Philippe Stefanini plaide pour les aliments durables : « les steaks deviennent aujourd’hui des mélanges de légumineuses et d’algues et ce n’est que le début… »

aliments durables philippe stefanini

Le marché d'Aligre du XIIème arrondissement de Paris © Yann Arthus-Bertrand
Philippe Stefanini
Philippe Stefanini DR

Philippe Stefanini travaille pour le laboratoire ADES – CNRS et parcourt le monde pour chercher ou redécouvrir des aliments capables de mieux nourrir le monde et de faire face au défi de nourrir une population humaine en constante augmentation. Il regroupe des aliments sous l’appellation d’aliments durables et voudrait que ces derniers soient reconnus, mieux connus et disposent d’un label afin de les promouvoir. Dans cette tribune, il lance un cri d’espoir en faveur du développement des aliments durables, thème qu’il développe aussi dans l’ouvrage Conversion Éthique (Une écologie paysanne porteuse d’espoir) préfacé par le président de la Fondation GoodPlanet Yann Arthus-Bertrand, édition Les Presses du Midi qui parait fin mai 2022.

Aujourd’hui, je lance un cri d’espoir en faveur de ces aliments salvateurs que je nomme « aliments durables ».

Qu’est-ce qu’un aliment durable ?

 Le concept d’aliment durable fait aujourd’hui partie de nombreuses études qui partagent la mouvance actuelle de l’économie verte alimentaire.

Un aliment durable est prioritairement issu d’un être vivant photosynthétique, car il est moins porteur de déchets, mais il peut être également issu du règne animal. Celui-ci doit fédérer plusieurs qualités indiciaires :

  • Des qualités nutritionnelles, un cocktail d’acides aminés, de très grandes qualités (protéines opérationnelles comme la phycocyanine), des oligo-éléments, des vitamines, des sucres complexes et des acides gras polyinsaturés.
  • Des qualités agroécologiques: productivité importante à l’hectare, n’ayant aucun traitement chimique neurotoxique, une consommation en eau réduite, absorbant naturellement beaucoup de carbone atmosphérique, utilisant pour son exploitation une surface minimum agricole et possédant si possible des qualités d’engrais verts.
  • Il doit être issu d’un être vivant résilient qui a la capacité à retrouver sa structure et ses fonctions de son état de référence après une perturbation. Par exemple, il doit être adaptable en production sous des climats très secs avec très peu d’eau, sur des sols pauvres ou très acides ou très alcalins.
  • Il doit posséder en termes de représentations une flexibilité sociale afin de rentrer facilement dans de nouvelles habitudes alimentaires.
  • Il doit pouvoir être conservé facilement avec des moyens naturels et économes en énergie afin de préserver son goût et ses qualités nutritionnelles.

Un aliment durable dispose d’abord de qualités nutritives avec une abondance de protéines, de minéraux, d’oligo-éléments, de vitamines. Il doit contenir une quantité epsilon de particules néfastes à la santé humaine tels que résidus de glyphosates, perturbateurs endocriniens, métaux lourds ou additifs toxiques. Rustique, il doit aussi répondre à des critères agroécologiques. Sa culture nécessite très peu d’eau, pas d’intrant issu de la chimie de synthèse, les engrais verts étant les seuls utilisés. Exploitable sur de petites surfaces, son rendement à l’hectare doit être important pour être économiquement viable. Il doit absorber beaucoup de gaz carbonique. Et enfin, cet aliment doit entrer dans la culture alimentaire du pays où il pousse. Sinon, personne n’en mangera.

Le lien entre la santé et les aliments durables

Ces aliments peuvent nous permettre de réduire de 50 % les risques de santé liés à l’alimentation actuelle. En effet, l’espérance de vie en bonne santé baisse. Elle est passée de 64,1 ans en 2008 à 63,5 ans en 2010. On constate un effondrement de notre métabolisme et un net développement des maladies auto-immunes irréversibles. Aujourd’hui, l’épigénétique a démontré que notre alimentation occidentale inhibe gravement l’expression de nos gènes protecteurs. On s’en aperçoit d’ailleurs en pratiquant un examen qui permet d’analyser plus de 30 éléments sanguins, la lymphe, la salive et l’urine. Il nous faut donc retrouver une alimentation plus végétale, composée au maximum de 20 % de protéines d’origine animale et de 80 % de végétaux. En France, nous consommons 35 à 45 % de produits animaliers. C’est trop. Il est conseillé d’être flexitarien et ne manger de la viande que deux à trois fois par semaine.

Exemples d’aliments à tendances durables : les végétaux riches en protéines, comme les légumineuses issues de la famille des Fabacées : petits pois, haricots, soja, lentilles, lupins… Peu de gens connaissent le lupin, or cette graine est plus riche en protéine que le soja déjà considéré comme un champion protéiné. Il devrait devenir un aliment phare. Les steaks deviennent aujourd’hui des mélanges de légumineuses et d’algues et ce n’est que le début…….

