L’huître de mangrove, une perle à cultiver pour le Sénégal

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L'ostréicultrice Bintou Sonko de l'Association Diamagune récolte des huîtres à Joal-Fadiouth, au Sénagal, le 22 mars 2022 © AFP SEYLLOU

Joal-Fadiouth (Sénégal) (AFP) – Derrière le bourg de pêche de Joal-Fadiouth à 120 km au sud de Dakar, les eaux salées bordées de mangrove regorgent d’huîtres, source d’aliments protéinés encore mal exploitée mais prometteuse de nouveaux revenus.

Bintou Sonko, la cinquantaine, est l’une des nombreuses femmes qui font vivre des familles entières en récoltant les mollusques marins.

« C’est un travail épuisant qui demande beaucoup de moyens. Malheureusement nous n’en avons pas », se désole-t-elle assise dans l’eau devant une bassine de « crassostrea gasar », la variété locale présente à l’état naturel sur les racines des palétuviers.

En ces temps d’insécurité alimentaire et de surpêche maritime, le Sénégal rêve d’une ostréiculure moderne, productive, durable.

Mais l’activité largement informelle, avec quelques milliers d’emplois dont 90% de femmes, reste centrée sur la cueillette traditionnelle.

En 2017, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), seules 400 tonnes de la production sénégalaise provenaient de parcs à huîtres; 15.600 tonnes venaient de la mangrove du delta du Sine-Saloum, de la Petite-Côte au sud de Dakar ou de Casamance (sud).

A titre de comparaison, la Chine, premier producteur mondial, en récolte 3,5 millions de tonnes par an, selon l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer).

Au Sénégal, l’huître est souvent séchée, puis cuite au feu de bois. Son goût iodé et fumé, croustillant à l’extérieur et tendre à l’intérieur, la rend populaire sur les marchés locaux. Elle se vend aussi bouillie.

« Vers l’élevage »

« La production d’huîtres est en deçà du potentiel », reconnaît Boubacar Banda Diop, chargé de l’ostréiculture au ministère de la Pêche, affirmant que l’État a établi ces dernières années « un plan de développement », notamment pour améliorer les conditions sanitaires de la production.

Il importe de mettre en place un suivi de la qualité des eaux car les zones de production « sont soumises à des contaminations chimiques, biologiques, micro-biologiques et par micro-algues », explique-t-il.

Parallèlement, plusieurs programmes de coopération se sont penchés sur l’huître sénégalaise.

Le programme FISH4ACP, lancé en 2021 par la FAO avec des financements européens, a commencé par dresser un état des lieux de l’activité pour élaborer une « Stratégie nationale » sur 10 ans (2021-2031). Les objectifs : améliorer les conditions sanitaires, les techniques de production, aller « vers l’élevage ».

« La Cabane penchée », petite exploitation à La Somone (sud), adhère déjà à ces principes depuis trois ans.

« Nous avons doublé notre capacité de production comparée à l’année dernière, passant de trois à six tonnes annuelles », explique à l’AFP Khadim Tine, le patron de l’entreprise qui produit des huîtres en parc.

Mais de telles prouesses ne vont pas de soi.

Pour Mamadou Bakhoum, président de l’Association intervillageoise de Dassilamé Serere (sud), « la ressource (en huîtres) est à un niveau inquiétant (…) La salinité est trop élevée par endroits », explique-t-il, citant le réchauffement climatique comme une des causes de cette situation.

Question de moyens

M. Bakhoum estime toutefois que « pour peu que les gens s’y mettent sérieusement, les pistes de développement de l’ostréiculture sont colossales ».

Un autre défi est de concilier hausse de la productivité et préservation de la mangrove. La mangrove, écosystème tolérant au sel et caractéristique des côtes tropicales, se dégrade au Sénégal comme ailleurs sous l’effet de la surexploitation de ses ressources, du développement, de l’aquaculture et de la montée des eaux. Or elle joue un rôle important comme barrière contre l’érosion et les inondations, et comme puits à carbone.

Abdou Karim Sall, président de l’Aire marine protégée de Joal-Fadiouth, aide les cueilleuses d’huîtres à monter des « guirlandes ». Suivant ce procédé, les naissains se développent sur des fils tendus entre des branches d’eucalyptus soutenus par des pieux plantés dans la vase. Les cueilleuses ne prélèvent plus les huîtres sur les racines.

« Cela permet non seulement de laisser la mangrove tranquille et que les femmes (…) gagnent plus d’argent », explique-t-il.

Mais les guirlandes et les pieux ne sont pas à la portée de tous dans cette région pauvre.

Augmenter les revenus passe aussi par une production accrue d’huîtres fraîches, qui touchent une clientèle touristique aisée.

Selon les professionnels du secteur, la douzaine d’huîtres fraîches du Sénégal se vend entre 4.500 et 6.000 FCFA (6,80 et 9,10 euros), et le kilo de cuites, qui nécessite au moins trois bassines de 15 douzaines, se vend de 4.000 à 6.000 FCFA (6,10 à 9,10 euros).

Or les infrastructures pour conserver et transporter l’huître fraîche sont rares.

La modernisation de l’ostréiculture sénégalaise « dépend surtout des moyens financiers et techniques », dit M. Diop, au ministère de la Pêche.

© AFP

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