Matthieu Auzanneau de The Shift Project à propos du pic pétrolier en Europe d’ici 2030 : « si on sort du pétrole pour le climat, nous sommes sauvés de Mad Max »

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Raffinerie de pétrole au Koweït © Yann Arthus-Bertrand

L’Europe risque de faire face à une baisse conséquente de ses importations de pétrole dans la décennie à venir. C’est ce que le think-tank The Shift Project affirme dans son dernier rapport. L’Europe dispose donc de 10 ans pour apprendre à se passer de pétrole.  Retour sur le pic pétrolier européen avec Matthieu Auzanneau, directeur de The Shift Project, auteur du rapport et spécialiste des hydrocarbures.

Le dernier rapport du Shift Project affirme que l’Union européenne risque de connaître une contraction du volume total de ses sources actuelles d’approvisionnement en pétrole pouvant aller jusqu’à 8 % entre 2019 et 2030. Dans quelle mesure ce chiffre de 8 % est important ?

Sans être une prédiction, ce chiffre de 8 % décrit le risque encouru à court et moyen terme par l’Union européenne en ce qui concerne ses approvisionnements pétroliers. La production de pétrole facile à extraire se heurte à des limites géologiques, ces réserves sont de moins en moins disponibles. Il est possible que l’Europe subisse directement ou indirectement les conséquences d’un déclin de l’extraction du pétrole conventionnel au niveau mondial, d’autant plus que la demande en pétrole ne cesse d’augmenter. Tant que la transition énergétique entreprise au nom du climat n’est pas achevée, l’Europe, qui est le premier importateur mondial, risque de se faire rattraper par une pénurie de pétrole au niveau mondial.

Concrètement qu’est-ce cela signifie au quotidien ?

Le pétrole demeure le sang de l’économie mondiale et comme l’organisme croît, il a toujours besoin de plus de sang. Il faut apprendre à faire autrement en planifiant la sortie du pétrole. La production de la Russie, qui fournit 30 % du pétrole de l’Europe, décline car les champs se vident. Les compagnies peinent à trouver et exploiter de nouveaux gisements. Ce constat induit de nombreuses conséquences possibles sur le plan économique et géopolitique. En effet, le pétrole finance très largement le régime de Vladimir Poutine, qui n’est pas le mahatma Gandhi. Dès lors, il convient de se demander ce que cela implique pour un régime plutôt belliqueux de voir sa première ressource économique se contracter. Il faut s’interroger sur le risque sécuritaire pour l’Europe et y voir une raison supplémentaire de ne plus dépendre ni du pétrole, ni de Monsieur Poutine.

Est-ce que cela revient à dire que les objectifs actuels de l’Union européenne pour réduire sa consommation d’énergie et diminuer ses rejets de gaz à effet de serre sont insuffisants ? Et donc qu’il faut les intensifier ?

Les objectifs fixés par l’Europe s’accordent avec les objectifs climatiques. Ils sont même un garde-fou, car si on sort du pétrole pour le climat, nous sommes sauvés de Mad Max et des limites géologiques. Les ambitions sont de bons points d’arrivée, mais il manque la façon de faire technique et politique pour les atteindre. Nous n’avons pas encore pris des mesures à la hauteur du défi parce que, malgré une intuition du danger largement partagée dans la société, nous rechignons à renoncer au pétrole. Or, apprendre à s’en passer revient à réussir une opération à cœur ouvert, pour assurer la survie de nos sociétés très voraces en énergie. L’accès à l’énergie surdétermine le système économique, social, politique et culturel.

Le pic pétrolier ne souffre-t-il pas de donner l’impression d’être une réalité toujours repoussée à cause de l’émergence des pétroles non conventionnels et l’incroyable volatilité du prix du pétrole ?

La vérité du pic pétrolier a été prononcée trop tôt. Ce n’est pas simple d’être un précurseur. Si le pic n’a pas encore été franchi au niveau mondial pour l’ensemble des carburants -et il le sera tôt ou tard-, le pic a bien été franchi pour le pétrole conventionnel. Ce pétrole-là, qu’on sait produire à des coûts raisonnables, le plus facile à produire en grande quantité, a franchi son pic en 2008 : ses réserves et sa production diminuent doucement mais sûrement, et de façon irréversible. Il représente les trois quarts du pétrole mondial. Le boom du pétrole de schiste aux États-Unis a masqué le phénomène. Certains ont conclu trop hâtivement qu’il n’y avait plus de problèmes. Pourtant le fait même d’être contraint à aller chercher les pétroles non-conventionnels est un symptôme de l’épuisement des ressources conventionnelles. Il faut savoir que, depuis le début du boom en 2008, la plupart des entreprises ayant recours à la fracturation pour exploiter le pétrole de schiste n’ont fait que perdre de l’argent ! De fait, il y a l’or noir du pétrole conventionnel, entré en déclin, et il y a ses ersatz que sont les pétroles non conventionnels. Nous sommes entrés dans l’ère où seuls les ersatz peuvent compenser le déclin de l’or noir.

Quelles ont été les réactions à la parution de ce rapport ?

