Le secteur du bio se trouve dans une situation paradoxale qui rend incertain son avenir en France. Après un essor quasi-continu en quatre décennies, la filière bio semble fragilisée. « Le secteur bio en France se situe désormais à un tournant décisif, justifiant une réflexion sur son avenir », écrivent les auteurs du rapport Étude prospective : Quels avenirs pour le secteur bio français d’ici 2040 ?
Commanditée par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (MASA), l’étude a été réalisée par le Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) et le cabinet de conseil spécialisé dans les filières agricoles et alimentaires CERESCO. Leurs travaux prospectifs envisagent quatre scénarios pour le futur de l’agriculture biologique (AB) et de son label. Tous ne voient pas l’avenir de la filière bio en vert, même si celle-ci prouve sa pertinence pour relever les défis du siècle en cours. L’étude de 240 pages a été remise en mars 2025, puis rendue publique le mois suivant avant de faire l’objet d’une note d’analyse de quatre pages courant août 2025.
Olivier Chaloche, co-président de la FNAB (Fédération Nationale d’Agriculture Biologique) : « le ministère a tiré du rapport une note un peu restrictive. Les médias l’ont reprise en la présentant comme peu encourageante par rapport à l’AB. Trois scénarios sur quatre reprennent pourtant toutes les pratiques de l’agriculture biologique. C’est encourageant. Cette étude rappelle aussi ce qu’on répète depuis des années, si l’agriculture biologique n’est pas soutenue, elle a du mal à se développer. »
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Certains des quatre scénarios évoquent la disparition de la filière et du label. Mais, selon les auteurs de l’étude, « des voies existent néanmoins pour stimuler le secteur bio à l’avenir ».
Un ralentissement du bio en dépit d’un certain succès
Cette étude, qui fait beaucoup parler, arrive à un moment particulier. Les normes de protection de l’environnement font l’objet de vives critiques et contestations d’une partie du monde agricole. Une tendance que la très controversée loi Duplomb incarne. Cette proposition de loi a aussi mobilisé contre elle une partie de l’opinion dans un élan d’une ampleur inédite. « Le succès de la pétition contre la loi Duplomb, qui a rassemblé près de 2 millions de signatures, témoigne certainement de l’envie d’une partie des citoyens d’aller vers d’autres formes d’agriculture qui ne reposent pas sur les pesticides de synthèse », affirme Olivier Chaloche.
Dans le même temps, l’agriculture biologique répond aux enjeux écologiques. Mais la transition vers le bio peine encore à convaincre. Les derniers chiffres de l’Agence BIO publiés en juin 2025, portant sur l’année 2024, font état de tendances contradictoires avec un « solde de +1% entre producteurs bio entrants et sortants [qui] s’accompagne pourtant d’une baisse des surfaces bio de 56 197 hectares en bio ». Ainsi, près de 62 000 fermes sont engagées dans le bio en France, ce qui représente 2 711 567 hectares, soit 10,1 % de la surface agricole française. Or, l’objectif de 21 % des cultures en bio d’ici 2030 fixé par la LOA (loi d’orientation agricole) de 2024 semble de plus en plus difficile à atteindre. Début 2025, il a un temps été menacé de retrait par le Sénat, mais « il a été sauvé » se réjouit Olivier Chaloche. Il estime que cet objectif « est tenable à condition de communiquer plus sur la Bio pour stimuler la demande, de respecter les engagements concernant la restauration collective de 20 % de produits bio et de bénéficier d’un soutien continu et cohérent des pouvoirs publics ».
Pourtant, les produits bio se vendent. Certes le rythme de croissance du secteur ralentit, mais les dépenses des consommateurs ont progressé de 0,8 % entre 2023 et 2024. Ces achats représentent 6 % des achats alimentaires des Français. La filière bio génère près de 14 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Selon l’Agence BIO, les achats des ménages représentent 12,2 milliards d’euros auxquels « s’ajoutent 826 millions d’euros de débouchés en restauration hors-domicile et 1,2 milliards d’euros d’export ».
