La libre évolution : une stratégie de gestion des milieux naturels à mieux connaître et développer en France

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Dunes et forêt du Porge géré par le Conservatoire du littoral © Alexandra Locquet

À l’heure où retrouver de bons fonctionnements écologiques dans les des milieux naturels est une priorité environnementale, plusieurs stratégies existent dont la libre évolution. Cette dernière est complémentaire de la restauration écologique, du ré-ensauvagement ou de la régénération naturelle.  Ces approches jouent un rôle déterminant dans la préservation de la biodiversité et font débat parmi les scientifiques et les écologistes. GoodPlanet Mag’ republie dans ses pages Débattre un texte de du Comité Français de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) qui explique ce qu’est la libre évolution ainsi qu’une déclaration plaidant en sa faveur. Début 2024, le comité français de l’UICN et la Commission Nationale Française pour l’UNESCO ont organisé un séminaire sur la libre évolution des espaces au siège de l’UNESCO à Paris. Réunissant un demi-millier de personnes, il promeut ainsi l’intérêt de ces territoires caractérisés par une absence d’interventions humaines, ou minimales, afin de favoriser la libre expression des processus naturels.

La libre évolution : définition et enjeux

La libre évolution consiste à favoriser la libre expression des processus écologiques. Elle vise à encourager le retour de processus naturels dans les écosystèmes et laisser la nature se développer spontanément. Elle peut se pratiquer aussi bien dans des espaces à haute naturalité que dans des espaces ayant été transformés par les activités humaines. Cette approche, loin de sacraliser un idéal de nature, reconnaît l’influence passée des activités humaines dans la modification des milieux.

La libre évolution peut être un choix de gestion, ou un état de fait, caractérisé par l’absence d’intervention humaine directe. Elle contribue à l’augmentation de la naturalité des écosystèmes et la résilience des écosystèmes aux changements globaux en réduisant les impacts anthropiques.

Aujourd’hui, de nombreuses initiatives fleurissent au sein des différents réseaux de la conservation de la nature : programmes des espaces en libre évolution des Conservatoires d’espaces naturels de Normandie et d’Auvergne, réseau de réserves biologiques intégrales de l’Office National des Forêts, implication de Réserves naturelles de France et du Conservatoire du littoral sur la libre évolution, mise en place des réserves de vie sauvage de l’ASPAS, organisation d’un atelier lors du congrès annuel des parcs naturels régionaux, création de la Coordination libre évolution…

Un séminaire de janvier 2024 a été l’occasion de présenter la libre évolution et ses enjeux. Les gestionnaires d’espaces naturels ont partagé leurs réflexions et leurs initiatives en cours au sein des différents réseaux. Ces riches retours d’expériences ont fait ressortir certains freins et leviers à la mise en œuvre de stratégies de libre évolution, locales et nationales, afin de favoriser ce type de gestion. L’objectif de ce séminaire est double : créer des synergies afin d’articuler les actions individuelles entre elles, et mieux communiquer sur la notion de libre évolution.

Le terme de « libre évolution » a émergé dans la conservation de la nature dans les années 1990, avec les travaux de François Terrasson et de Jean-Claude Génot. La notion a été renforcée dans les années 2000 par les recherches menées sur la nature férale d’Annik Schnitzler, Jean-Claude Génot et de Maurice Wintz. L’intérêt pour la libre évolution a également été renforcé par les travaux effectués sur le rôle du bois mort en forêt, mené notamment par Daniel Vallauri, Jean André et Jacques Blondel. Progressivement, le concept a été repris par la société civile et les associations – l’association Francis Hallé pour la forêt primaire notamment – y compris dans des communications à destination du grand public, comme l’illustre un récent colloque organisé à la Cité des sciences et de l’industrie.

La libre évolution revêt une dimension éthique et philosophique forte, mise en exergue par Baptiste Morizot dans son ouvrage Raviver les braises du vivant. Elle invite à « repenser les systèmes de valeurs attachés à la nature et la possibilité de lui laisser une plus grande autonomie », selon Rémi Beau et Virginie Maris, philosophes de l’environnement. Alors que la crise environnementale actuelle questionne notre capacité à cohabiter avec le vivant, la libre évolution interroge le rapport que nos sociétés entretiennent avec les non-humains. Ainsi, « la libre évolution n’est pas non plus un lâcher-prise candide : c’est une pratique diplomatique », énonce Baptiste Morizot. Elle s’inscrit au sein des réflexions relatives à l’attention portée aux autres êtres vivants par l’intermédiaire d’actions concrètes sur le terrain, comme l’atteste l’ouvrage Convivialité : l’alliance avec la nature de Patrick  Blandin, Frédéric Ducarme et Damien Marage, membres du groupe de travail « éthique en action » du Comité français de l’UICN. « Il est indispensable de changer de regard rapidement sur la ‘gestion’ des espaces naturels dans notre pays. La multiplication des espaces en libre évolution est essentielle afin de préserver la biodiversité qu’il reste avant qu’elle ne disparaisse » remarque Maud Lelièvre, présidente du Comité français de l’UICN.

