Entre périls et secrets, une vie de chauve-souris

chauve-souris secrets et péril

Un chiroptérologue mesure une chauve-souris à Noyal-Muzillac, le 9 juillet 2021 dans l'ouest de la France © AFP Amélie BOTTOLLIER-DEPOIS

Noyal-Muzillac (France) (AFP) – Au cœur de la nuit, la nef d’une église bretonne en France résonne de piaillements stridents: entre pipettes et crucifix, l’édifice accueille le check-up annuel de grands murins, l’une des 1.400 espèces de chauves-souris diabolisées par les humains qui ne savent pas ce qu’ils leur doivent.

« 19,7 grammes. » Accroché par ses griffes la tête en bas dans un tube posé sur une balance, c’est la pesée pour un mâle né il y a quelques semaines dans les combles de l’église de Noyal-Muzillac (nord-ouest de la France) où les femelles du seul mammifère capable de voler mettent bas chaque année.

A la lueur de lampes frontales, les dizaines de chiroptères de cette colonie passent de mains en mains -gantées pour éviter les morsures de petites dents acérées.

Sexe, taille, poids, usure des dents, état des ailes translucides, prise de sang, biopsie… Les bénévoles et scientifiques de l’association Bretagne Vivante et du University College de Dublin examinent les animaux sous toutes les coutures. Avant d’implanter sous la peau des derniers nés un transpondeur pas plus gros qu’un grain de riz.

Depuis dix ans, plusieurs milliers de grands murins, espèce protégée à la fourrure sombre, ont ainsi été marqués, pour pouvoir suivre leurs déplacements de gite en gite, explique Corentin Le Floch, de Bretagne Vivante.

« L’objectif est de mieux connaître leur aire de vie, la survie des individus, comprendre comment ils utilisent le territoire et ainsi comment mieux protéger leurs habitats, leurs sites de reproduction et d’hibernation ».

Mais pourquoi tant vouloir protéger l’animal qui suscite chez beaucoup crainte et dégoût, et qu’on a rarement autant montré du doigt que depuis l’apparition du Covid-19 –sa transmission d’une chauve-souris à un animal intermédiaire avant la contamination des humains reste l’hypothèse la plus probable pour l’Organisation mondiale de la santé.

Parce qu’elles sont menacées. De la minuscule « chauve-souris bourdon » de 2 g au renard volant des Philippines d’1,5m d’envergure, environ 40% des 1.321 espèces évaluées sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) sont classées en danger.

Et parce que loin des fantasmes de la bête suceuse de sang qui s’accroche dans les cheveux, les « services qu’elles nous rendent sont si immenses et divers qu’ils touchent tous les aspects de notre vie », résume Rodrigo Medellin, co-président du groupe chauve-souris de l’UICN.

Déforestation et changement climatique

A l’image de l’ensemble de la biodiversité de la planète, mise à l’honneur lors du congrès de l’UICN début septembre, les chiroptères sont de plus en plus menacés par les êtres humains.

« On perd des espèces partout dans le monde », relève Julie Marmet, chiroptérologue au Museum national d’histoire naturelle en France.

Depuis 50 millions d’années, ces mammifères sont « résilients » mais aujourd’hui les changements vont « beaucoup trop vite pour que les espèces s’adaptent », poursuit-elle.

Insectivores, frugivores ou nectarivores, pour les chauves-souris, le danger numéro un est la destruction de leur environnement, en particulier la déforestation, selon les experts.

De nombreuses espèces vivent dans les arbres et les 40% qui habitent dans des grottes « dépendent aussi en grande partie des forêts pour se nourrir », explique Winifred Frick, scientifique en chef de Bat Conservation International.

Les grottes ne sont pas plus sûres. Lampes torches des touristes ou activité des ramasseurs de guano utilisé comme fertilisant comme en Thaïlande: la moindre perturbation peut être dévastatrice. « Surtout quand les mamans ont leur petit », insiste la biologiste.

D’autant que la plupart des espèces n’ont qu’un bébé par an, un chiffre très inhabituel pour un mammifère si petit –encore une idée reçue d’ailleurs, elles ne pullulent pas comme les rats, insiste Julie Marmet. Alors « s’il y a un problème sur une colonie, c’est fichu ».

Et déjà, elles sont victimes du changement climatique. Comme les renards volants d’Australie décimés par les canicules ou les molosses du Brésil victimes du froid au Texas.

Ces petites chauves-souris ont cessé de migrer l’hiver vers le Mexique pour rester sous les ponts texans à la faveur des températures plus clémentes ces dernières années. Mais « l’hiver dernier, il y a eu un épisode de grand froid: des milliers et des milliers sont mortes d’hypothermie », raconte Winifred Frick.

