Hervé le Treut : « la difficulté est de passer d’une phase d’alerte à l’action »

herve le treut

Herve Le Treut © JACQUES DEMARTHON / AFP

Alors que la canicule de cet été rend palpable le changement climatique, le climatologue Hervé Le Treut répond à nos questions sur l’évolution du climat. Ce scientifique, membre de l’Académie des sciences et directeur de l’Institut Pierre Simon Laplace (IPSL) explique les difficultés d’agir face au réchauffement climatique.

Est-il possible de lier la canicule actuelle au réchauffement ?

Il faut faire attention à distinguer l’évènement et la tendance de fond. Nous émettons des gaz à effet de serre. Ces derniers entourent la planète et forment une enveloppe qui la réchauffe modifiant ainsi le climat. Cela se traduit aussi au niveau local, mais de manière un peu plus aléatoire, par les températures, les vents et les saisons. Chacune des canicules récentes tend à être plus forte car le mécanisme du réchauffement climatique intensifie localement les vagues de chaleur. Elles battent des records et vont continuer d’en battre car les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent. Ils s’accumulent dans l’atmosphère et mettent des décennies à disparaitre. Ce qui rend le retour en arrière très lent.

Une étude publiée dans la revue scientifique PNAS cette semaine met en lumière le risque de rendre certaines régions de la Terre inhabitables pour les êtres humains, qu’en pensez-vous ?

Je suis quelquefois réservé sur les articles qui montrent que la planète entière peut devenir inhabitable. Ils peuvent servir de réflexion exploratoire, mais restent avant des hypothèses. Toutefois, l’idée que certaines régions soient inhabitables est très proche de nous, de ce qu’on sait. Il existe déjà des régions du monde où la température dépasse les 50 degrés, par exemple au Pakistan. Le passé a montré les capacité adaptation de l’être humain à différents climats mêmes extrêmes comme dans le grand Nord. Mais, aujourd’hui, nous sommes plus nombreux, 7 milliards. Or, l’espace est déjà politiquement partagé. Nous sommes confrontés à toutes ces limites qui font du réchauffement un danger surtout que le changement climatique évolue rapidement.

Aujourd’hui, sur quelle trajectoire de réchauffement climatiques sommes-nous ?

Aujourd’hui, nous sommes sur des trajectoires plutôt hautes qui restent compatibles avec différents futurs. Quand on regarde les modèles de scénarios, les faisceaux de températures se séparent un peu plus tard. Nous ne sommes pas dans une phase où tout est écrit. Mais, nous quitterons bientôt cette phase d’indécision. Si nous continuons à rejeter des gaz à effet de serre, nous pouvons nous diriger vers 4 ou 5 degrés de hausse moyenne des températures, voire plus.

Est-ce qu’il y a un point de basculement à ne pas franchir ? lequel ?

Plusieurs points et mécanismes de bascule existent. La température critique n’est pas identifiée pour chacun d’entre eux. Parmi les points de basculement possibles : la fonte des glaciers, la disparition du permafrost ou encore la mortalité accélérée de certaines forêts, l’Amazonie par exemple. Il subsiste des incertitudes sur certains processus. Le méthane libéré par la fonte des sols gelés des hautes latitude va-t-il dans l’atmosphère ?  Est-il retransformé en CO2 ? ou bien compensé par une activité biologique plus intense dans ces régions ? Toutes ces rétroactions ne sont pas encore bien connues et dessinent des niveaux différents de danger. Si le système s’emballe, toutes les composantes du système climatique agiront ensembles. Il faut donc ne jamais relâcher l’attention, sinon cela aboutira à une escalade non-maitrisée du risque.

Avec les événements actuels, est-ce que les spécialistes du climat sont mieux écoutés ?

Oui et non. Depuis des décennies, la communauté scientifique sensibilise. La difficulté est de passer d’une phase d’alerte à l’action. Car l’action demande d’entrer dans la complexité : les limites du système climatique sont aussi les limites de la présence humaine sur Terre. Nous sommes plus de 7 milliards et bientôt 9 milliards. Nos ressources sont limitées, nous voulons aussi préserver la biodiversité et certaines solutions, comme l’énergie nucléaire, entrainent des pollutions de très longue durée et d’autres requièrent des ressources minérales limitées, notamment les terres rares employées dans les batteries et les panneaux photovoltaïques. Nous devons arbitrer entre ces différentes possibilités tout en étant confronté à des problèmes sociaux et politiques. Le changement climatique est par essence injuste. L’espace des solutions est restreint, il oblige à des débats et des compromis. Et nous avons du mal à les avoir,il est essentiel que chacun puisse participer à ces débats.

