La cuisinière du 6e étage Nathalie George : « on est allé tellement loin dans la société de consommation et le tout-supermarché, il faut réapprendre à consommer autrement »

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Nathalie George Photo DR

Nathalie George est connue comme la cuisinière du 6e étage. À la suite de déconvenues économiques après un projet d’entreprise, cette dame bourgeoise s’est retrouvée à vivre seule dans une chambre de bonne. Son histoire a déjà été racontée de nombreuses fois dans les médias, comme dans Les pieds sur Terre de France Culture. Elle a dû apprendre à cuisiner avec des ressources limitées, dont un simple réchaud au gaz. De son expérience, elle a développé une nouvelle vision de la cuisine et une série de recettes pour concilier des plats simples, bon marché et savoureux. Nathalie George les a compilés dans des livres afin de montrer qu’il est possible de bien vivre et manger avec peu. Elle sera présente à la Fondation GoodPlanet le samedi 15 juin à 12h30 pour une démonstration culinaire lors de la 7e édition du festival Miam (entrée libre et gratuite). Dans cet entretien avec GoodPlanet Mag’, elle parle cuisine et écologie. [Note de la rédaction en date du 11 juin la démonstration de Nathalie George prévue le 15 juin 2024 est annulée, le festival Miam se déroulera normalement hélas sans sa présence]

Qu’allez-vous proposer comme démonstration culinaire à la Fondation GoodPlanet le samedi 15 juin lors du festival Miam ?

À la Fondation GoodPlanet que je remercie pour l’invitation, je vais présenter deux recettes de base de la cuisine du 6e étage. Ces plats sont emblématiques car l’un est à base de pommes de terre et l’autre de lentilles. Un grand cuisinier les qualifierait de « plat signature ». Toutefois, avec la recette de salade de pommes de terre et celle de lentilles, je m’adresse aux familles, à la femme ou l’homme qui travaille et à toutes les personnes qui ont envie de bien manger et de partager au quotidien.

Pourquoi les pommes de terre et les lentilles ?

Ce sont deux ingrédients peu chers, faciles à trouver et à conserver. On peut très bien manger avec peu. De bons aliments bien préparés donnent une cuisine goûteuse. Les usages des pommes de terre sont tellement multiples qu’il est conseillé de toujours en avoir, comme des œufs.

« On peut très bien manger avec peu »

En quoi consiste la salade de lentilles ?

Ce plat s’adapte très bien que vous soyez omnivore ou végétarien. Je propose donc une salade avec des lentilles, de l’huile d’olive, du vinaigre à l’estragon qu’il est possible d’aisément faire soi-même, des fines herbes (comme du persil, de la ciboulette, de la coriandre ou encore du cerfeuil), des oignons et si possible de l’échalotte. Le plat se révèle plus fin avec cette dernière, mais elle coûte plus chère, c’est donc en fonction de votre budget.

« La cuisine est créative et pleine de fantaisie. »

Vous obtenez un plat délicieux que vous pouvez conserver plusieurs jours. Suivant la chapelle de votre régime alimentaire, il est possible d’ajouter du poisson fumé, des petits lardons bien grillés ou bien des œufs mollets. Si, comme moi, vous ne savez pas les préparer, servez à l’assiette avec un œuf sur le plat et le tour est joué ! Avec cette recette, vous voyez comprenez que la cuisine est créative et pleine de fantaisie.

Et la salade de pommes de terre ?

Pour la salade de patates, il faut cuisiner une pomme de terre qui se tient, comme la Belle de Fontenay ou l’Amandine. La France est gâtée car elle possède une grande variété de pommes de terre. Vous faites cuire à l’eau les pommes de terre non-épluchées, puis vous les coupez en rondelles. Ensuite, on y ajoute une sauce à la moutarde et à l’échalotte, ainsi que des œufs durs. Il est possible d’y ajouter du thon en boîte, ou du poisson fumé ou bien de la saucisse de Francfort, de Toulouse ou de Morteau.

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Êtes-vous préoccupée par l’écologie ?

Oui, ce sont des sujets cruciaux dont il est possible de parler à travers la nourriture. J’ai vécu les années 1950 et 1960 où tout le monde mangeait bio sans le savoir. J’ai connu le développement de l’agro-industrie. La conserve ça allait encore, mais le déferlement des plats préparés surgelés ou non se révèle un cauchemar avec tous leurs conservateurs et leurs sucres ajoutés.

« Le déferlement des plats préparés surgelés ou non se révèle un cauchemar avec tous leurs conservateurs et leurs sucres ajoutés. »

L’environnement m’a donc automatiquement intéressé, d’autant plus que j’ai vu l’essor du tout-voiture avec l’engorgement des routes et des rues des villes. Je reste persuadée qu’il faut encadrer tout ça et faire un vrai travail d’explication plutôt que de punir. De plus, il y a l’essor de l’avion. Comme beaucoup, je rêvais qu’après la Covid, les gens aient compris et que le transport aérien batte de l’aile, si j’ose le dire ainsi. Pas du tout. Les commandes d’Airbus et les déplacements en avion sont repartis de plus belle pour atteindre des sommets. C’est inquiétant. Je regrette aussi que de nombreux discours publics soient noyautés par les lobbys du pétrole et les grandes inégalités entre l’Occident et le reste du monde.

Des déboires financiers vous ont conduit à vivre dans une chambre de bonne au 6e étage d’un immeuble parisien. Comment avez-vous alors revu votre manière de cuisiner ?

