La consommation responsable s’essouffle en France, selon la dernière évaluation de l’attitude des Français sur le sujet, dévoilée le 24 juin par l’ADEME et GreenFlex. La 21e édition de cette étude d’opinion réitérée tous les ans, met en lumière un paradoxe : l’engagement des citoyens en faveur d’une consommation plus durable ralentit tandis que dans le même temps, leur inquiétude sur l’état de l’environnement progresse. La part des Français déclarant faire « tout leur possible » pour réduire leur impact n’est plus que de 13 % en 2025 contre 18 % en 2024. Ainsi, le recul des achats d’occasion, qui en prolongeant la durée d’usage et de vie des objets contribue à réduire le gaspillage, chute de 6 points. 38 % des sondés déclarent acquérir des objets de seconde main en 2025 contre 44 % l’année précédente.

« Il y a sans doute une peur de l’inflation qui explique le recul. Mais elle ne suffit pas à tout expliquer. On peut supposer, en recoupant avec d’autres études, qu’il y a une certaine fatigue face à l’effort à fournir qu’on soit militant ou non », analyse le sociologue et coordinateur scientifique du GIECO (Groupe International d’Experts sur les Changements de Comportement) Stéphane Le Branche. Il intervenait dans un webinaire organisé par GreenFlex et l’ADEME pour réagir aux résultats du sondage réalisé en mars 2025 auprès d’un millier de personnes. Le sociologue pointe le fait que les individus ne voient pas le fruit de leurs efforts, ce qui tend à décourager et à démobiliser. Il rappelle également que l’actualité montre que la situation ne s’améliore pas sur le plan climatique, avec des ambitions d’atténuation à 1,5°C devenues hors de portée alors que les nouvelles projections s’orientent vers des niveaux de réchauffement plus élevés. Le citoyen pense alors que « tout ce qu’il fait ne sert à rien alors autant s’amuser » si, foutu pour foutu, il n’y a plus d’avenir possible. Or, il insiste sur le fait que « chaque dixième de degré compte », c’est pourquoi « chaque effort est important », peu importe la motivation derrière.
Paradoxes et contradiction, sauver le monde mais…
Depuis des années, 8 Français sur 10 estiment, et c’est toujours le cas en 2025, que la crise climatique implique de revoir les modes de vie et la manière de consommer. Les auteurs du baromètre soulignent, dans le communiqué qui accompagne sa sortie, que « ce chiffre, stable depuis plusieurs années, montre la nécessité d’agir face au changement climatique. » Pourtant, d’une part les changements dans la consommation tardent à émerger, d’autre part l’urgence écologique est une préoccupation certes forte, mais en recul. « Les sujets environnementaux sont quant à eux en baisse tendancielle depuis 2 ans : dans le top 3 des préoccupations de 1 Français sur 4 en 2025, contre 1 Français sur 3 en 2024. »
[À lire aussi Consommation responsable en France, quand le prix juste figure parmi les premières attentes]
Bien qu’il y ait une demande forte pour des alternatives en termes de consommation, l’offre responsable reste perçue comme chère par plus de la moitié des Français, qu’ils soient (61 %) ou non mobilisés (55 %) sur la thématique environnementale. De ces résultats transparait aussi le manque d’une offre clairement identifiée dans laquelle avoir confiance. Enfin, plus du tiers des Français peinent à s’engager, estimant la portée de ses actions limitées si le reste des concitoyens ne suit pas le mouvement.
[À lire aussi La méthode BISOU pour acheter ses vêtements de façon responsable expliquée en 1 minute]
Yannick Servant, cofondateur de la CEC (Convention des Entreprises pour le Climat) estime quant à lui « qu’on n’aura pas une offre responsable tant que les règles du jeu économique n’auront pas changé » soulignant le fait qu’actuellement l’impact sanitaire et environnementale n’est pas pris en compte dans les couts de fabrication et les prix de vente.

Malgré un certain recul, l’idée de la consommation responsable progresse dans les esprits puisque 9 personnes sur 10 affirment s’interroger sur l’utilité de leurs achats avant de les effectuer. Les auteurs du baromètre mettent également en avant le fait que des alternatives pour sortir de la surconsommation seraient appréciées par la population : « plus de 7 citoyens sur 10 se montrent ouverts aux propositions de modèles de consommation alternatifs, comme le choix d’une livraison moins rapide mais moins chère (77 % d’intéressés), ou le fait qu’un vendeur déconseille l’achat d’un produit neuf au profit de la réparation de l’ancien (72 % d’intéressés). »

Comment sortir de la société de consommation ?
Alors qu’il existe un décalage entre les pratiques et les aspirations, l’étude montre que les citoyens sont en attente d’actions de la part de l’État pour mieux réguler la consommation. 84 % des interrogés estiment que « l’on vit dans une société qui nous pousse à acheter sans cesse ». Face à ce constat, ils sont 80 % à penser que « la publicité est trop présente, il faudrait la réduire ». 74 % des sondés appellent à ce que l’Etat interdisse « la publicité pour les produits les plus néfastes pour l’environnement et la santé ».

