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Le climatologue Hervé Le Treut : « étant donné la complexité du défi de civilisation que représente la réduction des émissions de gaz à effet de serre, aucune discipline ne peut se prévaloir du monopole des solutions »

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Le climatologue français Hervé le Treut, auteur du récemment le livre "Climat et civilisation, un défi incontournable" © JACQUES DEMARTHON / AFP

Hervé Le Treut, climatologue et spécialiste de la physique du climat, a sorti récemment le livre Climat et civilisation, un défi incontournable aux éditions Eres. Le scientifique et le citoyen propose une réflexion sur la crise climatique et sur l’articulation entre la science et la société. Au moment où la crise climatique devient de plus en plus tangible, GoodPlanet Mag’ s’est entretenu avec Hervé Le Treut, qui enseigne la mécanique et la physique de l’environnement à la Sorbonne et à Polytechnique, pour approfondir ces thématiques.

Pourquoi le physicien du climat que vous êtes sort de sa réserve avec le livre « Climat et civilisation, un défi incontournable » dont la tonalité est plus engagée ?

Le travail scientifique se fonde avant tout sur l’objectivation. Néanmoins, avec ce livre, j’ai voulu plutôt mettre en perspective les enjeux climatiques et les réactions des sociétés humaines. On voit que les décisions ne se montrent pas tout à fait à la hauteur des enjeux. La machine climatique s’emballe plus vite que prévu, les choses sont allées très vites. Les événements ont dépassé ce qu’on anticipait quelques décennies auparavant.

Est-ce que le défi climatique montre certaines limites dans la démarche scientifique ?

La réflexion scientifique sur le climat ne doit plus se cantonner aux sciences dites dures, mais intégrer d’autres disciplines et avoir une approche pluridisciplinaire. On a trop longtemps travaillé en silo, or la question climatique ne se limite plus à la connaissance des modèles. Elle englobe d’autres pans de la connaissance. Il s’agit de transformer la vision du sujet et du problème. Étant donné la complexité du défi de civilisation que représente la réduction des émissions de gaz à effet de serre, aucune discipline ne peut se prévaloir du monopole des solutions.

« Les décisions ne se montrent pas tout à fait à la hauteur des enjeux.« 

N’est-ce pas à la fois ambitieux et réducteur de présenter le réchauffement comme un enjeu de civilisation au singulier ? En effet, peut-on considérer qu’une seule civilisation humaine existe sur Terre et est responsable des dérèglements climatiques ?

Il est important de constater qu’on a changé d’époque. Aujourd’hui, les émissions de gaz à effet de serre sont 4 fois plus importantes qu’elles ne l’étaient dans les années 1960. Les dérèglements actuels du climat résultent des émissions passées. Or, les gaz à effet de serre s’accumulent dans l’atmosphère et participent de facto au réchauffement présent et à venir. Une fois émis, un gaz à effet de serre concerne tout le monde. Le CO2, par exemple, reste actif une centaine d’années. Le problème devient alors global.

[À lire aussi David Sepkoski : « l’anthropocène nous permet de transformer une histoire humaine, basée sur le capitalisme et l’impérialisme, en récit moralisateur sur les erreurs humaines »]

L’utilisation des énergies fossiles et les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté très rapidement en un demi-siècle. L’humanité a ainsi engagé un futur lointain, on est entré dans un monde différent climatiquement parlant.

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« L’humanité a ainsi engagé un futur lointain, on est entré dans un monde différent climatiquement parlant. »

Nous devons justement tirer des leçons de ce qui s’est passé, cela dicte ce qu’on peut espérer en termes de scénarios climatiques. Le problème des gaz à effet de serre est extrêmement complexe, puisqu’ils se trouvent partout. C’est donc devenu un problème commun.

Comment parvenir à maintenir les efforts de tous pour atteindre un monde bas carbone ? Et comment faire en sorte qu’il ne soit pas vu comme un monde de privation ?

Cette question s’avère centrale, il est difficile d’y répondre parce qu’elle n’appelle pas une réponse simple. Il est évident qu’on a besoin de traiter le problème du réchauffement climatique et que cela doit se faire en prenant en compte la justice sociale. Sans quoi, les mesures adoptées ne susciteront pas l’adhésion.