L’expérience du 6e étage fut une bénédiction. Je n’ai pas perdu mon enthousiasme ni mon énergie, mais vivre ce type de situation recadre parce que cuisiner avec un réchaud à un seul feu impose un minimum de contraintes techniques. Il y avait aussi les contraintes financières car je n’avais pas un rond. Cependant, mal manger était exclu. J’ai dû apprendre à composer avec ce que j’avais : des patates, des œufs, des pâtes… J’en avais marre de manger des pâtes al blanco avec juste de l’huile et l’ail.

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Vous apprenez à raisonner différemment avec des plats froids ou bien des plats chauds où tout est dans une poêle.

Et de façon plus générale, qu’est-ce que cette expérience vous a appris ?

Cette expérience m’a personnellement fait évoluer, sans renier l’éducation que j’ai reçue ni la culture. A titre personnel, la culture m’a été d’une aide phénoménale, c’est pourquoi je crois que les gouvernements devraient investir davantage dedans et dans l‘éducation. Le fait d’être cultivé permet d’aborder les épreuves de la vie d’une façon différente et de partager avec l’autre.

« Le fait d’être cultivé permet d’aborder les épreuves de la vie d’une façon différente »

Je voyais moins de monde, dans une telle situation vous perdez forcément des connaissances et des amis. Ils ne viennent plus vous voir, vous ne vivez plus dans un appartement. Aux yeux des trois quarts des gens, il ne vous reste plus rien car vous n’avez pas cette petite visibilité et utilité sociale. Pourtant, je n’ai jamais eu l’impression d’être déclassée parce que j’avais la musique, le livre, mon chat, la cuisine et le partage.

La cuisine est donc importante pour tisser du lien…

J’ai pu le constater au 6e où j’étais certes, et de loin, la moins jeune. Je me suis rendu compte que la cuisine était un élément central, capital et fédérateur. Grâce à elle, j’ai pu communiquer avec mes voisins à un moment où je ne voyais plus beaucoup de mes anciennes connaissances. À l’étage des chambres de bonne, il y avait des personnes, en majorité des étudiants, de toutes les origines et tous les horizons : Asie, Afrique, monde arabe, on se retrouvait autour de la bouffe pour des conversations animées. Nous n’avions aucun problème dans nos discussions.

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C’est par la cuisine que j’ai pu empêcher certains d’acheter de la salade en sachet au supermarché ou les persuader d’acheter du vrai pain à la boulangerie. C’était une immense joie et une victoire.

Du fait de votre vécu, quel regard avez-vous sur les appels à un mode de vie plus sobre pour préserver l’environnement, faire mieux avec moins ?

Il est capital d’arriver à le faire passer le massage qu’il est possible de faire mieux avec moins dans la société. Au départ, le moins est imposé par une question de prix, mais en faisant les bons arbitrages, vous ne perdez pas en qualité. Au contraire même, par exemple en mangeant des fruits et des légumes de saison, vous découvrez que manger des fruits toute la variété que ces aliments offrent. Ils sont à un prix plus juste et bien meilleurs.

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« Il y aurait une grosse action de communication à mener pour promouvoir les marchés afin de contrer le lobbying de la grande distribution »

Ce genre de pratique démarre par des niches avant de se répandre et de se diffuser à plus grande échelle. Je pense d’ailleurs que pour inciter les gens à bien manger, il y aurait une grosse action de communication à mener pour promouvoir les marchés afin de contrer le lobbying de la grande distribution qui ne cesse de se rappeler au public par une publicité omniprésente.

Avez-vous un conseil pour celles et ceux qui veulent un mode de vie plus sobre ?

Pour préserver le climat et émettre moins de gaz à effet de serre, je préconise d’arrêter de prendre l’avion. Si vous devez voyager en voiture en France, plutôt que de prendre l’autoroute, pourquoi ne pas le faire par étapes via les petites routes, en s’arrêtant dans des villes où vous trouverez de bons bistrots pour pas cher. Le trajet devient une découverte géographique, historique et gastronomique.

« On est allé tellement loin dans la société de consommation et le tout-supermarché, il faut réapprendre à consommer autrement. »

En ce qui concerne l’alimentation, j’invite le plus grand nombre de personnes à se rendre dans leur marché. Il en existe partout en France. À Paris, il y a tous les jours dans tous les arrondissements, ils démarrent tôt donc il est possible d’y passer faire un tour avant d’aller au boulot. Si vous ne savez pas où il se trouve et quand il a lieu, renseignez vous sur Internet. Allez-y, observez. Vous verrez tout de suite un maraicher. Son étal plus rustique propose des légumes de saison et parfois aussi des fruits de saison. Vous constaterez vite la fraîcheur et la qualité des produits comme la salade. II faut essayer d’acheter les produits aux petits producteurs. On est allé tellement loin dans la société de consommation et le tout-supermarché, il faut réapprendre à consommer autrement.

Avez-vous un dernier mot ?

Je tiens à redire que faire mieux avec moins s’avère possible en cuisine. Cela en vaut vraiment la peine. Vous y gagnez sur tous les plans : écologique, gustatif, économique. Bien se nourrir apporte du plaisir et fait du bien au corps. Manger ainsi apporte une note d’optimisme car, peu importe l’âge, les moyens, le milieu social, le bien-manger est une porte vers les autres.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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Pour aller plus loin

Toues les infformations pour assister samedi 15 juin à déémonstration culinaire de Nathalie Georges à la Fondation GoodPlanet

Le site Internet de Nathalie George – LA CUISINE DU 6E ETAGE SE DECLINE

L’émission de France Culture Les pieds sur Terre La dame du 6e étage : tailleur Chanel et chambre de bonne (radiofrance.fr)

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