Le climatologue Hervé le Treut sur le 6e rapport du Giec sur le climat : « l’important est d’agir maintenant au plus vite en faisant les bons choix »

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Fonte de la glace au Groenland © Jonathan NACKSTRAND / AFP

Au cours de cet interview, le climatologue Hervé Le Treut réagit au 6e rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Ce dernier a, une fois de plus, sonné l’alarme climatique en insistant sur l’irréversibilité du réchauffement et son ampleur. Hervé Le Treut, est spécialiste de la simulation du climat, membre de l’Académie des sciences, professeur à l’École polytechnique et à Sorbonne Université.

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Le climatologue Herve Le Treut
© JACQUES DEMARTHON / AFP

Qu’apporte ce 6e rapport d’évaluation du GIEC aux connaissances scientifiques sur le climat ?

Il s’inscrit dans la continuité des précédents travaux du Giec et de ce qui se produit aujourd’hui avec le changement climatique. Dans les années 1980, on savait déjà dans quelles directions le climat pouvaient évoluer. Puis, dans les années 1990, on a vu apparaitre les premiers symptômes vraiment clairs du changement climatique. Le travail de suivi précis des connaissances reste néanmoins nécessaire pour passer d’un diagnostic général et proposer des formes d’actions.

De plus, le rapport apporte des nouveautés sur l’irréversibilité de certains phénomènes. Le premier concerne le stockage de la chaleur dans l’océan et le second concerne les événements extrêmes. Ils sont plus fréquents, plus violents. Ils ont donc un impact très fort dans les deux hémisphères. La planète se réchauffe, le niveau des précipitations augmente, il y a donc plus d’eau dans l’atmosphère, la fonte des glaces s’accélère. Les conséquences peuvent se révéler extrêmement violentes.

En 30 ans, le changement climatique est passé du stade de futur hypothétique un peu lointain et évitable à une réalité tangible immédiate pour tout le monde. Aujourd’hui, qu’est ce qui est désormais irréversible dans le réchauffement ?

Ce qui le rend irréversible est l’accumulation et le stockage du CO2 dans l’atmosphère car ce dernier conserve son pouvoir de réchauffement une centaine d’années. Donc, quand on rejette du CO2 dans l’atmosphère, il agit pour une période assez longue. Actuellement, il n’existe pas de solution pour retirer le CO2 déjà émis dans l’atmosphère. 

Par conséquence, tout les processus qui en découlent, comme le relèvement du niveau des mers ou la dégradation des écosystèmes, prennent du temps. Les empêcher devient alors très difficiles puisqu’ils sont déjà enclenchés.

Or, les gaz à effet de serre s’accumulent non seulement dans l’atmosphère mais proviennent aussi de tous les pays du monde. À eux-seuls, la Chine et les États-Unis en rejettent la moitié. Les gaz se mélangent, ce qui implique que la solution devra forcément être mondiale.

« L’important est d’agir maintenant au plus vite en faisant les bons choix. La question de savoir si ça suffira ou pas se posera après. »

Que pouvons-nous encore faire pour limiter le phénomène ? Le 6e rapport du Giec indique que pour ne pas dépasser le seuil de 1,5 degré de réchauffement, il faudrait parvenir à ne pas émettre plus de 300 milliards de tonnes de CO2 supplémentaires dans l’atmosphère, est-ce possible et réaliste ?

Je n’aime pas poser la question sous cette forme-là. En effet, cela parait difficile vu l’ampleur des problématiques soulevées de passer sous la barre des 1,5 degrés cependant il faut parvenir à avancer dans un cadre cohérent. Je crois qu’il faut trouver les chemins les plus pertinents à moyen et long terme. L’important est d’agir maintenant au plus vite en faisant les bons choix. La question de savoir si ça suffira ou pas se posera après.

 Il y a 2 types d’actions. Il y a les négociations climatiques. Je suis navré quand j’en entends du mal car les COP sont indispensables pour réduire et empêcher les émissions de gaz à effet de serre. Je suis aussi très déçu quand les COP ne donnent pas les résultats qu’on souhaite.

[lire aussi Hervé le Treut : « la difficulté est de passer d’une phase d’alerte à l’action »]

L’autre impératif est de protéger les territoires qui sont menacés, on a vu que les situations peuvent évoluer rapidement et de manière irréversible. L’échelle locale est très importante parce qu’on ne regarde pas seulement ce qui peut se passer du point de vue de la physique du climat mais aussi en termes de biodiversité, de problèmes sociaux. Ces réflexions vont au-delà de la science car toutes les actions à envisager interrogent les valeurs de la société. Peut-on prendre certaines solutions en ne tenant pas en compte les droits humains ? ces réflexions doivent permettre de définir ce qu’il est possible d’envisager en termes de solutions.

