Romain Barrès, chercheur sur les effets sanitaires des aliments ultra-transformés : « l’alimentation ultra-transformée est une question de santé publique majeure »

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Un caddie dans un rayon de supermarché © Image par Alexa de Pixabay

À la fin du mois d’août, une étude scientifique sur les effets sanitaires de l’alimentation ultra-transformée a fait la Une des médias. Romain Barrès, directeur de recherche CNRS à l’Institut de Pharmacologie Moléculaire et Cellulaire (IPMC) de Valbonne, a dirigé ces travaux publiés dans la revue Cell Metabolism. L’équipe internationale de scientifiques a ainsi montré certains des effets néfastes de la nourriture ultra-transformée sur la santé et le système reproducteur. Leur article Effect of ultra-processed food consumption on male reproductive and metabolic health (Les effets de la consommation d’aliments ultra-transformés sur le métabolisme et la santé reproductive chez l’homme) montrent qu’ils peuvent être observés rapidement et indépendamment des calories consommées. Dans un entretien avec GoodPlanet Mag’, Romain Barrès revient sur les résultats de ses recherches.

Qu’est-ce qu’un produit ultra-transformé ? Comment le reconnaitre ?

Un produit ultra- transformé est un produit industriel fait à partir d’ingrédients eux-mêmes transformés grâce à des processus complexes. Ainsi, ils contiennent deux types d’ingrédients : des macros-nutriments modifiés comme des huiles hydrogénées, de l’amidon modifié ou bien du sucre inverti et aussi des substances pour rehausser la texture et les arômes. On y trouve donc des émulsifiants.

« Les produits ultra-transformés ne sont cependant pas à confondre avec les aliments transformés »

Les produits ultra-transformés ne sont cependant pas à confondre avec les aliments transformés car ces derniers sont des aliments qu’on peut faire soi-même à la maison. Les produits ultra-transformés contiennent au moins un ingrédient qui ne se trouve pas dans une cuisine conventionnelle, comme ceux cités avant. Une bonne manière de reconnaître les produits ultra-transformés est qu’il s’agit souvent de produits vendus dans les supermarchés, emballés dans du plastique. Ils sont composés d’au moins 4 ou 5 ingrédients, dont au moins un ou deux qu’il n’est pas possible de se procurer à titre individuel afin de cuisiner.

Quelle est l’ampleur du phénomène ? Le CNRS indique 80 % des produits vendus en supermarché, est-ce réellement le cas ?

En effet, 80 % de l’offre alimentaire des supermarchés est ultra-transformée.

« 80 % de l’offre alimentaire des supermarchés est ultra-transformée »

Sur quoi ont porté vos recherches sur les aliments ultra-transformés ?

Nos travaux cherchent à déterminer ce qui, dans les produits ultra-transformés, se montre délétère pour la santé. Jusqu’à présent, les études de cohorte, c’est-à-dire sur un groupe de personnes choisies, ont montré que les participants mangent mécaniquement plus de calories lorsqu’ils mangent ultra-transformé. Cela s’explique sans doute car ces aliments sont plus appétissants et entraîne donc une prise alimentaire plus importante. Nous avons donc voulu savoir si ces aliments sont nocifs pour la santé en raison d’une prise excessive de calories ou parce que la nature des aliments est en elle-même néfaste pour la santé.

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© Romain Barrès adapté de l’article sous Licence open access CC BY 4.0

Comment avez-vous procédé ?

La configuration de l’expérience visait à dissocier la prise de calories de la nature du régime alimentaire afin de déterminer ce qui sera associé à telle ou telle modification de la santé.

« 500 kilocalories supplémentaires par jour, ce surplus équivaut à l’excès de prise de calories lorsqu’on consomme des produits ultra-transformés. »

 Pour répondre à cette question, nous avons fourni deux types de régimes à une quarantaine de participants. L’un des régimes était basé sur des produits ultra-transformés tandis que l’autre ne l’était pas, mais tous deux contenaient le même nombre de calories. Les participants ont suivi chacun des régimes durant 3 semaines avec trois mois d’intervalle entre les deux phases de l’expérimentation.

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Nous avons également constitué deux groupes. L’un a reçu un volume de calories en adéquation avec son poids, sa taille, son âge et son activité physique alors que l’autre recevait 500 kilocalories supplémentaires par jour. Ce surplus équivaut à ce qu’on observe comme excès de prise de calories lorsqu’on consomme des produits ultra-transformés.

Quels ont donc été les résultats de cette expérimentation ?

Il en ressort que pour le poids et le mauvais cholestérol, qui est un marqueur de maladies cardiovasculaires, c’est davantage la composition des aliments que leur valeur calorique qui entre en ligne de compte. À calories égales, c’est la dimension ultra-transformée des aliments qui a un impact sur ces marqueurs de santé. Elle est associée à une prise de poids moyenne de 1,5 kg dont environ les deux tiers sont de la masse grasse.

