Face aux crises écologiques, les solutions ne sont pas à chercher uniquement du côté de la technologie et des comportements. Depuis une douzaine d’années, le concept de Solution fondée sur la nature (traduction française de Nature based solution) a émergé. Cette approche consiste à préserver le vivant dans des projets à l’échelle du territoire tout en tirant parti des services rendus par la biodiversité. Directeur de recherche à l’INRAE en écologie ingénieriale et ingénierie écologique, Freddy Rey vient de publier Des solutions fondées sur la nature Une réponse aux défis environnementaux et sociétaux aux éditions Quae. Ce scientifique rattaché au Laboratoire des écosystèmes et des sociétés en montagne Grenoble, fait un état des lieux et propose un panorama de ce que les solutions fondées sur la nature permettent de faire. Dans cet entretien avec GoodPlanet Mag’, Freddy Rey revient sur l’intérêt de développer davantage les solutions fondées sur la nature.
Que sont les solutions fondées sur la nature ?
Il s’agit de projets qui sont fondés sur la nature, c’est-à-dire que ces projets vont utiliser le vivant afin d’atteindre différents objectifs. Ces objectifs correspondent à des défis environnementaux et sociétaux. Ils doivent comporter une composante de préservation de l’environnement. Les solutions fondées sur la nature ont pour cible de contribuer à, par exemple, la prévention des risques naturels, la préservation de la ressource en eau, le développement socio-économique, la sécurité alimentaire, la santé humaine et enfin la lutte et l’adaptation face au changement climatique. Il est important qu’une solution fondée sur la nature apporte deux bénéfices.
Est-ce qu’il y a une distinction entre les solutions fondées sur la nature et le biomimétisme ?
La différence réside dans le fait que le biomimétisme s’inspire de la nature, mais pour des finalités qui ne la concernent pas forcément directement. Le biomimétisme est plutôt tourné vers des critères technologiques. Il constitue davantage une manière de concevoir des technologies. Par exemple, on va reproduire la façon dont les phoques se servent de leur peau pour skier.
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Vous écrivez que certaines collectivités pratiquent déjà les solutions fondées sur la nature sans le savoir, pouvez-vous donner des exemples ?
L’expression « solution fondée sur la nature » est apparue assez récemment, au début de la décennie 2010, portée par une communauté de conservateurs de la nature. La démarche a été mise en avant par l’UICN (l’Union Internationale pour a Conservation de la Nature).
« Recourir au génie végétal est une façon de se servir de la nature et de la servir en même temps »
Pourtant, les approches apportant des cobénéfices tant pour la nature que la société ne datent pas d’hier. Il y a beaucoup de choses qu’on sait déjà faire, notamment en termes de prévention des risques naturels. C’est par exemple le cas lorsque la végétation est utilisée pour prévenir les inondations. Ainsi, recourir au génie végétal est une façon de se servir de la nature et de la servir en même temps tout en répondant à un besoin sociétal.
Les élections municipales ont lieu l’année prochaine. Que diriez-vous aux candidats et aux équipes qui voudraient lancer un projet basé sur une approche solution fondée sur la nature ?
Étant moi-même élu, je suis au cœur des problématiques qu’une collectivité peut rencontrer. Bien souvent, si les élus ne recourent pas aux solutions fondées sur la nature, c’est d’abord parce qu’ils ne les connaissent pas. Je voudrais leur dire de se renseigner sur le sujet, d’autant plus que mon livre présente un panorama qui montre les principes guidant la démarche d’un tel projet et des exemples concrets.
« Bien souvent, si les élus ne recourent pas aux solutions fondées sur la nature, c’est d’abord parce qu’ils ne les connaissent pas. »
Ensuite, pour que les décideurs puissent s’emparer de ce type de solutions, il leur faut non seulement un accès à l’information, mais aussi sortir du travail en silo, ce qui implique une volonté politique qui requiert une vraie gouvernance. Or, un des verrous rencontrés, lorsqu’on veut mettre en place ce type de projet, est le cloisonnement des thématiques au sein d’une équipe. Il y a par exemple un responsable de l’environnement et un autre en charge du développement socio-économique avec une dimension agricole ou agroforestière. Or, comme ces personnes travaillent chacune dans leur coin, on ne va pas vers des approches tournées vers les cobénéfices. Je préconise donc de mettre en place des passerelles, des visions transversales, voire des fonctions au sein des collectivités. Les personnes ne feraient alors que regarder les cobénéfices car c’est dans la concertation que se trouvent les clefs pour réussir des projets de solution fondée sur la nature.
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L’attention portée aux solutions fondées sur la nature se focalise souvent sur la prévention des risques, que peuvent-elles apporter d’autre ?