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La science joue un rôle puisqu’elle permet d’effectuer le diagnostic nécessaire, de poser les enjeux et de fournir des éléments de compréhension pour arbitrer des décisions. Les scientifiques appellent à des transformations profondes de l’économie et des modes de vie, mais ce n’est pas à la science de décider seule ou de se montrer moralisatrice. En effet, c’est avant tout à la société et aux citoyens d’être capables de savoir comment prendre en compte les résultats des diverses sciences grâce aux débats et aux processus de décisions collectives. Ces dernières années, les manifestations concrètes du réchauffement climatique ont montré au plus grand nombre le besoin de changer dans le quotidien.

Justement dans le livre « Climat et civilisation, un défi incontournable », vous posez la question de la démographie et celle de la décroissance, en affirmant que ces deux thématiques ne sont pas assez évoquées. Est-il possible de les aborder sans tomber dans la caricature ou des dérives ?

J’ai écrit cela avec beaucoup d’hésitations car ces thématiques sont à la fois individuelles et collectives, de l’ordre de l’intime et du public. Il est possible de dire, entre guillemets, « on est tous coupables », cela n’empêche pas néanmoins d’être lucide sur ce que la croissance et la démographie représentent. Ces enjeux sont importants, on ne peut pas les oublier quand on parle de l’avenir de la planète et de l’humanité. On est passé en quelques décennies de 3 milliards à 8 milliards d’êtres humains. C’est une évolution forte, mais rien ne prouve que la planète soit invivable avec un tel niveau de population. Il faut poser en parallèle la question des modes de vie.

[À lire aussi 8 milliards d’êtres humains, c’est demain]

En abordant ces sujets, j’ai voulu signaler une problématique qui regroupe des enjeux multiples : de pauvreté et d’accès à la santé, de respect des droits humains ou encore des enjeux politiques. Beaucoup des débats qui en découlent sont d’origine ancienne, mais se trouvent amplifiés par les évolutions en cours. 

 L’histoire de la lutte contre le réchauffement semble être 50 ans de rendez-vous manqués. Quelle est l’erreur à ne surtout pas commettre dans les 50 prochaines années ?

Je m’exprime comme citoyen et je considère que la plus grande erreur, celle à ne pas commettre, serait de renoncer à la démocratie. Pour faire face au défi climatique, les nations ont besoin de rester dans la démocratie, afin d’échanger des idées et pour pouvoir débattre, pour trouver des solutions par la discussion plutôt que la confrontation, pour assurer à la science la liberté dont elle a besoin, pour prendre des décisions dans le respect des libertés individuels et des institutions. Il faut aussi miser sur l’éducation, il faut que les jeunes soient autonomes dans leurs réflexions, dans ce qu’ils veulent dire et faire. J’ai une grande inquiétude car certains pays tournent le dos à ce type de traitement des enjeux climatiques.

Le GIEC pointe dans son dernier apport les risques de maladaptation. Ces derniers sont nombreux, comment s’en prémunir ?

Nous ne sommes pas dans les clous de l’Accord de Paris pour limiter la hausse des températures à 2°C. Face à ce constat, la question de la maladaptation recouvre des enjeux importants et ce qu’on vient de dire : éviter de commettre des erreurs. Or, tous les jours, on est confronté à des contradictions. Quand on veut, par exemple, mettre en place des infrastructures solaires ou des éoliennes offshores, elles font face à des blocages et des obstacles. Idem pour de nombreuses autres mesures, qui buttent sur des réticences ou des lobbys. Prendre ces décisions ambitieuses et rapides devient chaque jour plus important.

« Prendre ces décisions ambitieuses et rapides devient chaque jour plus important.« 

On fait donc face à un paradoxe, celui de la nécessité d’agir et du manque d’ambition de l’action. De plus, ce décalage s’accentue du fait qu’on est tributaire d’un court terme très fort puisque, chaque jour, les émissions de gaz à effet de serre augmentent et se répercuteront sur le futur. Beaucoup de solutions sont des idées de long terme. Il faut donc dans le même temps parvenir à réduire les rejets polluants et, si possible, retirer ceux déjà présents dans l’atmosphère. Ce qui, au-delà des mesures pour réduire la pollution engendrée par la combustion des énergies fossiles, amène à devoir considérer d’autres technologies comme la capture et le stockage du carbone.