Pourquoi la sensibilisation et l’éducation ont encore un rôle majeur à jouer ?

Je pense qu’il faut associer les populations à la recherche des solutions parce que cela aide la prise de conscience.  Nous avons fait un travail sur l’anticipation et l’action face aux changements climatiques dans la région Nouvelle-Aquitaine. J’ai pu constater que très peu de personnes avaient bien compris l’effet de serre et le réchauffement du climat. L’alerte a été entendue, les gens ont conscience qu’il y a un problème. Mais s’ils ne perçoivent pas bien de quoi il s’agit, c’est du stress pur. Il faut sortir de l’inquiétude pour la transformer en envie de s’impliquer et de réparer les choses.

Propos recueillis par Julien Leprovost

[Sur le même sujet, lire aussi notre interview avec le climatologue Jean Jouzel : « on passe vraiment dans un autre monde : les extrêmes climatiques vont devenir plus extrêmes avec le réchauffement »]

8 commentaires

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  • Il se pourrait bien que l’évolution de la température en fonction du temps soit liée à la croissance. Si cela était le cas on ne peut que s’inquiéter en pensant à la dangerosité
    la croissance que l’on sait être exponentielle avec son indicateur actuel le PIB.

    Nul doute que si l’évolution de la température en fonction du temps était comme la croissance liée à cette fonction mathématique nous n’aurions pas d’autre choix que celui de passer à l’action sans plus attendre.

    Une action plutot concentrée sur le bâtiment qui pourrait se justifier par la célèbre phrase
    « quand le batiment va tout va »

    Une forme d’action qui a dejà été résumée dans un texte que j’ai déjà évoqué récemment sur Goodplanet et que je reprends ci-dessous :

    Paradoxalement c’est Claude Allègre notre célèbre climatosceptique qui a perçu le premier le risque du réchauffement climatique et qui n’a eu qu’un tort : Celui de se rétracter. On le sait maintenant grâce au recul en observant ce qui se passe sur notre planète.
    Faire en sorte que le pic des émissions de gaz à effet de serre survienne en 2020 comme le propose son détracteur de l’époque Jean Jouzel, c’est-à-dire dans deux ans sera très difficile à obtenir voire impossible. Nous avons malheureusement attendu trop longtemps avant d’agir pour obtenir ce résultat. Il faut du temps pour faire les choses.

    On sait maintenant que pour assurer plus efficacement le confort thermique dans l’habitat, un poste particulièrement lourd en termes de consommation de combustibles fossiles (Pour ne pas dire le poste le plus lourd devant l’agriculture, l’industrie, le transport aérien et l’alimentation), la thermodynamique et l’hydrogène vont venir au secours du bâtiment, le mot bâtiment étant pris ici au sens le plus large en incorporant la voiture familiale logée dans le sous-sol ou dans le jardin.
    Paris ne s’étant pas fait en un jour, il est probable que les systèmes de génération thermiques vont en effet évoluer dans un premier temps vers des systèmes hybrides. Mais pour obtenir ce résultat, il va falloir prendre conscience que l’orientation technique prise actuellement en ce qui concerne la thermodynamique en échangeant sur l’air aggrave pour finir le réchauffement climatique dans les villes en été. Il va falloir aussi prendre conscience que les températures source-froide/source-chaude du dispositif thermodynamique ont une influence importante sur les performances ce qui devrait être une condition supplémentaire pour assurer les échanges thermiques sur l’eau préférentiellement à l’air lorsque cela est possible.
    Il va probablement être nécessaire en raison de l’urgence de concentrer préférentiellement l’action vers le bâtiment existant. Là où se trouve le plus gros potentiel d’économie en énergie non renouvelable. L’énergie grise qui va être nécessaire pour mettre en place les infrastructures composées principalement de tuyauteries, d’échangeurs à plaques et de groupe motopompes n’est certes pas négligeable mais sera nettement moindre que celle qui serait nécessaire si l’on décidait de tout démolir pour reconstruire en respectant les nouvelles normes. Notre intérêt est de concentrer notre action vers la rénovation thermique du bâtiment existant. Le résultat que l’on peut en attendre en termes de réduction de gaz à effet de serre sera plus rapidement significatif. Cela dit la période transitoire nécessaire à la mise en place des infrastructures va nécessairement prendre plus de 2 ans. Par contre le résultat que l’on peut attendre de cette orientation ne sera pas négligeable et rejoins l’idée de Nicolas Hulot qui estime que l’on va devoir changer d’échelle. Diviser sensiblement par 2,5 la consommation d’énergie finale, combustibles fossiles et électricité confondus par rapport aux chaînes énergétiques actuelles c’est véritablement changer d’échelle. De ce fait diviser par 3 et en trente ans (La durée de vie moyenne d’une chaufferie) les émissions de gaz à effet de serre, soit à l’horizon 2050 ne semble pas inenvisageable. Ceci dit si nous voulons respecter ce scénario, il va falloir agir rapidement et mettre en place les infrastructures en organisant leur financement.
    Évoluer vers une société sobre en carbone implique la modification des chaines énergétiques utilisée actuellement pour assurer le confort thermique dans l’habitat. Quant à vivre dans un monde totalement décarboné, nous allons devoir pour ce faire abandonner totalement la combustion, même celle de l’hydrogène mélangée au gaz en hiver. Ceci en associant la pile à combustible à la « Solar Water Economy de l’enthalpie » et en mettant la rivière et nos nappes captives profondes à contribution. Il nous faudra aussi réfléchir à l’alimentation, à la possible nécessité de verdir les villes en profitant du réseau d’alimentation en eau non potable réalisé au titre des infrastructures. Ceci dans la mesure où l’intérêt économique de l’Europe est principalement de respecter les objectifs des accords de Paris sur le climat.