« Une prise de poids moyenne de 1,5 kg dont environ les deux tiers sont de la masse grasse. »

Pour d’autres marqueurs de santé, il semble que l’effet de l’ultra-transformation se rajoute à celui des calories. Par exemple, les calories semblent entrer en jeu pour la qualité du sperme et les hormones sexuelles.

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Comment expliquer l’impact des aliments ultra-transformés sur la santé reproductive masculine ? Le caractère de perturbateur endocrinien s’explique-t-il par la présence de molécules de synthèse ?

Pour le moment, nous ne savons pas encore. Nous avons juste mesuré davantage de phtalates dans le sang et dans le liquide séminal des participants après régime ultra-transformé. Les phtalates, bien connus pour être des perturbateurs endocriniens, entrent dans la composition des plastiques. Nous estimons qu’ils contaminent les aliments car on en retrouve plus dans le corps après régime ultra-transformé que régime non-ultra-transformé. Nous émettons l’hypothèse qu’en mangeant ultra-transformé, les perturbateurs endocriniens accumulés perturbent notre système reproducteur. Ils doivent probablement altérer le niveau de certaines hormones, dont les hormones sexuelles.

« Nous émettons l’hypothèse qu’en mangeant ultra-transformé, les perturbateurs endocriniens accumulés perturbent notre système reproducteur. »

Pourquoi si peu d’études sur l’impact sanitaire des produits ultra-transformés ont été réalisées ?

En fait, de nombreuses études épidémiologiques ont été réalisées et une cinquantaine sont très solides. En revanche, les études comme celle que nous avons menées, dites de cohorte, sont plus rares car elles sont plus difficiles et coûteuses à entreprendre. Elles demandent de trouver un certain nombre de participants, de déposer un protocole clinique, de fournir des régimes. Elles s’effectuent soit en labo soit en milieu hospitalier, ce qui requiert du personnel. Il n’y en a donc eu que 4 de réalisées jusqu’à maintenant. La première remontant à 2019.

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Qu’apporte alors votre étude dans la compréhension du phénomène ?

Nous sommes sûrs qu’il y a une causalité dans les effets sur le métabolisme (prise de poids et mauvais cholestérol) de l’alimentation ultra-transformée, car nous fournissons, ou pas, le régime. Il s’agit bien d’une causalité, et non pas d’une corrélation, car les modifications sur la santé s’opèrent quand nous fournissons le régime à base d’aliments ultra-transformés.

« Nous sommes sûrs qu’il y a une causalité dans les effets sur le métabolisme de l’alimentation ultra-transformée »

Par contre, puisque nous n’avons pas fourni les perturbateurs endocriniens, nous n’avons pas pu établir le lien de causalité. Sur la relation nourriture ultra-transformée et santé reproductive, une corrélation peut exister, pour le savoir il faudrait des études plus approfondies.

Quelles seraient les prochaines étapes de recherche sur ce sujet ?

De façon incrémentielle, il faudrait déterminer si ces effets sont identiques chez les femmes ou des sujets plus jeunes ou plus âgés. Nous n’avons étudié que les hommes car nous étions intéressés par la santé des gamètes et les gamètes mâles sont plus facile à étudier. Il serait aussi intéressant de savoir si les effets varient selon le sexe et s’ils se traduisent sur la génération suivante. En d’autres termes, est-ce que consommer de la nourriture ultra-transformée avant de concevoir un enfant influencerait sa santé plus tard ? Ce type d’étude chercherait alors à identifier d’éventuelles modifications épigénétiques, qui sans se produire sur l’ADN même, parviennent à affecter le développement de l’embryon.

Diriez-vous que l’alimentation ultra-transformée est une question de santé publique ? Si oui, est-elle bien prise en compte ?

L’alimentation ultra-transformée est une question de santé publique majeure. Mon rôle, en tant que scientifique, est avant tout d’effectuer des recherches pour comprendre et documenter ce qui se passe. Cependant, nos études ne font que confirmer les études épidémiologiques qui montrent une hausse des risques pour la santé des personnes qui consomment beaucoup d’alimentation ultra-transformée.

« L’alimentation ultra-transformée est une question de santé publique majeure. »

Vu le coût très important des pathologies associées, telles que les maladies cardiovasculaires, le diabète de type II, les comorbidités associées à l’obésité et à certains cancers spécifiques, il est important de considérer qu’il y a une urgence. Les méfaits sur la santé de l’alimentation ultra-transformée sont à mettre au même plan que ceux du tabac et de l’alcool.

Que faire alors ?

Selon moi, l’urgence se trouve d’abord dans l’information plutôt que dans le procès d’intention à l’encontre de l’industrie. Il est difficile de faire un procès d’intention à l’ensemble de l’agro-industrie dans le sens où il ne s’agit pas d’une seule entité. Ensuite, si les pouvoirs publics s’attellent à mieux informer le consommateur, je pense que le consommateur aura un meilleur comportement qui contraindra l’industrie à se réajuster. Pour l’instant, en France, il n’y a pas d’information puisqu’il n’existe aucun mécanisme qui permette au consommateur de facilement distinguer quels produits relèvent de l’ultra-transformé et lesquels sont juste transformés.