« Aujourd’hui, la Bio fait face à une crise de la demande »
« Aujourd’hui, la Bio fait face, depuis la pandémie de Covid-19 en raison de l’inflation et de la baisse du pouvoir d’achat, à une crise de la demande », analyse Olivier Chaloche. « La France est à contretemps de ses voisins européens. En France, on a supprimé les aides au maintien de l’agriculture bio en pensant que le marché suffirait à prendre le relais, or on voit bien avec cette crise que ce n’est pas tout à fait le cas. » Il déplore le manque à gagner du secteur du fait du non-respect des engagements prévus dans la loi sur les achats de bio, qui auraient pu compenser le ralentissement de la demande des particuliers.
L’étude demandée par le MASA a été réalisée avant la publication de ces chiffres, mais elle notait déjà un infléchissement du bio en 2020 avec un recul des surfaces cultivées et de la consommation. « Ces inflexions ont amené les acteurs de l’AB à s’interroger sur le devenir de leur secteur et, dans un contexte d’ambition renouvelée », soulignent les auteurs du rapport. Son objectif est de présenter les défis que la filière bio devra relever, ce qu’il entreprend en élaborant quatre grands scénarios. « Ce sont des anticipations à portée illustrative qui explorent différents futurs probables », telle est l’ambition des rédacteurs qui cherchent à éclairer les décideurs. « Ils décrivent des trajectoires d’évolution volontairement contrastées et ne prétendent pas décrire à l’avance la réalité », poursuivent les auteurs de l’étude. Ces derniers notent par ailleurs que « la question d’une possible marginalisation de l’AB se pose, face à d’autres démarches mettant elles aussi en avant des promesses environnementales. »
Sciences (agronomiques et humaines) fiction : 4 hypothèses de travail pour envisager l’agriculture biologique d’ici 2040
Tandis que le label AB célèbre en 2025 ses 40 ans, les prospectives proposés mettent en lumière le rôle de l’agriculture biologique pour répondre aux enjeux environnementaux et sociétaux. En se basant sur des tendances déjà observées ou potentiellement à l’œuvre, ces scénarios reflètent également des réponses possibles aux crises écologiques. Il en ressort que l’agriculture biologique contribue à la transition, mais que cela n’est pas forcément perçu. Ainsi, deux scénarios envisagent son effacement voire sa disparition en tant que filière et label. Deux autres mettent en avant sa reconnaissance et son essor.
Deux scénarios pessimistes entre recul, retour forcé et stagnation de l’agriculture biologique d’ici 2040
Scénario 1 : en quête de croissance puis de résilience, le secteur bio non prioritaire
Dans le « Scénario 1 : en quête de croissance puis de résilience, le secteur bio non prioritaire », les rapporteurs postulent une hypothèse de poursuite du « business-as-usual » qui favorise l’agro-industrie, et la mondialisation. Les conséquences sont alors une faible prise en compte de l’environnement et la recherche du profit au détriment de la transition. Ils estiment alors que « dans ce contexte, les produits bio disparaissent des rayons de la grande distribution, et le tissu économique spécialisé se délite (ex. de nombreux industriels spécialisés en bio font faillite). Cela empêche le rebond du secteur, un temps espéré, après la crise de 2021-2023. ».
Le bio, comme label, survit à peine : « la production agricole bio, marginalisée, se recentre sur une clientèle fidèle et/ou au fort pouvoir d’achat, souhaitant consommer des produits perçus comme sains et naturels. »
Mais, au tournant des années 2030, les sociétés ayant décidé de ne pas anticiper les crises se font rattraper par les catastrophes et les pénuries (énergie, engrais et produits phytosanitaires). Au final, cet effondrement du modèle de l’agriculture intensive aboutit à une transformation forcée de l’agriculture. « Dans ce contexte de sobriété subie, les pratiques agricoles biologiques, moins consommatrices d’intrants, se développent en quelques années, mais sans être formellement labellisées ».