    Jean Grossmann auteur du livre « La Solar Water Economy avec la rivière »

      • Markito

      Albert Jacquard a écrit depuis plus de 35 ans que le problème est démographique. Et tant que nous serons sous domination capitaliste, l’argent va nous tuer…

  • AUCUN politicien n’ose parler de DECROISSANCE programmée ….. Ils sont tous , dépendants et soumis au capital. Ceux qui veulent bien faire sont pris en otage.
    Il font tous semblant de vouloir faire « quelque chose » mais … mais….

    • Izableue

    Malheureusement pour les hommes tout est linéaire. Ils n’envisagent pas qu’il y ait un seuil différent d’une équation linéaire. Et si les plantes arrêtaient d’un coup d’absorber le CO2 pour rejeter de l’oxygène ? Le phénomène de la chlorophylle n’a jamais été compris par l’homme. Il n’a jamais su crée la molécule chlorophylle. Autre hypothèse: et si nous avions une inversion du champ magnétique ? …etc. La liste d’autres hypothèses pourrait être longue. L’homme ne changera pas si il n’est pas au pied du mur. Et là il sera trop tard. Il pourrait commencer tout de suite. A ne plus consommer de sodas emballés dans des bouteilles en plastiques par exemple. Ou exiger que son shampoing soit emballé dans un emballage en carton ou en mais… Il faut passer à l’action.

    • Claude Renaud

    On pourrait aussi ne prendre l’avion qu’en cas de nécessité, et surtout pas en low cost. On pourrait aussi boycotter toutes les activités polluantes inutiles, comme les couses de F1, le Dakar ou les 24 heures du Mans. Il suffirait que chacun ait conscience de son bilan carbone et fasse en sorte qu’il
    soit raisonnable. Respecter l’environnement ne présente pas de difficultés majeures. Un comportement qui est facile pour les gens modestes, mais beaucoup plus difficile pour les nantis. C’est ceux-là qui posent problème.

  • Deux solutions fondamentales, parmi d’autres : priorité à la photosynthèse végétale et à l’humification (formation de l’humus, sol vivant).
    Formidables processus naturels, les plus puissants et globalement clés et réponses à de nombreuses problématiques sur notre Planète.
    Voir sites :
    – Planethumus, Agrihumus,
    – Ministère agricole France 4p1000,
    – Initiative internationale 4 pour 1000,
    – Recherche suisse PNR68

    • denise

    le climatologue Hervé Le Treut a réalisé un rapport de 144 pages sur les ressources en eau de la région nouvelle aquitaine … sans jamais parler de l’utilisation de l’eau de pluie ni du recyclage de l’eau, alors que nous vivons sous un climat océanique (avec une pluviométrie de 700mm par an qui nous permettrait une indépendance totale vis à vis des nappes phréatiques) et la molécule d’eau est recyclable à l’infini … curieux un climatologue qui ne parle pas de la pluie …

