Que nous disent les mots du langage de l’écologie ?

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Hongrie © Yann Arthus-Bertrand

La variété des mots employés pour parler d’écologie et d’environnement ne se révèle pas neutre. Cette diversité témoigne du rapport qu’individus et sociétés entretiennent avec ces sujets. Les termes utilisés, qu’il s’agisse de changement climatique, d’urgence climatique, de dérèglement, de crise, d’anthropocène, d’éco-anxiété, de décroissance, pour ne citer qu’eux, portent des valeurs et des croyances bien spécifiques. Ainsi, de nombreux nouveaux mots, également appelés néologismes, ont fait leur apparition. Le sujet est étudié depuis des décennies par les spécialistes du langage. Le think-tank de gauche La Fabrique Écologique (LFE) vient de lui consacrer une note de décryptage intitulée Termes-catastrophes, noms sous pression, et néologie revitalisante : la transition écologique par le langage ? publiée fin mars 2024.

Pauline Bureau, vice-présidente de La Fabrique Écologique et docteure en linguiste appliquée a rédigé cette note de décryptage. Contactée par GoodPlanet Mag’, elle explique la démarche : « l’idée du think-tank est de couvrir toutes les problématiques en lien avec l’écologie. La transformation écologique touche non seulement la manière dont on produit et on consomme mais aussi la manière dont on parle. »

Le langage pour questionner le réel

« Le changement climatique nous dépasse. On peine à se le représenter. Cela nous amène à faire évoluer la langue pour saisir cette nouvelle réalité et rendre compte de sa gravité. Le langage sert à transmettre les informations, mais aussi à inciter à l’action. Il remplit donc à la fois un rôle descriptif et persuasif », déclare Pauline Bureau. Un mot parlant d’écologie réussit à rester et s’imposer dans le vocabulaire commun si, selon la linguiste, « il est facile à prononcer et à comprendre. »

Toutefois, l’accaparement du champ lexical de la durabilité par les décideurs ou les entreprises marque une prise en considération des sujets. Une politique écologique implique-t-elle de revoir de fond en comble l’organisation économique et sociale ou bien d’adapter le système productif pour préserver les modes de vie actuels tout en limitant leurs impacts environnementaux ? C’est une vaste question où le choix des mots a un sens. Ainsi, dans un débat un peu schématique, la décroissance s’oppose souvent au développement durable.

Des idées remettant en cause le système économique fondées sur la croissance ont vu le jour, elles trouvent une partie de leurs origines dans la remise en cause du terme même de croissance et des imaginaires qu’il véhicule. Selon ce qui est écrit dans le décryptage de LFE, « l’intérêt de ces nouveaux termes – et notamment ici, de décroissance et post-croissance, réside avant tout dans leur propension à matérialiser dans la langue un mouvement social et de pensée visant à interroger le statut de la croissance dans nos sociétés. En outre, les préfixes qu’ils contiennent jouent un rôle didactique en indexant ce mouvement de manière tout à fait synthétique, puisqu’il se trouve désigné par un mot unique. »

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De surcroit, Pauline Bureau fait remarquer que la langue arrive à se renouveler petit à petit. Elle estime que « si on fait évoluer la langue pour mieux parler d’écologie, c’est sans doute qu’on en ressent le besoin. Car cela apporte de la fraîcheur, de la poésie et de l’espoir. Cela renforce l’idée que quelque chose est en train de se passer car les néologismes portent en eux de nouveaux paradigmes. ».

Certains néologismes désormais ancrés dans la langue courante

« La capacité de ces nouveaux termes à favoriser la conscientisation écologique dépend largement de leur propension à être effectivement en résonance avec les aspirations des citoyens », écrit La Fabrique Écologique dans son article. Depuis un demi-siècle, la prise de conscience écologique a vu émerger tout un nouveau vocabulaire. Certains mots ont connu le succès. Ils sont restés dans le langage scientifique et courant tandis que d’autres ont été éclipsés. Mais, parce que galvaudés ou jugés dépassés, certains noms, adjectifs ou verbes ont perdu de leur valeur.

Le langage interroge notre rapport au monde. Les adjectifs « vert », « propre » et « durable » ainsi que le préfixe « éco », qui est une contraction d’écologique, s’associent à des noms ou des verbes afin de les parer de vertus écologiques. C’est pourquoi, ils ont beaucoup été employés afin de marquer des évolutions vers des pratiques plus respectueuses de la planète. Leur usage a connu un essor marqué au point de devenir maintenant des truismes. À ce propos pourtant, l’autrice de l’article de LFE relève dans son article que « en matérialisant dans la langue la possibilité de systèmes et pratiques alternatives, ces néologismes participent d’élargir le panel « d’options » disponibles dans les représentations mentales des locuteurs lorsqu’il s’agit de faire des choix politiques ou de consommation, tout en les incitant, du fait de la dimension évaluative introduite par l’adjectif, à choisir l’option en question. »

