La biodiversité, le sujet négligé, sinon oublié, des élections à venir

biodiversité présidentielles 2022

Biche en liberté dans la vallée de Chevreuse, Yvelines, France (48°50’ N – 1°47’ E). © T=Yann Arthus-Bertrand

En plus du réchauffement climatique, les scientifiques ne cessent d’alerter sur la menace que représente la sixième extinction de masse de la biodiversité. Elle se traduit par la diminution des populations et la disparition des espèces vivantes. Le phénomène mondial n’épargne pas la France. Or, la préservation de la biodiversité se montre indispensable pour la survie de l’espèce humaine. Même si l’environnement se classe de plus en plus souvent en tête des préoccupations des Français dans les sondages, le sujet de la biodiversité peine à mobiliser l’attention des médias et du grand public, sauf quand il s’agit de mammifères ou d’espèces emblématiques. À l’heure actuelle, peu de candidats à la présidentielle s’en sont emparés. La question s’avère cependant préoccupante, d’autant plus que les causes de l’érosion du vivant sont multiples et connues : pollution aux produits chimiques, urbanisation, sélection des variétés, agriculture intensive, surexploitation des ressources naturelles… et appellent des réponses qui concernent tous les aspects de la vie. Le 1er février 2022, 1 400 scientifiques signent une tribune relayée par France Info pour appeler les candidats aux futures élections à se saisir du sujet. Ils y constatent : « avec inquiétude l’absence de débat démocratique dans la campagne présidentielle sur les graves bouleversements en cours et à venir, qui concernent le climat, l’océan, la biodiversité ou les pollutions. »

Quelle place pour la biodiversité dans la campagne présidentielle ?

Marc Giraud, porte-parole de l’ASPAS (Association pour la Protection des Animaux Sauvages) joint quelques semaines avant la turbine de France Info, formule des revendications précises pour la prochaine mandature : « nous attendons que les lois sur les espèces et les espaces protégés soient respectées. La France ne fait pas son boulot dans la protection du loup, de l’ours ou des prédateurs, or il y a des lois européennes et françaises, mais il existe des dérogations dans tous les sens, en particulier pour la chasse. » Il dénonce le lobby de la chasse « très puissant dans notre pays » et aimerait que le gouvernement « prenne à bras le corps le vrai problème qu’est la disparition de la biodiversité ». L’ASPAS attend des mesures afin de limiter la chasse, dont une trêve hebdomadaire « comme cela existe dans d’autres pays européens ». Lorsqu’on lui demande s’il ne craint pas que le sujet de la chasse éclipse les autres enjeux de la biodiversité, il répond par l’affirmative, mais rappelle que « de nombreuses espèces d’oiseaux chassées sont en mauvais état » et que « les politiques devraient suivre les évolutions de l’opinion, il y a maintenant certainement plus de végétariens que de chasseurs. »

La chasse pourrait en effet éluder les autres enjeux de la biodiversité, tant elle se montre clivante. La présidence d’Emmanuel Macron a été marqué par le départ du gouvernement de Nicolas Hulot, alors ministre de l’Écologie avait justifié en partie sa démission fracassante à cause du poids du lobby des chasseurs. « On est souvent dans des sujets polémiques enfermés à la chasse et à la pêche », regrette Maud Lelievre, présidente du comité française de l’Union Internationale pour la Conversation de la Naute, contactée quelques jours avant la publication de la tribune de France Info. « Il faut que l’ensemble des candidats aient une réflexion étendue sur le sujet et cochent la case de la biodiversité. » L’ASPAS et l’UICN se rejoignent pour dire que la France a besoin de renforcer ses espaces protégés. Marc Giraud de l’ASPAS, qui créée des réserves privées, estime que protéger « 20 % des surfaces de nature en France est de l’ordre du possible en laissant la nature faire » sans que cela ne gêne les activités humaines.