Au-delà de la prévention des risques naturels, les solutions fondées sur la nature permettent de répondre à d’autres défis sociétaux. J’aurais ainsi un peu de mal à vous lister une solution fondée sur la nature qui contribue directement à la santé humaine, à l’exception de la lutte contre les espèces exotiques envahissantes et allergisantes. Cependant, je peux vous dire qu’intervenir avec une solution fondée sur la nature pour préserver les personnes et les biens face à un risque, cela participe à la santé humaine. Dans le même ordre d’idées, favoriser l’agroécologie avec des solutions fondées sur la nature adaptées permet de préserver l’environnement tout en contribuant au développement socioéconomique grâce à l’agriculture et à la sécurité alimentaire puis par là-même a la santé humaine. De nombreux défis sociétaux se révèlent transverses, quelque soit le type d’action que vous aurez avec les solutions fondées sur la nature, il est possible d’y répondre de façon un peu large.
Ce qui rejoint l’approche Nexus qui lie le vivant, le climat et la santé humaine…
Aujourd’hui, il est important de regarder les choses dans leur globalité. Ainsi, cela laisse apparaître des cobénéfices multiples sur des actions entreprises, notamment en faveur de l’environnement. Il suffit parfois de modifier un peu l’action de départ, si elle était mono-objectif. Par exemple, utiliser la végétation, c’est bien, mais utiliser une végétation diversifiée, c’est encore mieux, ça ne coûte guère plus cher tout en apportant plusieurs bénéfices.
« Utiliser la végétation, c’est bien, mais utiliser une végétation diversifiée, c’est encore mieux »
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Est-ce qu’il y a une solution fondée sur la nature sur laquelle vous aimeriez revenir ?
J’aime bien mettre en avant les zones humides. Elles sont aujourd’hui connues et reconnues pour leur valeur écologique. C’est notamment pour cela qu’on les préserve, on les crée, on les restaure et on les gère. Les zones humides apportent d’autres bénéfices en aidant à faire face au risque d’inondation. Une zone humide est un endroit qui peut accueillir de l’eau quand cette dernière est en excès. Pour prévenir les crus, un des principes consiste à faire en sorte que l’eau s’étale dans l’espace, ce qui explique la création des zones d’extension des crues. Les zones humides peuvent recevoir une partie du trop-plein d’eau pour la restituer un peu plus tard, une fois que la crue est passée, ou bien favoriser l’infiltration des précipitations dans les nappes. Une zone humide seule peut sembler petite ou insuffisante à elle seule pour y parvenir. Toutefois les multiplier contribue à atténuer et réduire le risque d’inondation.
Que peuvent apporter les solutions fondées sur la nature pour faire face aux vagues de chaleur et aux canicules, tout particulièrement en ville ?
En ville en période de canicule, elles répondent aux enjeux de lutte et d’adaptation face au changement climatique. Les solutions fondées sur la nature font quasi-systématiquement appel au végétal. Dès lors, elles contribuent à séquestrer du carbone. De plus, les zones végétales apportent de l’ombre, se révèlent des îlots de fraîcheur dans les villes, dans les cours d’école… Ces stratégies d’adaptation se développent très bien aujourd’hui. Il faut amplifier et multiplier ce type d’interventions pour se prémunir de la chaleur tout en prévenant le réchauffement climatique car malheureusement le retour en arrière va être compliqué.
« Les solutions fondées sur la nature font quasi-systématiquement appel au végétal »
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Enfin, vous indiquez que les solutions fondées sur la nature doivent être complétées avec d’autres approches notamment de l’ingénierie civile. Que voulez-vous dire ? Ne se suffissent-elles pas à elles-mêmes ?
Cela concerne surtout la prévention des risques naturels. Le dérèglement climatique exacerbe les aléas naturels de façon systématique. Les phénomènes liés à l’eau, comme les orages, les précipitations et les inondations, deviennent de plus en plus forts et violents. Dans le cadre de la protection des biens et des personnes, il faut parfois faire appel à des structures résistantes et rigides, comme des digues le long des cours d’eau pour protéger les habitations. Dans ce cas de figure, la composante fondée sur la nature peut se révéler inadaptée, ou en tout cas insuffisante, pour préserver les bâtiments. À ce moment-là, plutôt que de se dire qu’on va substituer du génie civil par du génie végétale, l’idée est de chercher et trouver un équilibre entre les deux. Il existe alors les techniques hybrides pour végétaliser des ouvrages de génie civil.
Avez-vous un dernier mot ?
Chaque jour, des événements rappellent qu’il faut agir. Parvenir à bien sensibiliser tous les acteurs de l’aménagement du territoire aux solutions fondées sur la nature permettrait de favoriser le développement de ces dernières. Il n’est jamais facile de relier des approches concernant des défis environnementales avec des approches à propos d’autres enjeux sociétaux.
Propos recueillis par Julien Leprovost
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Pour aller plus loin
Des solutions fondées sur la nature Une réponse aux défis environnementaux et sociétaux par Freddy Rey, éditions Quae
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