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La portée de ces néologismes est assurément à nuancer estime LFE. « Tous les adjectifs mobilisés pour désigner les valeurs en question n’ont pas la même propension à recueillir l’adhésion […], certains ayant des connotations qui pourraient avoir l’effet inverse. C’est notamment le cas de « vert » qui, s’il a l’avantage d’être facilement assimilable à la valeur de protection de l’environnement, peut également évoquer le parti politique écologiste et ainsi être perçu comme ayant une dimension idéologique par les locuteurs, idéologie à laquelle ils peuvent ne pas adhérer. En ce sens, des adjectifs tels que « durable » ou « propre » qui n’ont pas de telles connotations, pourraient constituer des alternatives plus consensuelles ». L’analyse se poursuit en déplorant le manque d’encadrement de l’usage de ces termes, qui peuvent induire en erreur le citoyen ou le consommateur. Elle pointe le risque de greenwashing et de perte de valeur de ces injonctions. La langue n’est pas performative, c’est-à-dire que l’utiliser ne suffit pas à faire naître le changement attendu : « on peut par ailleurs s’interroger sur la propension de ces composés à permettre de penser une véritable transition écologique : ayant pour base un nom dénotant un secteur ou un outil « ancien » dont le sens reste inchangé, ils suggèrent un changement tout à fait relatif des modes de consommation et de production. Le changement en question relèverait en effet avant tout de la sphère des valeurs, qui doivent guider les pratiques et secteurs désignés (finance, investissements, croissance, etc.), sans que la place de ces derniers dans l’organisation sociétale ne soit interrogée. » Ces termes font maintenant partie du langage commun des décideurs politiques et des entreprises, or il apparait qu’ils ont pour limite de porter un changement qui ne consiste pas en une remise en cause profonde des modes de vie, mais manifestent plutôt une forme d’adaptation de ces derniers aux nouvelles réalités écologiques. Reste à savoir si cela est suffisant pour répondre à l’ampleur des défis environnementaux et sociaux…

De nouvelles perceptions de l’environnement à de nouveaux imaginaires, des mots pour mieux décrire et changer le monde

« Un mot portera un nouvel imaginaire en raison de sa définition ou parce qu’il représente un mouvement social ou politique ou bien parce qu’il est employé par des locuteurs spécifiques porteurs de ces nouveaux récits », résume la linguiste Pauline Bureau.

Parler d’écologie, bien avant de refaire le monde, c’est aussi le décrire et penser son rapport intime au vivant. Dans ce domaine-là, celui des connaissances et des émotions, de nouveaux mots ont également vu le jour. C’est, par exemple, le cas des mots nouveaux « éco-anxiété » et « solastalgie ». Ils traduisent des inquiétudes, voire des craintes, associées à un monde qui change, voire qui est menacé par le risque environnemental. Selon le texte de La Fabrique Écologique, « les mots peuvent avoir une influence sur la façon dont nous nous représentons le réel et également sur celui-ci, et [ils] constituent un paramètre à ne pas négliger dans le processus de transition écologique. » Le think-tank détaille « en parallèle, comme le suggère l’exemple de solastalgie et d’éco-anxiété, ces néologismes permettent de synthétiser et de mettre en mots des aspects de l’expérience humaine jusqu’alors non conscientisés, synthèse qui peut alors favoriser la diffusion des idées ainsi encapsulées. »

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Les crises écologiques, dans leur complexité, appellent des réponses systémiques, au sens de révision profonde du fonctionnement de l’économie et des sociétés. Les mots employés pour désigner les enjeux ont leur importance. Les scientifiques travaillent depuis des décennies sur des scénarios et des projections. Ces derniers passent de l’abstrait au concret. Face aux réalités d’un monde qui change, La Fabrique Ecologique souligne une « adaptation du langage [qui] s’illustre également par le recours à de nombreux superlatifs, à des séries d’adjectifs et à des expressions connotées, qui visent à décrire le caractère extrême des conséquences du changement climatique. C’est ainsi que l’on a parlé de « nuits tropicales » dans Le Parisien et « d’océan en ébullition ». Mais, le think-tank insiste sur la nécessite de « s’interroger sur l’efficacité de cette adaptation du lexique aux changements écologiques : ces stratégies linguistiques sont-elles au service d’une description fidèle de la situation climatique ? Peuvent-elles faciliter la mobilisation citoyenne ? ». LFE préconise d’avoir un discours alarmant, dans le sens où il doit susciter l’action.

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Toujours dans sa note dans Termes-catastrophes, noms sous pression, et néologie revitalisante : la transition écologique par le langage ? le think-tank précise : « l’usage de noms tels que « catastrophes », « chaos », ou « crise » s’accompagne de références à des données scientifiques et à de possibles façons de répondre à la menace ainsi décrite. Ces deux éléments sont en revanche absents des discours alarmistes, qui se caractérisent dès lors par une rhétorique fataliste ».

