Venezuela : pêche à la voile et vélo-taxi dans la région pétrolière sans carburant

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Une famille à bord d'un vélo-taxi le 29 juillet 2021 à Maracaibo, au Venezuela © AFP Luis BRAVO

Maracaibo (Venezuela) (AFP) – Le lac de Maracaibo (nord-ouest), berceau de l’industrie pétrolière vénézuélienne, connaît le paradoxe de vivre sans carburant: les pêcheurs sont condamnés à la voile et des chauffeurs de bus pédalent désormais sur des vélos-taxis.

Franklin, 28 ans, maigre pêcheur aux bras musculeux, s’éloigne à l’aube du rivage à bord de sa petite embarcation. Il a fabriqué lui-même les rames et surtout le double-mât amovible. Ses voiles? Une toile en plastique ou des draps.

« On utilise la voile parce qu’il n’y a pas d’essence », dit-il tout en écopant l’eau qui s’infiltre dans son bateau.

Quelques heures plus tard, il a sorti de l’eau sept courbines, un poisson à chair blanche, et retourne vers Los Puertos de Altagracia, village situé à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Maracaibo, deuxième ville du Venezuela.

Le retour est long. Ce qu’il faisait en quelques minutes avec son moteur, lui prend désormais beaucoup plus de temps. Il ne peut plus compter que sur le vent et ses bras. « On a pris l’habitude », dit-il.

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Un pêcheur sur le lac de Maracaibo, au Venezuela, le 30 juillet 2021
© AFP Luis BRAVO

A l’arrivée, il vend cinq poissons et en garde deux pour le repas avec sa femme et son fils âgé de deux ans.

Certains de ses collègues ont installé des petites hélices fonctionnant avec des petits moteurs remplaçant ainsi leurs puissants moteurs hors-bord. Ce dispositif artisanal permet de pêcher avec beaucoup moins de carburant. 4 litres suffisent pour une sortie contre 20 avec les moteurs traditionnels.

Essence importée

Autrefois gratuite ou très peu chère, l’essence est désormais rare et s’échange jusqu’à deux dollars le litre, un prix jugé exorbitant.

Jadis riche pays pétrolier, le Venezuela a vu son Produit intérieur brut chuter de 80% depuis 2013 et 65% des ménages vivent dans la pauvreté. Sa production pétrolière est passée de 3 millions de barils par jour à un peu plus de 500.000 alors que la capacité des raffineries locales s’est réduite comme peau de chagrin faute d’investissement et d’entretien.

Le gouvernement accuse les sanctions économiques internationales d’avoir paralysé la production et le raffinage. Le pays est aujourd’hui obligé d’importer de l’essence.

Souvent les pêcheurs empruntent du carburant aux vendeurs de poissons, escomptant une bonne journée de pêche qui rapporte 25 dollars les bons jours. Mais, parfois, le pêcheur revient bredouille ou presque, et ne couvre pas ses frais.

« Aujourd’hui, j’ai perdu de l’essence et du travail… Je n’ai presque rien pêché et je me suis dépensé pour rien », raconte Jonathan, qui exhibe, dépité, une poignée de poissons rachitiques et deux grosses crevettes.

En général, les pêcheurs vendent leurs prises à Maracaibo mais il leur arrive désormais de devoir dormir dans l’ancienne ville coloniale, faute de vent pour rejoindre Los Puertos de Altagracia.

Autre paradoxe: s’ils sont privés d’essence, ils doivent faire face aux fuites des forages. Souvent vétustes et mal entretenus, les puits et pipelines laissent régulièrement échapper du brut qui forme des nappes de pétrole.

Selon l’ONG Azul Ambientalistas, il y a 25.000 km de tuyauterie pétrolière dans le lac où le pétrole a été découvert en 1914.

A la force des mollets

A Maracaibo, les mini-bus ou bus ont cédé la place aux vélos-taxis, bicyclettes transformées en triporteurs à pédales.

Manuel, 28 ans, dont la femme attend leur premier enfant, conduisait un bus de cinquante personnes. Il vit désormais à la force de ses mollets. « Le propriétaire du bus a cessé l’activité faute d’essence », dit-il.

Agé de 51 ans, Hender Urdaneta est membre d’une milice bolivarienne dont il porte fièrement le béret. Il fait aussi vélo-taxi, l’inflation ayant rogné ses revenus.

« Je sors de temps en temps parce j’ai besoin d’argent pour acheter des médicaments pour ma femme qui n’a qu’un seul rein et ne peut plus travailler. Ca fait plus d’un an que je fais ça », dit-il.

S’il se plaint de son dos, il refuse d’envisager de quitter le pays comme l’ont fait plus de cinq des 30 millions de Vénézuéliens pendant la crise. La Colombie voisine a accueilli à elle seule 1,8 million d’immigrants vénézuéliens.

Fier, le milicien répète son allégeance au président Nicolas Maduro: « Je suis né ici, je mourrai ici. Avec mes bottes aux pieds. Comme un soldat de la patrie, comme un milicien ».

© AFP

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