Yannick Servant, du CEC (Convention des Entreprises pour le Climat) estime qu’il faut sensibiliser le consommateur et que les pouvoirs publics doivent agir pour orienter les investissements et les pratiques des entreprises pour aller vers plus de durabilité. Sur la régulation de la publicité, il déplore que « aujourd’hui 80 % à 90 % de la parole qui est portée auprès des décideurs politiques l’est par le lobbying qui tend à être opposé à des mesures de régulation ou d’interdiction de la publicité » et que les entreprises plus vertueuses ne se sentent pas légitimes pour aller porter un autre message plus fort auprès des autorités sur les sujets de durabilité.
[À lire aussi Combien de jours faut-il vraiment pour prendre une bonne habitude ?]
Ainsi, beaucoup de Français surconsomment en toute connaissance de causes. Stéphane Le Branche affirme « le système productiviste consumériste est d’une efficacité redoutable pour qu’on l’aime. Il parvient à fournir immédiatement au cerveaux la récompense dont il a besoin. ». Acheter procure immédiatement de l’excitation et du plaisir. Cependant le chercheur refuse de voir une fatalité dans le fonctionnement cérébrale puisque « le cerveau peut être formé et entraîné pour attendre la récompense. C’est la même partie du cerveau qui gère l’empathie et donc le rapport aux autres et à l’environnement. »
Faire émerger de nouvelles normes face à la surpuissance de la société de consommation
Même s’il semble exister un consensus sur le rejet d’une société trop orientée sur la consommation, la faire évoluer semble difficile. Les personnes voient les limites du bonheur purement matériel. Mettant en avant le rôle moteur des émotions dans nos comportements. Le sociologue Stéphane Le Branche estime qu’il faut cesser de mettre l’effort au cœur du discours en faveur de la transition : « il faut parler du plaisir d’essayer autre chose, de manger autrement. Il faut accompagner. » Il rappelle que nos normes sociales actuelles se basent encore sur le modèle consumériste qui valorise les signes matériels de la richesse, mais « ces normes sont défiés par l’émergence de nouvelles normes sociales qui visent la sobriété ». Il donne en exemple les vacances. Jusqu’à maintenant, partir en Grèce ou en Egypte en avion une semaine était valorisé, aujourd’hui cela commence à culpabiliser. Mais, selon lui, peut être que bientôt les « bonnes vacances » seront à l’avenir « de ne pas partir loin ». Il fait la distinction entre la norme collective et ambiante, et celle partagée avec nos proches, qui en général nous ressemblent. « Ce n’est pas parce que les normes évoluent que les comportements changent de suite », ajoute-t-il.
[À lire aussi Valérie Guillard, auteure de Comment consommer avec sobriété ? : « il existe un marketing de la sobriété »]
Dès lors, comment convaincre si le message, les actions en faveur de la transition, les valeurs ou les habitudes évoluent peu? Comment conduire le changement ? Le sociologue donne l’exemple de la pratique du vélo, bénéfique pour le climat. « Il y a 150 000 raisons de faire ou de ne pas faire du vélo. Pour amener le changement, il faut être capable de parler aux gens sans imposer la raison pour laquelle on devrait imposer le changement. Valoriser l’environnement et le climat ne marche pas, ceux qui sont déjà convaincus l’ont déjà fait. Ce qui nous intéresse, c’est de convaincre les autres, il faut alors passer par d’autres arguments que l’écologie comme le vélo permet d’être plus beau à la page cet été. En variant les messages, on évite la réaction de lassitude du type “ils me saoulent encore avec le climat “ ».
L’avis des experts de la Fondation GoodPlanet
Julie Mathews, directrice de l’accompagnement des organisations au sein du programme MyPlanet de la Fondation GoodPlanet, réagit à ce baromètre : « les chiffres et tendances évoqués ne sont pas rassurants. Ils confirment qu’il faut continuer nos efforts de pédagogie et d’accompagnement de conduite du changement tant du côté des consommateurs et que du côté des entreprises. Les consom’acteurs doivent être accompagnés ». Elle précise qu’il est possible de « mieux choisir au quotidien » et que cela pèse sur les « choix stratégique d’une entreprise. » Celles-ci ont « aussi le devoir d’améliorer la durabilité de leurs produits et d’accompagner vers des pratiques plus durables. Il y a encore trop peu d’entreprises qui adressent les transformations profondes de leurs modèles pour repenser nos manières de consommer et tendre vers une consommation sobre et joyeuse ! »
Article édité mercredi 25 juin à 17h10 pour y intégrer la réaction de Julie Mathews au baromètre
Article édite vendredi 27 juin à 13h10 afin de proposer des infographies de meilleure qualité fournie par GreenFlex
Cet article vous a plu ? Il a été rédigé par un de nos rédacteurs, soutenez-nous en faisant un don ou en le relayant.
L’écologie vous intéresse ? Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter hebdomadaire.
Pour aller plus loin
Le Baromètre de la consommation responsable 2025 sur le site de GreenFlex
Le site Internet du GIECO (Groupe International d’Experts sur les Changements de Comportement)
Le site Internet de la CEC (Convention des Entreprises pour le Climat)
À lire aussi sur GoodPlanet Mag’
Consommer responsable, c’est d’abord consommer moins pour les Français
Ecrire un commentaire