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« Nous ne sommes pas étonnés de voir une généralisation de nos pratiques dans ces travaux puisqu’il s’agit juste d’un retour aux bases de l’agronomie en lieu et place de la chimie », explique Olivier Chaloche, co-président de la FNAB. « Allonger sa rotation, réintégrer de la matière organique dans son sol, remplacer la chimie par le travail mécanique, ce sont déjà des pratiques qu’on partage régulièrement avec nos collègues conventionnels sur le terrain dans le cadre de groupes d’échanges techniques ».
Scénario 2 : « 3e voie » triomphante et secteur bio marginalisé
Quant à lui, le scénario 2 se nomme « ” 3e voie” triomphante et secteur bio marginalisé ». Surtout, il émet une hypothèse moins radicale que l’effondrement de la filière. Ce scénario imagine une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux par les consommateurs auxquels les entreprises tentent d’apporter des réponses.
Ce scénario entrevoit plutôt l’émergence d’alternatives au bio, portées par de grandes exploitations et de grandes entreprises. Ces acteurs, souvent transnationaux, « s’approprient ces nouvelles règles du jeu. Ils cherchent à se démarquer les uns des autres en mettant en avant leurs actions favorables à la durabilité ». De plus, « ils accompagnent le déploiement d’itinéraires techniques environnementalement plus ambitieux (ex. santé des sols), mais moins exigeants que ceux de l’AB. »
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Cette base de travail envisage donc une forme d’amélioration volontaire dans la production agricole et alimentaire. Néanmoins elle ne bénéficie pas nécessairement à la filière bio puisque celle-ci demeure minoritaire. « À l’horizon 2040, les produits bio représentent moins de 3 % des dépenses alimentaires des ménages (contre 5,6 % en 2023) ». La consommation de bio perdure uniquement dans des catégories socioéconomiques très spécifique, reflet d’inégalité qu’on observe déjà. « Seule une faible part de consommateurs continue à en acheter. Il s’agit notamment de jeunes diplômés, bien informés et souvent engagés, peu enclins à consommer les produits de la « 3e voie », et de personnes plus âgées, convaincues de longue date. » Une situation comparable à celle observée actuellement où en raison de son prix et d’une offre pas toujours accessible, le bio semble encore cantonné à une minorité prête à payer pour.
Deux scénarios davantage optimistes pour 2040 qui posent toutefois la question de l’exigence de qualité
Les deux autres visions prospectives mettent en avant le rôle de l’agriculture biologique dans la transition et il est possible, avec des nuances d’y percevoir une forme de succès, malgré des défis à relever.
Scénario 3 : un standard bio « allégé » pour un secteur compétitif et généralisé
Le 3e scénario élaboré est sans ambiguïté avec son titre « Scénario 3 : un standard bio « allégé » pour un secteur compétitif et généralisé ». Après une série de crises climatiques, les États mettent de grandes ambitions dans la transition au début de la décennie 2030, y compris en ce qui concerne le modèle agricole.
Alors, « au niveau européen, les acteurs des filières biologiques françaises s’unissent pour faire reconnaître l’AB comme référence pour la production agricole » et « un nouveau Green Deal fixe des objectifs environnementaux ambitieux, telle la sortie des produits phytosanitaires en 2040. » La transition est amorcée, « les ambitions environnementales s’affirment, par exemple via la mise en place de taxes sur les intrants. »
Cependant la forte demande et l’augmentation des volumes à produire conduit à revoir les normes de production. « Sous l’influence de la distribution généraliste et d’acteurs économiques polyvalents, travaillant en bio et en conventionnel, le cahier des charges du bio européen est assoupli sur certains aspects. »
Ce qui n’empêche pas la transformation profonde des habitudes de consommation et de production. Les consommateurs se montrent plus désireux de manger sain tant pour leur santé que pour la planète, tout en étant disposés à y mettre le juste prix, tandis que « la parole scientifique sur ces aspects est présente dans les médias. » Et les produits bio se retrouvent « également davantage présents dans les rayons des grandes surfaces. En 2040, l’AB est en croissance, malgré des débats qui se poursuivent, par exemple à propos des cahiers des charges concurrents. »
Dans cette hypothèse, les produits bio sont 5 fois plus présents dans le panier des Français qu’actuellement : « les produits bio atteignent 30 % de parts de marché en France ». Commentant ce scénario, Olivier Chaloche de la FNAB rappelle la nécessité d’être vigilant quant à « l’exigence du cahier des charges de l’AB » et précise que l’organisation se retrouve plutôt dans le 4e scénario.