En choisissant un habitat apparemment adapté, « directement au-dessus de la rivière, leur restaurant », mais finalement vulnérable, elles sont tombées dans un « piège écologique ».

Pale fatale

Hors de chez elle, la vie d’une chauve-souris est semée d’obstacles.

En Asie du Sud-Est ou en Afrique, les plus grosses sont victimes de chasseurs, pour leur viande, parfois juste pour le sport. Ailleurs, les espèces insectivores risquent la diète, leur garde-manger décimé par les pesticides.

Déjà victimes de collisions avec les voitures, elles doivent aujourd’hui éviter les éoliennes. Une pale peut être fatale. Et même sans contact, leurs organes internes ne résistent pas au changement de pression lié au déplacement d’air.

Rien qu’aux États-Unis, 500.000 sont tuées chaque année par les turbines à vent, selon des études.

Sans compter les prédateurs, chouettes, serpents ou chats. Il y a une grotte en Jamaïque où « en une heure, un chat peut tuer 20 chauves-souris: il les assomme d’un coup de patte, leur arrache les ailes et en fait son casse-croute », raconte Winifred Frick.

Ou les pièges posés par inadvertance, relate Andrzej Kepel, de l’association polonaise Salamandra.

Imaginez un éclairage à détection de mouvement, une cage d’escalier, la migration de pipistrelles qui ne volent que dans le noir: la halte éphémère se transforme en cauchemar.

« Quand elles essaient de s’envoler, les lumières s’allument, elles se posent. Elles essaient encore et encore », raconte le naturaliste. « Leurs cris attirent d’autres chauves-souris. Après quelques jours, il y en a des centaines dans la cage d’escalier, c’est la panique » chez les humains. Les pipistrelles piégées meurent de faim.

Secrets

Et pourtant. Personne ne le sait mais sans elles, on ne mangerait pas pareil.

Vous avez déjà bu un café, dégusté une galette de maïs, croqué dans une figue ? Remerciez les chauves-souris, dit en substance le Pr Medellin de l’IUCN. « Elles sont le meilleur pesticide naturel ».

Certaines espèces peuvent avaler la moitié de leur poids en insectes chaque nuit, selon Bat Conservation International. Un assistant gratuit pour les agriculteurs et un anti-moustique naturel.

D’un arbre à l’autre, les espèces frugivores contribuent à la dispersion des graines. Certaines sont même des pollinisatrices méconnues. « Nous avons de la tequila parce que les chauves-souris pollinisent les fleurs d’agave depuis des millions d’années », sourit le Pr Medellin.

Au-delà, l’étonnante constitution des bestioles intrigue les scientifiques qui rêvent d’en percer les secrets pour en faire profiter les humains.

Voler en rase-motte, faire des virages brusques pour éviter les obstacles, se repérer grâce à l’écholocation (écho des ultrasons qu’elles émettent): le sonar naturel des chauves-souris inspire les ingénieurs.

Sans être malade, la créature –dont l’anagramme forme « souche à virus »– peut héberger de nombreux virus mortels pour les humains, comme des coronavirus ou Ebola.

Et, sans subir l’effet de l’âge, elle vit exceptionnellement longtemps vu sa petite taille. La généticienne Emma Teeling du University College de Dublin y cherche très sérieusement la clé pour épargner aux humains les douleurs de la vieillesse.

Dracula et le pape

« Dans la cosmogonie des Mayas, les chauves-souris jouent un grand rôle dans la création de l’univers », rappelle d’ailleurs Rodrigo Medellin.

Mais en Occident, ces « animaux de la nuit peu connus » ont mauvaise presse, commente Julie Marmet. Elles sont devenues « le symbole de l’horreur » avec Halloween et les films d’épouvante.

Bram Stoker et son célèbre Dracula créé au XIXe siècle, première association dans la littérature entre vampires et chauves-souris, y sont pour beaucoup.

A partir de là, « elles ont commencé à être accusées d’être des envoyées du diable, d’être diaboliques, dégoutantes et vectrices de maladies », poursuit M. Medellin.

Batman n’a rien pu y faire. Même en 2020, le pape François lançait: « Quand nous sommes dans le péché, nous sommes comme des chauves-souris humaines ».

Il n’y a pourtant que trois chauves-souris vampires, en Amérique du Sud, et qui se nourrissent principalement de sang animal, pas humain.

Ça fait peur, ça mord, c’est moche, mais à force de les étudier, les scientifiques finissent par les aimer. « C’est mignon! On s’y attache », lance Corentin Le Floch.

Dans l’église de Noyal-Muzillac, c’est l’heure du goûter. Un grand murin grignote un ver de farine qui frétille. Une caresse sur ses petites oreilles pointues et c’est la liberté.

©AFP

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