser à la fois avec sa tête et son cœur.

« La sagesse véritable consiste à penser à la fois avec sa tête et son cœur. »

Nous avons perdu en sagesse en perdant contact avec la nature. Il nous faut nous reconnecter à la nature. Les cultures autochtones ont toujours entretenu un rapport étroit avec le monde naturel. On trouve chez ces peuples de grands chamans, de grands guérisseurs, et ils ont parfaitement compris l’intérêt de vivre en harmonie avec le monde de la Nature. Ce que nous avons oublié ou choisi d’ignorer.

« Si nous malmenons mère Nature, ce n’est pas faute d’intelligence, mais faute de compassion envers les générations futures et la santé de la planète. »

 L’intelligence est présente partout dans le monde vivant. Ces peuples l’ont bien senti, eux qui qualifient les animaux et les arbres de frères et de sœurs. J’aime à penser que l’intellect humain participe de l’Intelligence qui a créé l’univers. Prenez les arbres, par exemple. On sait aujourd’hui qu’ils sont capables de communiquer les uns avec les autres par le réseau de leurs racines et les filaments blancs de microchampignons fixés sur elle.

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Sauriez-vous expliquer pourquoi vivre l’expérience de la nature est si important ?

Quand je suis dans la nature, souvent dans la forêt, chaque jour qui passe, je me sens plus proche d’elle. Je me sens de plus en plus en harmonie avec elle,  avec le monde qui m’entoure. En conséquence, plus proche de moi-même.

 J’y mène une vie de grande solitude, propice à la méditation. Plus jeune, j’étais bien trop absorbée à suivre les chimpanzés du matin au soir pour m’interroger sur le sens de tout cela, sur la signification de l’existence ou de mon rôle. Cependant, ces années-là, à Gombe, m’ont faite telle que je suis aujourd’hui.

 « J’ai compris à quel point la vie de tous les êtres vivants est intimement liée et j’ai réalisé l’importance du moindre maillon de la chaîne de la vie, ce que j’appelle la « tapisserie de la vie ». »

 Durant ces longues périodes de solitude dans la forêt, j’ai pris conscience de l’importance de la nature pour le psychisme humain. J’y ai connu la paix de l’âme qui me soutient encore à ce jour. J’ai compris à quel point la vie de tous les êtres vivants est intimement liée et j’ai réalisé l’importance du moindre maillon de la chaîne de la vie, ce que j’appelle la « tapisserie de la vie ». C’est ce que je souhaite à chacun.

 Les humains tendent à s’éloigner de la nature et vivent dans un environnement de plus en plus artificiel, que diriez-vous à une personne qui a peur de faire l’expérience de la nature ? un conseil ?

La peur est universelle. Elle fait partie de notre condition animale depuis toujours et peut prendre autant de formes qu’il y a d’individus. Certains ont peur de se plonger dans la nature car ils la connaissent peu ou mal. Si nous allions avec nos enfants plus souvent en forêt, ou jouer dans les jardins avec de la boue, des insectes, plutôt que de les laisser si longtemps, sans réelle interaction, devant la télé ou les ordinateurs, ils craindraient moins la nature. Au contraire, elle serait leur meilleure alliée. On sait aujourd’hui combien la connexion à la nature est indispensable le plus tôt possible et les bienfaits qu’elle apporte à chacun d’entre nous. Combien nous pourrions apprendre de la coopération et de l’entraide qui existe entre les animaux, entre les animaux et leur environnement…

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« Certains ont peur de se plonger dans la nature car ils la connaissent peu ou mal. »

Laissez-vous porter, même quelques minutes. Vous découvririez qu’il n’y a pas de silence, la joie de ces rencontres hors du temps. On peut commencer par une petite sortie. Puis les multiplier. Puis vous verrez, vous ne pourrez plus vous en passer !

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Avez-vous une anecdote marquante/un souvenir de rencontre avec la nature ? Lequel et pourquoi ?

En 1990, j’ai visité Nagasaki, sur laquelle a été larguée la seconde bombe atomique en août 1945. Les Japonais qui m’hébergeaient m’ont montrée des photos prises après la catastrophe : un spectacle d’horreur absolue. La température avait atteint des millions de degrés – l’équivalent de la température du soleil. Le paysage ressemblait à ce que décrit Dante dans l’Enfer. Les scientifiques avaient prédit que plus rien ne repousserait avant des décennies. Et pourtant, miraculeusement, deux camphriers ont survécu, des arbres vieux de cinq siècles. Il ne restait plus que la moitié inférieure des troncs, dont la plupart des branches avaient été arrachées. Plus une feuille, évidemment. Pourtant ils étaient vivants. Je suis allée les voir.

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C’est redevenu un grand arbre, avec un tronc couvert de cicatrices et de fentes. En regardant de près, on voit que l’intérieur est tout noir. Et pourtant, au printemps, il se couvre de feuilles nouvelles. Les Japonais l’honorent comme un monument à la paix et à la survie. Ils accrochent à ses branches de petits parchemins avec des prières écrites en kanji à la mémoire des morts. Je suis restée devant cet arbre un bon moment en me sentant toute petite, aussi impressionnée par le pouvoir de destruction des humains que par l’incroyable résilience de la nature.

 Quelle leçon retirez-vous de cette expérience ?

Cette résilience, on la constate dans le monde entier. Et près de chez vous, j’en suis sure ! C’est une de mes raisons d’espérer…

 L’humanité doit se réconcilier avec le vivant, pensez-vous que cela soit possible ?

J’ai l’espoir chevillé au corps ! Je le conserve, envers et contre tout. C’est lui qui me donne la force de poursuivre mon combat inlassable en faveur d’un monde plus harmonieux entre les hommes, les autres animaux et notre environnement partagé. Un monde réconcilié avec le vivant. Alors bien sûr que je pense que c’est possible. Mais c’est possible si chacun se mobilise : individu, communauté, pays….

« Une fenêtre existe encore pour agir. »

[À lire aussi Que retenir de la synthèse du 6e rapport d’évaluation du GIEC ?]

Il faut être lucide, une fenêtre existe encore pour agir. Les scientifiques du monde entier et les rapports du GIEC nous le rappellent constamment. Si nous nous mobilisons tous ensemble, comme le font les jeunes merveilleux des groupes Roots & Shoots [NDLR Le programme du Jane Goodall Institute d’incitation et d’accompagnement à l’action pour les jeunes. Plus d’informations], alors tout est possible. Ces jeunes sont l’une de mes autres raisons d’espérer ! Un de nos conviction est que : « together we can, together we will » (Ensemble, nous pouvons, ensemble nous y arriverons).

Julien Leprovost, traduction des réponses de Jane Goodall par le Jane Goodall Institute France

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Article édité le 8 novembre 2023 a 14h afin d’ajouter la date à jour du week end où Jane Goodall viendra a la Fondation GoodPlanet

Pour aller plus loin

Samedi : Réveil des forces sauvages #3 avec Jane Goodall

Le site Internet français du Jane Goodall Institute France

« A la rencontre du vivant » une programmation inédite pour (re)découvrir la biodiversité qui nous entoure et s’en émerveiller. A découvrir à la Fondation GoodPlanet à compter du 8 avril 2023 avec notamment fin septembre 2023, le week-end L’éveil des forces sauvages organisé avec l’Institut Jane Goodall.

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