Avec ce travail, le premier objectif est d’alerter les gens dont le métier consiste à prendre en compte les risques. Nous disons que cela vaut le coup d’être moins naïf et de tenir compte de l’expérience des décennies passées. L’Europe reste le premier importateur mondial de pétrole. Par exemple, si vous constatez que la production de pétrole en Algérie ou au Nigeria se tarit, cela dépasse la question du climat et rejoint les questions de stabilité géopolitique. Ces deux pays, où l’or noir est un pilier économique vacillant, peuvent connaître un scénario similaire à celui du Venezuela. Cela se répercuterait jusqu’en Europe tant sur le plan de l’approvisionnement en énergie, que sur le plan économique au sens large, ainsi que sur les plans politique, social et sécuritaire.

Que préconisez-vous afin que l’Union se prépare à cette réduction de ses approvisionnements en pétrole ?

S’affranchir du pétrole requiert des discussions concrètes et franches secteur par secteur, du transport au bâtiment, en passant par l’agriculture et l’industrie. Le sujet mérite de remettre en cause certains dogmes et certaines idées préconçues. Afin d’organiser la sortie du pétrole, il est nécessaire de parler de planification. Une stratégie systémique de lucidité fondée sur le pessimisme raisonnable doit voir le jour pour, non seulement pour lutter contre le dérèglement climatique, mais aussi pour revoir nos modes de vie. Les issues heureuses dans la manière de se déplacer, de se nourrir, de consommer ou de produire restent possibles. En France, nous avons la chance qu’une large part de nos concitoyens partage ce constat. 

Dans ce contexte, quel regard portez-vous sur les propositions de la Convection Citoyenne pour le Climat ?

Elle propose de nombreuses mesures intéressantes. Aujourd’hui, le diagnostic et les outils ne manquent pas. Mais le plan de montage, c’est-à-dire des choix politiques clairs sur l’évolution qui concernent la voiture individuelle, les transports, l’alimentation, la production, continue de faire défaut. Les changements peuvent s’effectuer sans que cela représente un coût excessif, ils attendent juste une décision collective de faire les choses différemment.

Propos recueillis par Julien Leprovost

Pour aller plus loin
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6 commentaires

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    • Vincent

    J’ai lu le rapport (40 pages). Très accessible et riche en graphiques pertinents. Je suis assez d’accord avec M. Auzanneau sur le futur (pas vraiment gai) en ce qui concerne l’UE d’une part et surtout pour certains pays qui vont subir peu ou prou le même destin funeste que le Venezuela : Algérie, Nigéria, Angola voire le Mexique…

    • Guettab

    Nous sommes en 2020. On a plus besoin de ces énergies polluantes. La technologie commence à prendre le dessus. Seule chose qui bat encore de l’aile, est la communication et la transparence entre acteurs de la transition écologique.
    Moi, je suis convaincus d’atteindre le but visé, de ne plus utiliser les énergies fossiles, y compris l’uranium, dans un temps très proche,
    au profit des nouvelles technologies et en plus très économiques.

    • Vincent

    Pour rappel M. Guettab, les combustibles fossiles correspondent encore à plus de 80% du mix énergétique mondial en 2020. Donc penser que l’on va en sortir totalement et en plus « dans un futur proche » relève de l’utopie à moins que votre futur proche ne désigne le XXIIème siècle…
    Aucun des scénarios établi par tous les spécialistes de l’énergie (AIE, EIA, Rystad, Wood Mackenzie) ne fait état d’une sortie des fossiles d’ici à 2050 : une diminution oui mais une sortie totale absolument pas.
    Attention à ne pas confondre désir et réalité et contraintes techniques…

    • Balendard

    Vous avez raison monsieur Guettab les technologies sont là comme je viens de l’expliquer dans GoodPlanet pour le poste le plus lourd : celui de l’énergie thermique nécessaire au confort de l’habitat Voir
    https://www.goodplanet.info/?mailpoet_router&endpoint=track&action=click&data=WyI5MzAyIiwidmp3eWZpMWdrNm9vNGt3YzRnc3drY3dvMDRrOG84MDQiLCIzMzUiLCIzNmVkY2M1ODE0NjciLGZhbHNlXQ

    Malheureusement homo sapiens c’est pour l’instant la grenouille d’Al Gore qui commence à s’endormir dans une dangereuse tiédeur sans réaliser que celle-ci l’entraîne vers une mort certaine. Mais homo sapiens n’est pas stupide. Pour survivre il a compris qu’il va devoir sauter hors du chaudron. Ce qu’il n’a pas bien assimilé c’est vous l’avez bien pressenti monsieur Vincent c’est l’important travail qu’il va falloir accomplir pour abandonner complètement la combustion et l’uranium. Paris ne s’est pas fait en un jour et il nous faudra pour cela deux voir trois générations pendant lesquels homo sapiens va devoir subir les contraintes de la transition

    • Christine

    Tant qu’il restera une goutte de pétrole, conventionnel ou non, qui peut rapporter de l’argent à quelqu’un.e, rien n’adviendra. A moins que ces personnes ne fassent leur transition, rêvons un peu, mais, hélas, pour les mêmes raisons de profit strictement financier, faut pas rêver ! Moralité, on se trompe de cible. Le citoyen ne peut rien, l’économie décide et décidera de tout, sans nous.

    • Balendard

    Je crains que vous n’ayez raison Christine

    Je lutin thermique que je suis pensais que notre petit monde était divisé en deux en ce qui concerne l’énergie à savoir pour être plus précis d’un côté ceux qui pense savoir et de l’autre ceux qui souhaite apprendre. Quant à Albert Einstein, il a tient des propos plus sévères que moi lorsqu’il parle de notre monde au sens le plus large à savoir l’univers. Ceci en estimant que « deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue ».

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