« Prétendre que ce n’est qu’une question de calories et qu’il suffit de bouger pour y répondre relève de la désinformation culpabilisante. »

Certains auteurs et chercheurs accusent l’industrie d’avoir manipulé la manière dont l’alimentation est perçue. Ils évoquent notamment la question du gras dans les aliments avec l’avènement du light, qui en fait ne montre aucune efficacité. Ensuite, l’industrie alimentaire s’est attaquée au sucre en mettant des édulcorants un peu partout, ce qui n’a eu aucune efficacité sur l’épidémie d’obésité. Il en va de même pour les campagnes « mangez, bougez » qui sous-entendent qu’il suffit de bouger pour compenser les effets de la prise excessive de calories. Prétendre que ce n’est qu’une question de calories et qu’il suffit de bouger pour y répondre relève de la désinformation culpabilisante. Car, le véritable coupable est le produit industriel conçu pour augmenter l’appétit, pour favoriser la prise excessive de nourriture et contenant des substances qu’on suspecte d’être nocives.

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L’industrie peut-elle aussi proposer des produits alimentaires de qualité ?

Il faut savoir que l’ultra-transformation n’est pas seulement faite afin que les gens mangent de façon compulsive des biscuits apéritifs. Elle peut aider à avoir des produits de meilleure qualité, mais il y a beaucoup de contraintes. L’ultra-transformation a également une visée pratique pour le transport ou encore allonger la durée de vie des produits sur les étagères. Elle répond de fait aux modes de vie de gens pressés, qui ne veulent pas faire leurs courses tous les jours, qui désirent disposer de choses faciles et rapides à manger.

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Comment, comme consommateur, savoir ce qu’on achète ?

Je plaide en faveur d’un étiquetage clair des produits qui n’existe pas. En espérant qu’il arrive un jour, il est possible, d’ici là, pour les consommateurs de se renseigner grâce à des applis comme Open Food Facts ou Yuka. Bien évidemment, lorsqu’on est au rayon apéritif, sodas ou confiserie du supermarché, on se doute bien qu’on fait face à de l’ultra-transformé. Mais, il y existe des aliments ultra-transformés plus « cachés », ce qui se montre plus pernicieux. On le constate sur les produits qui se conservent des semaines sans que des moisissures ne se développent. Par exemple, des yaourts avec des émulsifiants ou des gommes ou encore des pains avec des allégations santé alors qu’ils s’avèrent pourtant ultra-transformés. Le consommateur peut être trompé par ces allégations santé. Y compris dans des produits labellisés bio, qui se targuent d’une allégation santé en se réfugiant derrière le label de production de leurs ingrédients.

« Des aliments ultra-transformés plus « cachés », ce qui se montre plus pernicieux. »

Avez-vous un conseil pour celles et ceux qui aimeraient éviter les produits ultra-transformés ?

Mon conseil serait autant que possible d’éviter l’achat et la consommation d’aliments ultra-transformés. On peut certes consommer des produits juste transformés mais éviter les « très » ultra-transformés. Les identifier est possible en consultant la liste des ingrédients et en veillant à ce que celle-ci ne contiennent pas de molécules de synthèse ou des ingrédients qu’on ne trouve pas typiquement dans une cuisine conventionnelle.

« Les bénéfices de limiter les produits ultra-transformés se font voir et se ressentent très rapidement, en quelques semaines. »

Les bénéfices de limiter les produits ultra-transformés se font voir et se ressentent très rapidement, en quelques semaines. Certes, cuisiner peu transformé représente un effort dans un premier temps, mais cet effort est vite récompensé. Je pense qu’une telle récompense en termes de santé et de bien-être permet d’installer une habitude pour sortir des contingences de l’ultra-transformé.

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Avez-vous un dernier mot ?

Je voudrais rappeler que les aliments ultra-transformés ont un impact sur l’environnement : essor des grandes cultures, usage des produits phytosanitaires, déforestation, changement climatique, réduction de la diversité des cultures et de la biodiversité…

Même si réduire la part des protéines animales dans l’alimentation est important pour l’écologie et la santé humaine, il faut être vigilant sur l’alimentation. En effet, le désir de substituer des protéines animales par des protéines végétales pourrait ouvrir la porte au développement d’aliments ultra-transformés pas forcément bénéfiques ni pour la santé ni pour la planète. Un steak de soja, facile et rapide à ingurgiter, pourrait être plus nocif pour la santé que l’on ne le pense. Le fait qu’un aliment soit mastiqué, qu’il se digère lentement puis que les nutriments soient lentement transformés en énergie dans le corps et le sang participe à ses bienfaits.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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Pour aller plus loin

Alimentation ultra-transformée : des risques pour la santé même sans excès calorique | CNRS Biologie

L’étude (en anglais) dans la revue Cell Metabolism Effect of ultra-processed food consumption on male reproductive and metabolic health – ScienceDirect

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