Pesticides : des tumeurs cérébrales d’agriculteurs peu à peu reconnues maladie professionnelle

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Karine Olivier pose chez elle, Bazouges-La-Pérouse le 22 février 2021, avec la photo de son époux décédé d'un glioblastome à l'âge de 43 ans © AFP Damien MEYER

Bazouges-la-Pérouse (France) (AFP) – C’est encore exceptionnel. Les tumeurs cérébrales de deux agriculteurs morts ont été reconnues en maladie professionnelle, alors que des données épidémiologiques montrent un lien entre ces pathologies rares et l’utilisation de certains pesticides. Un soulagement pour les veuves des victimes.

« Il était conscient de la dangerosité de ces produits mais il se faisait un devoir de le faire. C’était sa religion: que le travail soit bien fait », raconte Jeanne, 75 ans, mère de cinq enfants, habitant une petite commune entre Loire-Atlantique et Vendée.

Son mari, Constant (prénoms changés), éleveur de vaches laitières, a traité ses cultures aux pesticides dès l’âge de 14 ans. Il est mort à 69 ans d’une tumeur cérébrale.

« On a été dans la misère. Mes enfants ont dû m’aider pour vivre. Pendant la maladie, on a dépensé beaucoup d’argent », se souvient Jeanne.

En février 2020, le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) de Nantes, composé de trois médecins, établit un « lien direct et essentiel » entre la maladie de Constant et son métier d’agriculteur. « De la littérature scientifique récente, il ressort qu’une telle exposition (aux pesticides, ndlr) est associée à un sur-risque de développer un gliome cérébral », souligne le comité dans un avis consulté par l’AFP.

« J’ai fait ça pour mon mari. C’était important que son honneur soit défendu », explique son épouse. Cette reconnaissance signifie aussi une rente d’un peu plus de 7.000 euros par an pour Jeanne qui n’aura « plus besoin de demander de l’argent à (ses) filles, de faire attention pour (s)’acheter à manger ». « C’est énorme, inespéré », lâche-t-elle.

Karine a elle dû saisir le tribunal pour faire reconnaître la maladie de son mari, mort en mars 2020, à 43 ans, d’un glioblastome diagnostiqué un an plus tôt. « La rente, ça va nous permettre de retaper la maison », explique l’éleveuse de vaches laitières, qui reçoit dans la cuisine de sa ferme, où la température dépasse à peine les 13°C.

Le 10 décembre dernier, le TGI de Rennes lui a donné raison sur une question de délai, sans se prononcer sur l’aspect scientifique.

Jean-Michel, Odette, Michel, Christophe… « On a eu à connaître plusieurs paysans plutôt jeunes qui décédaient en moins d’un an après des tumeurs cérébrales », raconte Michel Besnard, du collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest, qui a défendu les deux dossiers.

L’avocate du collectif, Hermine Baron, parle de six dossiers en cours ou passés. « C’est compliqué car ce sont des pathologies dans lesquelles le pronostic vital est engagé rapidement », dit-elle.

D’autant plus compliqué que les tumeurs cérébrales ne sont pas des pathologies reconnues dans le tableau des maladies professionnelles agricoles. A l’inverse de la maladie de Parkinson ou des hémopathies malignes provoquées par les pesticides, dont la reconnaissance est en principe facilitée.

La Mutualité sociale agricole (MSA), qui traite les dossiers, a dénombré « 12 cas de tumeurs malignes de l’encéphale ayant fait l’objet d’un passage en CRRMP » entre 2014 et 2020, la plupart du temps sans aboutir, selon une porte-parole, qui rappelle qu’un rapport de l’Inserm de 2013 avait relevé « un niveau de preuve limité » quant au lien entre pesticides et tumeurs cérébrales.

« Il est plus difficile de mettre en oeuvre des études sur des maladies rares car la puissance des analyses statistiques (…) est directement liée à la taille des études », explique Isabelle Baldi, épidémiologiste à l’université de Bordeaux.

Mais la cohorte Agrican, qui inclut 180.000 participants affiliés à la MSA, « montre des risques de tumeurs du système nerveux central plus élevés chez les utilisateurs de pesticides sur certaines cultures (pommes de terre, tournesol et betteraves) », souligne-t-elle. « De plus, des liens ont été mis en évidence avec des insecticides, des herbicides et des fongicides du groupe des pesticides carbamates ».

L’enquête Agrican pointe ainsi un risque qui peut être multiplié par 3 ou 4 selon les pesticides utilisés et les tumeurs concernées.

« Ces procédures en reconnaissance ont un avenir », veut croire Hermine Baron.

© AFP

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6 commentaires

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    • michel CERF

    C’est hélas encore la religion de beaucoup d’agriculteurs , répandre du poison pour se rendre malade , nuire à la biodiversité et aux consommateurs pour que le travail soit bien fait …..

    • Ronan Bars

    Je suis bien d’accord avec le commentaire de Michel…
    Il faudra malheureusement avoir une centaines de morts pour que les experts reconnaissent la corrélation entre les pesticides et les tumeurs !!!
    En effet il est nécessaire d’avoir environ 100 cas pour que les statistiques soient scientifiquement valides…

    • Albert Masson

    S’il est bon de faire connaître les dangers des traitements phytosanitaires, le terme pesticide englobe des catégories très diverses de produits ce qui tend à discréditer l’ensemble des produits utilisés par les agriculteurs. La qualité de l’article vient d’un effort pour préciser les produits incriminés. Dans la mesure où l’on aura une information claire venant d’ailleurs que des fabricants cela incitera les utilisateurs à faire particulièrement attention .

    • Méryl Pinque

    On leur aurait dit, à l’heure où ils les utilisaient, qu’ils s’empoisonnaient en même temps qu’ils empoisonnaient la nature, ils nous auraient insultés et traités de « sales écolos ».

    Qui les a jamais contraints à utiliser du poison ?
    L’être humain libre et éclairé, lui, sait dire non.
    Ces gens n’ont pas su réfléchir ni dire non.
    Aujourd’hui, ils en paient les conséquences.

    • michel CERF

    Oui Méryl , vous avez totalement raison .

    • Brigitte AUBERT

    Un cousin est décédé début janvier d’une tumeur au cerveau à 61 an avec exactement le même parcour professionnel. Nous sommes en centre Bretagne aglo de Ploermel. Merci àGood Planet pour ce témoignage