 « On attend des décisions, des financements et des politiques publiques allant dans le sens de la préservation de la biodiversité », affirme Maud Lelievre qui espère également que le futur président portera au niveau international le rapprochement entre le sujet climat et le sujet biodiversité. La thématique est compliquée en raison de ses dimensions multiples, elle a par ailleurs des échelles allant du local au national à l’international. Or, l’écologie tend souvent à se retrouver confrontée aux urgences économiques et sociales. Or, « il ne faut pas éluder le sujet de la biodiversité, ni le penser déconnecté de l’économie et du social. Par exemple, la transition écologique pour l’agriculture mérite d’être pensée au niveau national et international, il faut miser dessus afin de garantir un cadre de vie durable aux populations rurales, elle joue un rôle dans les prix de l’alimentation tandis que la question des pesticides a des répercussions sanitaires qui concernent l’ensemble de la société. »

La biodiversité, un enjeu national

La grande crise que traverse le vivant touche la France. Selon la Liste Rouge de l’UICN https://uicn.fr/liste-rouge-france/  (Union Internationale pour la Conservation de la Nature), « en France métropolitaine, 14 % des mammifères, 24% des reptiles, 23 % des amphibiens et 32% des oiseaux nicheurs sont menacés de disparition du territoire. Tout comme 19 % des poissons d’eau douce et 28 % des crustacés d’eau douce. Pour la flore, 15 % des espèces d’orchidées sont menacées. ». Et, il ne faut pas oublier les territoires ultramarins qui abritent 9 espèces sur 10 en France, pour lesquelles la situation est pire.

Selon un sondage Ipsos Sopra-Steria pour Le Monde publié en septembre 2021, la protection de l’environnement arrive en seconde place des préoccupations des Français.  Toutefois, un autre sondage IFOP d’octobre 2021 révèle que le thème de la biodiversité n’est pas cité parmi les 3 premiers (ce sont les catastrophes naturelles, le dérèglement climatique et les pollutions) quand les Français pensent aux enjeux environnementaux.  Marc Giraud note que « la nature, comme la culture, a été jusqu’à présent inexistante dans les débats télévisés. À vivre dans un monde artificialisé, on oublie que tout vient du vivant » regrettant un début de campagne phagocyté par « des buzz qui font dire à tous les candidats à peu près la même chose sans parler de la nature. À ce niveau, c’est de la non-assistance aux peuples et aux espèces en danger. »

Pourtant, Maud Lelievre de l’UICN estime que le bilan est plus mitigé car « on est passé en 10 ans d’une méconnaissance de ce qu’était la biodiversité à une vraie prise de conscience, qui s’est traduite notamment par la création d’organismes comme l’Office français de la biodiversité ou l’IPBES [NDLR qui est à la biodiversité ce que le GIEC est au climat, c’est-à-dire un groupe intergouvernemental de scientifiques dont la mission est d’informer les décideurs sur l’état des connaissances sur la biodiversité et sa dégradation]. » Maud Lelievre précise : « on a aujourd’hui une vraie connaissance des causes de la dégradation des écosystèmes. Dans les grandes lignes, ce sont la transformation des écosystèmes par les aménagements, l’agriculture ou l’urbanisation, les pollutions, la surexploitation des ressources naturelles, notamment en ce qui concerne les océans et les forêts, le réchauffement climatique et les invasions biologiques. »  Le constat et le diagnostic sont donc bel et bien là sur l’érosion de la biodiversité, mais le sujet englobe tous les aspects de la vie et de l’économie. Le fait d’avoir identifié les causes offre déjà des perspectives pour l’action. La présidente de l’UICN estime qu’il est « urgent de travailler sur la préservation du climat, l’épuration des eaux, le maintien des pollinisateurs. Il nous faut des changements transformateurs dans l’économie et dans les politiques publiques. » 

Julien Leprovost

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3 commentaires

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    • Balendard

    Il serait temps en effet en complément du covid que nos hommes politiques prennent conscience de l’importance de nos zones humides en ce qui concerne la biodiversité et la protection de la faune.
    Cela également pour tenir compte de leur utilité dans le cadre de nos nouvelles chaines énergétiques et de la « Solar Water Economy ». Voir
    http://www.infoenergie.eu/riv+ener/1l'eau.pdf

    • Nathalie CERF

    Le covid est un avertissement mais les politiques n en tiennent pas compte ils sont dans leur monde des arrivistes uniquement. Le essentiel de notre survie dépend de notre environnement ils ont des oeillères. Ouver les yeux s il vous plait atterisser c est maintenant ou jamais mesdames et messieurs les politiques.

    • Claude Courty

    Pour s’en souvenir, encore faudrait-il que les candidats aient conscience du sujet, voire ne le nient pas.