La libre évolution en action

Les réflexions sur la libre évolution font partie d’un mouvement d’intérêt croissant en faveur de la nature sauvage depuis quelques années en Europe, qui se traduit par la mise en œuvre d’actions concrètes. L’objectif est de retrouver des dynamiques spontanées au sein des écosystèmes. De nombreuses expérimentations sont ainsi menées en France et en Europe, allant de la réintroduction d’espèces clés de voûte dans le cadre de stratégies de rewilding, aux approches plus passives visant à laisser évoluer les milieux sans intervention humaine. Retrouver des écosystèmes fonctionnels participe à assurer la résilience des milieux face au changement climatique et à l’érosion de la biodiversité.

Les institutions s’emparent aussi du sujet : en 2009, une résolution du Parlement européen incite les états membres à agir en faveur de la wilderness (« zone de nature vierge »), en identifiant et en protégeant ces espaces. En France, la Stratégie nationale pour les aires protégées 2030 vise à assurer la protection forte de 10% du territoire. Le Comité français de l’UICN porte également un travail de cartographie des espaces de haute naturalité potentielle en France (CartNat).

La déclaration finale du séminaire inter réseaux sur la libre évolution du 8 janvier 2024

« Face à la perte de biodiversité observée en France et aux menaces qui pèsent sur elle, les organisations signataires appellent à une augmentation significative du nombre de territoires en libre évolution et de leur surface, entendus comme territoires où la nature s’exprime de façon spontanée sans activité humaine extractive ou intrusive. 

De plus en plus de travaux scientifiques démontrent l’efficacité des espaces en libre évolution pour restaurer ou sauvegarder les dynamiques naturelles et la biodiversité. Ces espaces jouent également un rôle de sentinelle pour observer l’impact du dérèglement climatique sur les écosystèmes et la capacité de ces derniers à s’y adapter et à en atténuer les effets.

De nombreux acteurs français sont engagés dans une dynamique positive en faveur de la libre évolution avec un foisonnement d’initiatives d’établissements publics, d’associations, de collectivités, d’acteurs locaux et de citoyens engagés.

A l’issue du séminaire sur la libre évolution du 8 janvier 2024 à l’UNESCO organisé par le Comité français de l’UICN en collaboration avec la Commission nationale française pour l’UNESCO et les réseaux de gestionnaires d’espaces naturels, les signataires de la présente déclaration s’engagent sur les éléments suivants :

  • Poursuivre nos actions sur la libre évolution et valoriser cette approche dans l’ensemble des instances où nos organisations sont engagées ;
  • Poursuivre la convergence des acteurs français sur la libre évolution en respectant leur richesse et leur singularité. Il s’agit également de relier les dynamiques et en organisant a minima un séminaire conjoint tous les deux ans pour rendre compte et partager les initiatives en cours ;
  • Au niveau international, engager un processus de réflexion sur la pertinence et la faisabilité des initiatives suivantes : la reconnaissance d’une chaire UNESCO spécifique sur la libre évolution, la reconnaissance par l’UNESCO de la libre évolution, la pertinence de la reconnaissance de territoires au Patrimoine Mondial au titre de la libre évolution, la proclamation d’une charte internationale de la libre évolution.

Compte tenu de l’urgence climatique, de l’effondrement de la biodiversité et de la perte des fonctionnalités des milieux naturels, nous sommes convaincus que la libre évolution est une « notion clef » pour préserver les dynamiques garantes d’une partie de notre patrimoine naturel, renforcer la résilience des écosystèmes et pour développer progressivement un autre regard de l’humanité sur le vivant.

Ce concept contribue ainsi à placer l’humanité comme acteur soucieux et responsable du cadre harmonieux partagé avec l’ensemble du vivant et de ses interrelations. »

La libre évolution : une stratégie de gestion des milieux naturels à mieux connaître et développer en France – Comité français de l’UICN – Invitation séminaire et CP – 8-9/01/2024 siège de l’UNESCO par l’UICN

Pour aller plus loin

La libre évolution : une stratégie de gestion des milieux naturels à mieux connaître et développer en France sur le site du Comité français de l’UICN

Une déclaration signée entre la Commission nationale française pour l’UNESCO et le Comité français de l’UICN concernant la libre évolution des milieux naturels afin de diffuser et mettre en œuvre plus largement cette pratique

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Un commentaire

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    • Daniel Perret

    L’idée semble convaincante. Mais, sans dialogue avec les intelligences qui administrent la nature, cela mène souvent dans l’impasse. Car, si l’être humain a chassé ces êtres, ils sont remplacés par des êtres nuisibles, décomposant le vivant. L’équilibre ne se fait qu’en aidant les êtres qui construisent le vivant. Là, il est indispensable de coopérer avec les esprits de la nature et les êtres invisibles. En les niants, comme dans nos 2000 ans d’histoire, on y arriveras pas. Je viens de publier: ‘Cooperating with the Invisible – nature spirits and spirit beings – our ecological lifeline. La version française est prête, mais cherche encore un éditeur – sinon je la publierai moi-même.