Scénario 4 : vers une agriculture et une alimentation biologiques prédominantes
L’ultime scénario va plus loin. Le « Scénario 4 : vers une agriculture et une alimentation biologiques prédominantes » envisage une ambition écologique plus forte. Elle se traduit par une remise en cause du libre-échange sur les denrées agricoles et un investissement massif pour assurer la transition de l’agriculture conventionnelle vers l’agriculture biologique. « Simultanément, les pouvoirs publics cherchent à infléchir les modes de consommation. Une sécurité sociale de l’alimentation est mise en place et une taxation spécifique est créée pour les produits ayant le plus d’impacts négatifs en matière de santé et d’environnement. »
Les auteurs vont même jusqu’à supposer que tous les commerces alimentaires doivent proposer au moins un quart de produits bio en 2035. À ces quotas s’ajouteraient un étiquetage, sous forme de score, simple, clair et précis afin de sensibiliser le consommateur. Ce score serait composé « d’indicateurs sur la santé et la nutrition, les émissions de gaz à effet de serre, la préservation des ressources (eau, sols, biodiversité). »
Enfin, ce scénario revoit aussi à la hausse les ambitions sur la restauration collective : « les pouvoirs publics durcissent les objectifs concernant la présence des aliments biologiques, végétaux et locaux dans les menus, ainsi que le contrôle de ces objectifs. »
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Les auteurs soulignent que si leur hypothèse met en lumière un succès du Bio, celui-ci n’est pas garanti et que le bio reste l’objet de discussions sur la manière dont on le définit. Ils écrivent par exemple que dans ce quatrième scénario « malgré une augmentation sensible des budgets des collectivités, faisant suite aux nombreux débats tenus sur l’alimentation, les moyens restent hétérogènes et quelques libertés sont prises avec les directives nationales (origine UE plutôt que locale, etc.) ».
Des préconisations pour préserver et développer le Bio
Après avoir conçu ces scénarios, les rapporteurs préconisent de maintenir et renforcer le soutien à la filière bio. Olivier Chaloche insiste : « si on veut que la Bio se généralise, nous avons besoin d’un soutien cohérent et constant. »
Il ajoute : « on suivra les débats budgétaires au Parlement avec attention et nous saurons rappeler à la ministre de l’Agriculture et à celle du budget qu’une politique publique efficace se pense dans la continuité, pas dans les à-coups opportunistes. »
Enfin, pour arriver à concrétiser les scénarios les plus optimistes pour la Bio, le président de la FNB estime qu’il existe trois leviers : une communication plus marquée sur les bienfaits sanitaires et environnementaux du bio auprès des consommateurs, un développement de la commande publique qui doit respecter l’engagement de 20 % de produits bio dans la restauration hors-domicile. Or, d’après Olivier Chaloche, cela varie selon les collectivités, « aujourd’hui, on n’est entre 6 et 7 %, certaines communes jouent le jeu avec 50 % voire 100 % de bio. On espère que la démarche sera dans l’agenda des candidats lors des prochaines élections municipales ».
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Un commentaire
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Huynh
on s’interroge sur l’avenir de la filière bio. Mais ne devrait-on pas plutôt s’interroger pour l’avenir de la filière traditionnelle?!? On marche sur la tête…