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Avez-vous un dernier mot, notamment pour celles et ceux qui se montrent pessimiste ?

Les solutions existent pour parvenir à atténuer le réchauffement et à s’y adapter. Les conséquences du changement climatique sont graves, cela ne signifie pas forcément que l’avenir de la planète est en péril. Bien sûr, cela touche chacun d’entre nous et mérite une réflexion approfondie. À côté des nécessaires discussions et négociations internationales, il faut réaliser que les solutions sont souvent des locales et impliquent les territoires, les citoyens et leurs spécificités. Il existe donc des solutions partout et à tous les niveaux. On a des capacités d’agir importantes, mais on ne réussit pas toujours à bien les définir ou à les faire ressortir.

[À lire aussi Naomi Oreskes : « Si vous tenez à la démocratie et à la liberté d’expression, ne dénigrez pas le changement climatique »]

Je travaille avec la région Nouvelle Aquitaine, une région parmi d’autres confrontées au changement climatique, dans le cadre du projet Acclimaterra. Elle a beaucoup à nous dire et nous apprendre, notamment qu’il ne faut pas oublier la proximité de l’action. Il existe une articulation entre le local et le global. Les choses s’incarnent localement, c’est comme ça qu’on vit, à cette échelle des actions qui deviennent concrètes, peuvent émerger puis se diffuser.


Propos recueillis par Julien Leprovost

Pour aller plus loin

Climat et civilisation, un défi incontournable, par Hervé Le Treut aux éditions Eres

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3 commentaires

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    • Rozé

    Monsieur Treut pose bien le problème. Je crains qu’il soit optimiste quand il affirme que nous avons les solutions technologiques, scientifiques pour limiter voire extraire l’excédent de GES qui provoque le réchauffement climatique et son emballement. En effet il est tard. De plus des mesures de limitation comme l’isolation commencent par un accroissement des GES (fabrication, transport, pose). Comme toujours les dirigeants et les politiques attendent le dernier moment pour agir. Il y aura donc de plus en plus de catastrophes (incendies, inondations, vents violents, sécheresse, etc …) et des guerres fratricides pour s’accaparer l’eau, la nourriture … Cela devrait réduire la population mondiale et donc atténuer un peu les rejets de GES, mais à quel prix ! Il me semble évident qu’il faut abandonner notre modèle de société marchand et mettre en place un modèle de société sans argent mais basé sur la réelle solidarité. Bientôt les assurances ne tiendront plus. Mais la solidarité humaine peut faire beaucoup sans argent. Suis déjà âgé (77 ans). Je souhaite que les plus jeunes prennent à bras le corps ce changement de modèle social essentiel. Suis triste de ne pas l’avoir compris plus tôt.

    • Guy J.J.P. Lafond

    Excellent papier!
    Merci.
    Qu’est-ce qu’on attend pour faire plus de place à un nouveau mode de vie plus sobre et plus propre?
    https://www.goodplanet.info/2022/09/13/quelle-place-pour-la-sobriete-dans-nos-modes-de-vie-2/?utm_source=mailpoet&utm_medium=email&utm_campaign=les-depeches-goodplanet-mag_5
    Envoyons de nombreux gentils messages, sinon des ondes, aux chefs d’États membres de l’ONU et peut-être aussi – pourquoi pas – à un roi quelque part.
    À suivre,
    @GuyLafond @FamilleLafond
    https://mobile.twitter.com/UNBiodiversity/status/1395129126814691329

    • Balendard

    Vous avez raison Mr Rozé il est tard mais peut être pas encore trop tard

    Vous avez raison de dire que des mesures de limitation comme l’isolation commencent par un accroissement des GES (fabrication, transport, pose).

    Mon opinion est que notre effort doit plutôt porter sur la génération thermique de l’habitat existant là où le potentiel d’économie d’énergie est le plus important.

    Mais le problème est que pour passer à un nouveau mode de vie moins énergivore et plus propre tel que le souhaite Mr Lafond il faut passer par une période transitoire de travaux contraignants compte consistant à utiliser l’eau pour assurer cette fonction comme je l’ai souvent expliqué dans Goodplanet

    Nous allons probablement être contraint à l’action si l’on en croit les propos du Secrétaire général de l’ONU. Voir

    http://www.infoenergie.eu/riv+ener/ONU.htm