    Dans le corps humain, ce n’est pas la quantité d’eau qui maintient la vie mais la circulation de l’eau ! Arrêter de boire et vous allez mourir très vite !
    Dans notre environnement c’est EXACTEMENT la même chose et c’est la PLUIE qui est à l’origine de la circulation de l’eau !
    Si l’eau de pluie n’est pas utilisée par la Flore et la Faune avant son retour à la mer et si on accélère son évacuation (comme actuellement) , c’est comme si votre corps évacuait rapidement l’eau que vous buvez sans la faire circuler dans votre organisme : c’est la mort assurée.
    La faune et la flore ont besoin d’un apport constant d’eau, avec le réchauffement climatique les apports vont être de plus en plus fractionnés et les périodes sèches de plus en plus longues. Le seul moyen d’assurer la continuité des apports d’eau qui maintiennent toute la biodiversité, sans toucher aux nappes phréatiques, c’est de constituer des réserves d’eau de pluie !

    En France la plus grosse réserve d’eau douce, non calcaire, non privatisable et accessible à tous ne se trouve pas sous terre mais au dessus de nos têtes ! En Région nouvelle aquitaine le volume annuelle des précipitations est de 58 milliards de m3 alors que les prélèvements d’eau douce ne représentent que 1,5 milliards de m3 … Contrairement aux nappes phréatiques, vous ne pourrez jamais avoir une utilisation excessive de la pluie, c’est la nature qui décide ! Si vous manquez d’eau l’été c’est que vous n’avez pas fait assez de réserves l’hiver !

    Il y a 70 ans tout le monde avait des réserves d’eau de pluie, individuelle ou collective ! Dans certains villages on voit encore les mares collectives qui stockaient l’eau de pluie et qui étaient accessible à tous pour abreuver le bétail et le rafraichir pendant les canicules !
    Le confort de l’eau du robinet à partir des nappes phréatiques nous a fait oublié que notre principale ressource c’est la pluie, et qu’il faut d’abord penser à l’utiliser et ne pomper dans les nappes que si on ne peut pas faire autrement !

    Seule l’utilisation massive de la pluie sauvera nos nappes phréatiques, nos sources, nos cours d’eau et donc toute la vie qui en découle !

    • denise

    Dans le corps humain, ce n’est pas la quantité d’eau qui maintient la vie mais la circulation de l’eau ! Arrêter de boire et vous allez mourir très vite !
    Dans notre environnement c’est EXACTEMENT la même chose et c’est la PLUIE qui est à l’origine de la circulation de l’eau !
    Si l’eau de pluie n’est pas utilisée par la Flore et la Faune avant son retour à la mer et si on accélère son évacuation (comme actuellement) , c’est comme si votre corps évacuait rapidement l’eau que vous buvez sans la faire circuler dans votre organisme : c’est la mort assurée.
    La faune et la flore ont besoin d’un apport constant d’eau, avec le réchauffement climatique les apports vont être de plus en plus fractionnés et les périodes sèches de plus en plus longues. Le seul moyen d’assurer la continuité des apports d’eau qui maintiennent toute la biodiversité, sans toucher aux nappes phréatiques, c’est de constituer des réserves d’eau de pluie !

    En France la plus grosse réserve d’eau douce, non calcaire, non privatisable et accessible à tous ne se trouve pas sous terre mais au dessus de nos têtes ! En Région nouvelle aquitaine le volume annuelle des précipitations est de 58 milliards de m3 alors que les prélèvements d’eau douce ne représentent que 1,5 milliards de m3 … Contrairement aux nappes phréatiques, vous ne pourrez jamais avoir une utilisation excessive de la pluie, c’est la nature qui décide ! Si vous manquez d’eau l’été c’est que vous n’avez pas fait assez de réserves l’hiver !

    Il y a 70 ans tout le monde avait des réserves d’eau de pluie, individuelle ou collective ! Dans certains villages on voit encore les mares collectives qui stockaient l’eau de pluie et qui étaient accessible à tous pour abreuver le bétail et le rafraichir pendant les canicules !
    Le confort de l’eau du robinet à partir des nappes phréatiques nous a fait oublié que notre principale ressource c’est la pluie, et qu’il faut d’abord penser à l’utiliser et ne pomper dans les nappes que si on ne peut pas faire autrement !

    Seule l’utilisation massive de la pluie sauvera nos nappes phréatiques, nos sources, nos cours d’eau et donc toute la vie qui en découle !