Les cyanobactéries, micro-algues, macro-algues sont étudiées pour leurs qualités nutritionnelles et écologiques. D’ailleurs, de nombreux exploitants en France se lancent dans la production de spiruline, de klamath de chlorelles ou d’odontelles.  On peut en faire des farines remarquables. Avec mon équipe, j’ai découvert des lichens alimentaires en Australie grâce aux connaissances ancestrales des aborigènes. Ces plantes sont le résultat d’une association entre un champignon et une cyanobactérie, ou un champignon et une algue. Ils ont des facultés fantastiques car ils peuvent être séchés. Dès que vous les réhydratez, ils sont de nouveau consommables, même après cinq ans de conservation. J’ai découvert également avec mon équipe en Tanzanie un lupin noir qui possède des qualités agronomiques, écologiques et nutritionnelles incroyables, il s’acclimate facilement au pays tempéré.

Le concept d’aliment durable n’exclut pas les productions emblématiques exploitées à grande échelle comme les céréales ou le maïs. Mais certaines ne correspondent pas aux exigences du profil de l’aliment durable. En Bolivie, nous avons ramené un maïs économe en eau qui serait tout à fait adapté à nos contrées et à notre gastronomie. Toutefois, il conviendra de faire le tri dans les céréales : le blé actuel est bien trop riche en gluten et trop pauvre en protéines. Il faut revenir à des variétés anciennes plus économes en eau comme le petit épeautre, le sarrasin,.. .

De nouveaux aliments durables arrivent en France et sont acclimatés comme le quinoa, une graine exportée des Andes. Je rentre d’un périple de 350 km dans la jungle brésilienne et paraguayenne où j’ai trouvé une nouvelle variété de sauge qui produit énormément de graines et que l’on pourrait planter en France. Elles ressemblent aux graines de chia avec davantage de protéines.

Concernant le mode de production des aliments durables

Avant tout, il s’agit de consommer des aliments durables de saison et locaux. Grâce à ce concept nous pouvons tendre vers une autarcie agricole. Arrêter la monoculture intensive et favoriser la diversité cultivée en étage. Retrouvons les légumes rustiques : les crucifères, les carottes, les artichauts mais aussi les topinambours. Sinon la pomme de terre est un merveilleux aliment sans gluten dont la consommation basifie notre organisme. Nous n’en consommons qu’une dizaine d’espèces en France. Au Pérou, j’en ai comptabilisé plus d’une vingtaine qui avaient les qualités requises pour être des aliments durables et adaptable sur notre terroir.

L’esprit aliment durable 

Une humanité réunifiée et de plus en plus nombreuse. Une terre unique, limitée qui ne s’agrandira plus et qui est très fragilisée. La politique agricole et l’alimentation sont en pleine mutation.  Maintenant il nous reste a reformer les aliments en optimisant leurs qualités à des fins plus durables.

L’avenir sera prometteur pour les aliments durables

Cela commence à bouger de plus en plus dans ce sens. Par exemple, aux États-Unis, la green economy est en plein boom et s’empare de ce type de concept.  En France, les jeunes agriculteurs et des startups développent de nouvelles productions incluant des aliments durables et passent en bio intensif en associant sur les même parcelles plusieurs types de cultures complémentaires.  Le label AD verra peut-être le jour car il est beaucoup plus holistique et donc qualitatif que le bio qui est encore dans une vision segmentée.

Comme nous l’avons vu précédemment, les aliments durables devront garantir une bonne adéquation nutritionnelle, un coût économique, une production bio et un coût écologique modéré, tout en étant « acceptables » par la population. Sans une remise en question des choix et des cultures alimentaires, il sera difficile de respecter l’ensemble de ces objectifs. Il est donc nécessaire, pour mieux orienter les consommateurs vers de tels régimes éthiques, d’identifier les aliments durables les plus à même d’en faire partie.

L’impact écologique et agronomique pourra être représenté par la consommation en eau (nombre de litre par kilogramme de biomasse), les émissions de gaz à effet de serre (EGES), la quantité de production en rapport de la surface d’installation. L’intensité et la toxicité des produits phytosanitaires utilisés. La qualité du milieu de culture avant et après la production, la notion de production à écoulement local.

La qualité nutritionnelle pourra être estimée au moyen du score SAIN/LIM, dérivé du profil nutritionnel SAIN, LIM3.

La mise en place d’un score « aliments durables » se fera certainement dans les années qui viennent, chaque aliment devra se tenir au-dessus d’une médiane qualitative pour être labellisé « durable ».

Par Philippe Stefanini

Pour aller plus loin

Vous vous intéressez à l’alimentation et l’agriculture durable, sachez que la Fondation GoodPlanet vous propose d’en savoir plus sur le sujet grâce à l’école GoodPlanet et aussi avec ses recettes de cuisine.

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