Or, pour parler et se comprendre, pour débattre, il faut s’entendre sur les termes. L’autrice ajoute dans son décryptage que le langage de l’écologie reste l’objet de critiques car il porte « des connotations négatives qui sont au fondement d’une argumentation populiste visant à discréditer la nécessité de prendre des mesures en faveur du climat, sous prétexte que celles-ci iraient à l’encontre des libertés fondamentales5. »

 La langue pour penser une nouvelle époque et de nouvelles manières de vivre-ensemble

Beaucoup de militants écologistes, ainsi que des scientifiques, plaident pour la création de nouveaux récits et de nouveaux imaginaires afin de ne pas faire des crises écologiques des voies sans issue. La Fabrique Écologique met en avant dans sa note le fait que la prise en compte du vivant dans tous les aspects de la vie devient peu à peu présente à l’esprit. Cela prend la forme de nouveaux pactes et de nouvelles visions du rapport entre les humains et les autres espèces qui habitent la planète. Cela revient à essayer de sortir d’une vision anthropocentrée du monde. Concrètement, le vivant est plus mis en avant dans la langue, au travers du préfixe « bio ». Ce préfixe marque l’importance des relations, plutôt de nature symbiotique, avec par exemple le biodesign, la bio-architecture. Cela n’a rien d’anodin puisque, d’après le décryptage de LFE, intégrer « dans la langue l’idée d’une collaboration avec le vivant dans la production de différents biens, production qui serait non seulement au service des besoins humains mais également des systèmes naturels, et notamment de leur protection et de leur régénération. »

Il serait même envisageable de pousser plus loin le raisonnement afin d’en faire un projet politique. Une idée portée par des penseurs de l’écologie, comme le rappelle le décryptage de LFE. Il donne en exemple un concept allant dans ce sens développé par le philosophe Glenn Albrecht dans le livre Les émotions de la terre publié en 2019. Il s’agit de «  la sumbiocratie, qui désigne une forme de gouvernement régie par le principe de protection des relations symbiotiques entre les différents êtres vivants, le symbiocène, qui correspond à une ère de l’histoire succédant à l’Anthropocène et qui serait caractérisée par 1/ une reconnaissance de l’interdépendance vitale entre les différentes composantes des systèmes humains et naturels, 2/ « la protection des liens symbiotiques entre et à l’intérieur même des espèces, à tout échelon » et 3/ « le rétablissement des liens symbiotiques qui ont été rompus lors de l’anthropocène » ».

« Dans le cas de la symbiocène, la biologie propose un nouveau récit qui ouvre de nouvelles perspectives », approfondit Pauline Bureau. La docteure en linguistique évoque un aspect absent de sa note : l’existence d’un débat sur la nécessité de réinventer la langue en s’inspirant des langages des peuples indigènes. Ils sont jugés par certains plus proches de la nature. Ils sont perçus, par conséquent, en phase avec les enjeux de la création d’un nouveau rapport plus harmonieux avec la nature. Cependant, Pauline Bureau rappelle les critiques adressées à ce type de réappropriation culturelle.

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Finalement, si ce qui liait le plus le langage et l’écologie n’était pas la capacité des uns et des autres à s’en emparer pour créer, sans forcément attendre l’assentiment ou une impulsion venue d’en haut. Écologie et langage sont en effet deux domaines dans lesquels, chacun et chacune, individus ou groupes, expérimente chaque jour. Progressivement, ainsi, de nouveaux mots et expressions entrent dans la langue puis deviennent légitimes, par exemple la féminisation des noms en français, comme le deviennent des comportements et des habitudes respectueuses du vivant telles que trier ses déchets que plus personne ne remet en cause.

Julien Leprovost

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Pour aller plus loin

Termes-catastrophes, noms sous pression, et néologie revitalisante: la transition écologique par le langage ? sur le site de La Fabrique Écologique

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3 commentaires

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    • François

    La langue française est riche et capable d’exprimer toutes idées ou notions même complexes. Et il ne faut pas se gargariser avec les mots et s’exprimer avec un jargon pour initiés. Cela ne peut qu’éloigner le grand public et beaucoup d’autres des réalités simples et concrètes d’une catastrophe annoncée. Il faut que le langage soit simple et concret afin que chacun d’entre nous prenne conscience des enjeux et adapte son comportement quotidien dans des actes concrets. La conscience politique viendra alors naturellement.

    • Jean-Pierre Bardinet

    J’adore la novlangue de l’écologisme. Taxe carbone=contribution climat-énergie. Pénurie=sobriété. Lavage de cerveau-reconditionnement=formation

    • francoise.tardieu

    pourquoi ce laius au lieu de citre pleinsde mots nouveaux afin de lzed afire passerdans la langue detous le jours et d’orienter nos mentalités vers un nouveau monde