Cédric Herrou : « il y a un problème de prise de conscience de ce qui se passe dans le monde et d’empathie »

cédric herrou interview gréviste bruxelles

Cedric Herrou, membre de la communauté Emmaus de la Roya, parle devant une église bruxelloise occupée par des sans-papiers faisant la grève la faim, le 19 juillet 2021, à Bruxelles. - Plus de 400 travailleurs sans-papiers, majoritairement originaire du Maroc et de l'Algérie, font une grève de la faim en Belgique pour pousser les autorités à leur garantir le droit de rester dans le pays. Les grévistes campent depuis six semaines dans différents lieux de la capitale, y compris une église et un cantine d’université, et les intellectuels appellent à une solution urgente pour prévenir les problèmes de santé graves. (Photo by François WALSCHAERTS / AFP)

De la vallée de la Roya, en France, où il a commencé son combat en faveur des migrants jusqu’à la Belgique, Cédric Herrou poursuit son engagement pour défendre celles et ceux qui sont contraints de fuir leur pays pour trouver refuge ailleurs. En 2016, ce paysan vient en aide à des migrants traversant la frontière entre l’Italie et la France, ce qui le conduit devant les tribunaux pour « délit de solidarité ». En 2021, il est finalement relaxé par la Cour de Cassation.  À Bruxelles, l’agriculteur humaniste est venu soutenir plusieurs centaines de sans-papiers en grève de la faim depuis des semaines dans une église afin de demander leur régularisation et d’alerter l’opinion publique. Dans cet entretien, Cédric Herrou explique les liens entre la crise climatique et sa lutte pour celles et ceux pour qui l’exil forcé est la dernière alternative.

La vallée de la Roya a été aussi victime de terribles inondations fin 2020, quel regard portez-vous sur ce qui se passe ces derniers jours dans le nord-ouest de l’Europe ?

La crise climatique est une réalité qui arrive plus vite que prévu. Jusqu’alors, on pensait qu’elle ne concernait que les pays éloignés ou l’Afrique. Maintenant, c’est une urgence. On a besoin que les politiques actent des décisions franches et directes pour lutter contre le réchauffement.

La crise climatique rend invivable de nombreux endroits sur terre, ce qui entrainera des déplacements de populations, que faire pour les réfugiés climatiques présents et futurs ?

Il faut réaliser que cela nous concerne aussi. Les bouleversements entrainés par le changement climatique vont nous arriver dessus aussi, ce n’est pas un problème lointain. On a vu les pics de températures au Canada. On voit qu’il y a des répercussions sur le continent européen, la crise climatique n’est pas forcement extérieure.  Il y a eu une tempête dans la vallée de la Roya l’an dernier. Là, je suis à Liège où les inondations ont été dévastatrices comme en Allemagne.

Faut-il créer un statut de réfugié climatique ?

Il faudrait peut-être le créer. Reconnaitre les causes du changement climatique et les combattre me semble avant tout une priorité. Il faut déjà revoir notre manière de gérer le monde et d’écouter les alertes sur les grands sujets sur lesquels il y a urgence à agir. Plutôt que de mettre des pansements sur les blessures, il faut traiter les causes du problème au lieu de se contenter de s’occuper de ses symptômes. Après tout, des réfugiés climatiques, il y en a toujours eu. En Afrique, ce sont en général des gens qui ne voyagent pas très loin puisqu’ils migrent dans le pays d’à côté. Ce qui conduit les gens à partir loin, ce sont les crises économiques, les guerres ou les dictatures.

Comment créer de la solidarité envers les victimes du réchauffement ?

Inventer un autre modèle économique serait la meilleure marque de solidarité envers les victimes du réchauffement

N’existe-il pas un risque que l’afflux de réfugiés climatiques ou de migrants donne l’impression aux opinions publiques des pays développés de se sentir « victimes » du réchauffement alors qu’elles en sont en partie responsables et d’oublier ainsi que les vraies victimes sont les personnes obligées de quitter leur pays ?

Il y a un problème de prise de conscience de ce qui se passe dans le monde et d’empathie. Il est vrai qu’il est difficile d’avoir de l’empathie pour des gens qu’on ne considère pas comme nos égaux. Ce problème ne concerne non seulement les opinons publiques mais aussi les politiques.  Je suis à Bruxelles dans les églises et les facs qui soutiennent les sans-papiers et demandent leur régularisation en faisant la grève de la faim. Or, les politiques semblent hors-sol face à ces problèmes. Déjà en 2018, quand l’Italie refusait de laisser débarquer ou partir les navires venants en aide aux migrants, cela a abouti à de nombreuses noyades en Méditerranée dans l’indifférence.

« Il faudrait également mondialiser les belles choses comme la fraternité, l’entraide et la solidarité »

Le sujet de l’empathie envers les migrants amène une autre question. Quelle place pour les réfugiés ou les migrants dans nos sociétés ?

Le problème est qu’on conserve une lecture souverainiste, voire un peu nationaliste, dans un monde globalisé. Or, il faudrait également mondialiser les belles choses comme la fraternité, l’entraide et la solidarité. Après, ce n’est pas facile, il faut donc gérer les choses de manière pragmatique afin que les déplacements de populations et les migrations se passent bien. Les élus et les représentants du peuple doivent garder une certaine forme de morale et de décence, il n’est pas concevable de mener des politiques qui maltraitent les gens. Dire ceci relève peut-être d’une vision utopiste, mais la politique a besoin d’utopie et de poésie pour oser. Ceux qui n’osent pas risquent de tomber rapidement dans la stigmatisation de l’autre et le racisme.

 Propos recueillis par Julien Leprovost

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3 commentaires

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    • Kervennic

    L’empathie a ses limites, surtout chez les pauvres.

    • Franck

    Et la surpopulation, notamment en Afrique, on en parle ? Ou ça n’intéresse pas parce qu’il n’y a pas matière à nous en rendre responsable ? Quoi qu’il en soit, les réfugiés climatiques arrivent à un moment où nos pays sont déjà saturés par 50 ans d’immigration qui peine à s’assimiler. Il aurait fallu être un peu moins accueillant avant, afin de pouvoir l’être un peu plus aujourd’hui.

    • Maitei

    Nous voulons résoudre le problème:
    1. Ce ne sont pas des migrants ce sont des personnes, comme nous.

    2. Nous sommes à l’origine de ce désastre, nous en vivons:
    Quand aurons-nous e courage de reconnaître que nous avons touché le fond?
    Quand aurons-nous le courage de reconnaître que notre style de vie passé présent futur est basé sur le saccage, les acquis coloniaux, la dépréciation industrielle et commerciale?

    3. Vue d’ici, sur le continent amérindien, l’impact de notre culture fait honte. On ne voit que déprédation, mines à ciel ouvert, déforestation et contamination des cours d’eau… Pour satisfaire le petit confort de l’Europe et des États-Unis. Le temps de l’esclavage c’était vraiment horrible, le 21e siècle – j’ai bien l’impression que c’est pire encore…

    4. Ce qui est merveilleux c’est que les choses non jamais été aussi clairement dites, même si on est encore un peu loin et que le potentiel d`un réveil de l’humanité – je parle de l’autre humanité, celle qui est vraiment humaine, semble nous donner la chance de découvrir l’empathie, l’honnêteté, la simplicité et nous éloigner de l’égoïsme, de la spéculation, de l’ignorance humaine.

    Le commentaire de Franck m’inquiète un peu…