« L’échelle locale est très importante parce qu’on ne regarde pas seulement ce qui peut se passer du point de vue physique du climat mais aussi en termes de biodiversité, de problèmes sociaux. »

Le dernier rapport du GIEC s’arrête sur les gaz à effet de serre à durée de vie courte, en quoi est-ce une piste pour rapidement limiter l’action humaine sur le climat ?

Jusqu’à présent, on n’accordait pas beaucoup d’importance aux gaz à durée de vie courte comme le méthane. Or, agir sur ces derniers représente une occasion de réduire les gaz à effet de serre le plus rapidement possible. Mais, cela ne suffira pas, ils sont un levier parmi d’autres dans la réduction des émissions.

[À lire aussi sur les gaz à effet de serre à durée de vie courte Réduction des gaz à effet de serre, n’oublions pas les gaz à effet de serre à durée de vie courte dont le méthane]

« On devra sans doute faire des arbitrages parce qu’une partie des processus en cours est déjà bien avancé et qu’il n’est plus possible de tout concilier.« 

Ce 6e rapport met aussi en exergue le lien entre le vivant et le climat, pouvez-vous expliquez dans quelle mesure ne pas se focaliser uniquement sur le lien énergie fossile gaz à effet de serre peut-il être bénéfique ?

Effectivement, sur un territoire, les objectifs de réduction des gaz à effet de serre et de préservation de la biodiversité ne se montrent pas nécessairement compatibles les uns avec les autres. On a donc besoin de définir ce qu’est un risque climatique, un risque en termes de biodiversité et un risque social. Ainsi, on pourra et on devra sans doute faire des arbitrages parce qu’une partie des processus en cours est déjà bien avancé et qu’il n’est plus possible de tout concilier.

Comment ce rapport a-t-il été reçu ? Comment faire en sorte que la science soit entendue ?
En ces temps où la science et la vérité sont malmenées, pensez-vous que le lien entre activités humaines et réchauffement soit définitivement acquis pour tout le monde ?

Ce risque de remise en cause du lien entre les activités humaines et le réchauffement demeure. Il faut le combattre en permanence en ouvrant le débat à la totalité des enjeux parce qu’avoir une vision purement physique n’aide pas à résoudre lesdits problèmes. Ce n’est pas à la science elle-même de donner les clefs du problème mais plutôt d’apporter des éclairages sur les solutions.

N’est-ce pas regrettable que la prise de conscience des modifications du climat ne se fasse bien souvent que par le seul prisme des catastrophes naturelles dont l’ampleur ces derniers mois fait écho aux messages des rapports du GIEC précédents ainsi que du dernier ?

Nous avons perdu du temps en ne prenant pas des décisions qui auraient pu être prises il y a quelques années en tenant compte des choses déjà visibles ou mises en avant par la science. La perte de temps est réelle, mais il faut avant tout regarder vers l’avant afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs.  De plus, il faut accorder plus de place au climat dans l’éducation et la formation.

« Il faut accorder plus de place au climat dans l’éducation et la formation.« 

Qu’attendre des travaux  des groupes 2 et 3 du GIEC prévus début 2022 ?

Leurs travaux permettront de voir les impacts et les espaces de solutions. Sauf que tout sera lié
aux moyens financiers internationaux mis en place pour lutter contre le réchauffement climatique. Il faut mettre en phase et rendre compatible les différentes échelles de l’action dans la réduction des gaz à effet de serre. Celle-ci doit être prise en compte du niveau international au niveau local avec une vision et des objectifs précis sur le long terme. Il faut maintenant aller vite dans la prise de décision.

Auriez-vous un dernier mot ?

On n’est pas dans un désert d’initiatives face au changement climatique. Partout dans le monde, des choses concrètes se font, il y a plein d’endroits où on investit et expérimente des solutions. Elles se mettent en place et il faut les suivre afin de s’assurer qu’on va dans la bonne direction. Il faut veiller à ce que les énergies que nous développons soient durables. Et, il faut raisonner de manière ouverte dans un cadre régional et international.

Promis recueillis par Julien Leprovost

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Un commentaire

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    • Balendard

    Le Lutin thermique que je suis est d’accord avec le climatologue Hervé le Treut:
    il y a bien COP et COP.
    Voir à ce sujet les préliminaires du chapitre 2 sur la consommation de l’énergie
    http://www.infoenergie.eu/riv+ener/essentiel.pdf

    Il estime en effet comme lui et vu l’urgence qu’il y a à agir qu’il serait temps d’expliquer clairement ce qu’il convient de FAIRE. Ceci pour tenter de résoudre nos dérives climatiques.

    Concernant ce que pourrait être les « bons choix » j’invite le lecteur à lire les autres chapitres