La chercheuse en écologie Clémentine Mutillod : « le ré-ensauvagement n’en reste pas moins une approche complémentaire de la restauration écologique »

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Tarpans dits de Bilgoraj. Une souche d'origine polonaise proche des chevaux métissés et probablement féraux de la période historique et protohistorique eux mêmes descendants du véritable cheval sauvage européen (Equus ferus ferus) disparu au Néolithique Chevaux Tarpans dits © Clémentine Mutillod, Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie.

Restaurer les écosystèmes ou ré-ensauvager, quelle est la meilleure approche pour remettre en état un écosystème perturbé par les activités humaines ? La question fait débat parmi les scientifiques et les écologistes. Une étude récente publiée dans la revue Biological Conservation en février 2024 apporte des éléments de réponse. Les scientifiques ont notamment comparé l’impact sur les écosystèmes de pelouse en France. Ils ont comparé les répercussions pour le milieu de l’introduction d’un mammifère herbivore sauvage, en l’occurrence le cheval de Przewalski avec celles de la présence de mammifères domestiqués comme les brebis ou les chevaux. Dans cette interview, la doctorante à l’Institut Méditerranéen de Biologie et d’Écologie d’Avignon Clémentine Mutillod explique cette recherche. Elle éclaire ainsi le débat entre la restauration écologique, une approche née dans les années 1930 et le rewilding (ou ré-ensauvagement), une approché née à la fin des années 1990. Cette discussion anime le monde de la conservation et de la préservation du vivant. Clémentine Mutillod est la principale contributrice aux travaux publiés dans Biological Conservation. Elle doit aussi soutenir fin 2024 une thèse dont le titre est Restaurer ou ré-ensauvager les écosystèmes ? Le cas des pelouses sèches du Causse Méjean.

Comment est-ce que l’étude des grands mammifères herbivores, dont le cheval de Przewalski en France, qui n’est pas une espèce endémique et qui a été introduit à la fin du XXe siècle sur le territoire français, aide à mieux comprendre les stratégies de conservation de la nature ?

Le cheval de Przewalski n’est effectivement pas une espèce endémique en France. Il a été introduit récemment dans les années 1990. Néanmoins, sur le plan conceptuel du ré-ensauvagement, étudier les effets de l’introduction d’un grand herbivore qui remplit des fonctions écologiques similaire à des animaux disparus est pertinent. Ici, en l’occurrence, le cheval de Przewalski joue un rôle équivalent à celui des chevaux tarpans qui étaient présents en Europe avant l’arrivée et l’établissement des communautés humaines.

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Il est ainsi possible de comparer les effets de la présence de plusieurs sortes d’herbivores dans un milieu similaire. On peut alors mesurer les effets induits par la présence d’animaux domestiques dans les pâturages : les ovins et les chevaux domestiques avec celle des équidés non gérés et considérés ici comme sauvages que sont les chevaux de Przewalski.

D’ailleurs, comment en est-on arrivé à avoir des chevaux de Przewalski à l’état mi-sauvage en France ?

Dans les Cévennes, les chevaux de Przewalski ont été initialement introduits à des fins de conservation de l’espèce à partir d’individus provenant de différents zoos européens. Ils ont été placés en semi-liberté afin de reformer des groupes familiaux, retrouver des comportements qu’ils n’avaient plus dans les zoos pour ensuite être réintroduits en Mongolie.

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Lors de l’introduction de l’espèce dans les Cévennes, il a été avancé que le cheval de Przewalski pouvait entretenir les milieux ouverts à un moment où les terres agricoles de moyenne montagne étaient en cours d’abandon. 30 années plus tard, on a pu mesurer qu’il entretenait bien les milieux tout en apportant des spécificités différentes des animaux domestiques.  

Qu’est-ce qui différencie la restauration écologique des écosystèmes et le é-ensauvagement ?

La restauration écologique et le réensauvagent sont souvent confondus. Malgré des approches différentes, les deux visions partagent cependant un but commun : restaurer les écosystèmes qui ont été dégradés notamment par des activités humaines. Ces deux approches prennent en considération le changement climatique et encouragent le rétablissement plus global des processus écologiques.

« Les deux visions partagent cependant un but commun : restaurer les écosystèmes qui ont été dégradés notamment par des activités humaines »

Les deux concepts se distinguent car ils ont chacun émergé en réponse à des questionnements et des problématiques précises. La restauration écologique est née aux États-Unis dans le sillage des travaux d’Aldo Leopold pour restaurer les prairies dégradées par les travaux agricoles dans les années 1930. Il y a une dimension utilitariste afin de pouvoir continuer à pratiquer l’agriculture. En plus de la fertilité du sol, l’approche essaye de prendre compte et de faire revenir les espèces présentes dans les prairies avant leur dégradation.

« Les deux c concepts se distinguent car ils ont chacun émergé en réponse à des questionnements et des problématiques précises. »

Le concept de ensauvagement vient aussi des États-Unis. Il repose sur le constat du rôle crucial des grands prédateurs. Il intègre l’importance de la préservation de la nature, au travers de la zone cœur de l’aire protégée et du mouvement des animaux sur un territoire. Il se fonde sur les 3 C, qui correspondent à Carnivores, Core-zone (zone centrale de protection) et Corridor écologique.

Concrètement, ces distinctions se traduisent comment sur le terrain ?

La restauration écologique mise plutôt sur une approche dite ascendante. On restaure d’abord les habitats (sols) et les plantes, qui sont à la base des chaînes alimentaires. La restauration est un peu plus active que dans le ré-ensauvagement car elle implique un travail sur le milieu via des actions humaines. La restauration écologique va dans un premier temps se focaliser sur la composition taxonomique et vise à revenir à un écosystème souvent bien défini.

Le ré-ensauvagement trophique repose sur une approche par le haut, c’est-à-dire qu’il va s’appuyer sur des espèces ingénieures des écosystèmes, comme les prédateurs ou les grands herbivores. Une espèce ingénieure est une espèce qui a un effet important sur le milieu par rapport à son nombre d’individus. Par effet de cascades trophiques et en laissant faire la nature, ces espèces ont un impact sur l’écosystème. Le ré-ensauvagement cherche avant tout le rétablissement des fonctions écosystémiques. Il peut donc arriver qu’il passe outre la taxonomie, c’est-à-dire la composition des espèces du milieu. C’est pourquoi il autorise les taxons de substitution pour remplacer une espèce disparue.

Laquelle de ces deux approches se montre la plus efficace ?

Au niveau mondial, les deux approches se montrent complémentaires. Il n’est cependant pas possible d’affirmer que l’une des deux soit plus efficace. Dans les deux cas, comme on travaille avec le vivant, les résultats dépendent grandement du contexte.

En revanche, la restauration écologique étant plus ancienne et les projets étant plus nombreux, il existe une littérature scientifique plus nombreuse sur l’évaluation de ses succès. Les méta-analyses montrent toutefois que dans tous les cas on n’arrive jamais à revenir à un état avant dégradation.

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Les projets de ré-ensauvagement ont été moins étudiés car plus récents. Les résultats sont positifs mais à nuancer, ils dépendent du contexte, il serait prématuré de tirer une conclusion globale à leur sujet. Il est encore nécessaire de conduire des études supplémentaires pour mieux comprendre le ré-ensauvagement et ses effets.

Le ré-ensauvagement est devenue en quelques années une approche très populaire au sein de l’opinion, quelles sont ses limites ?

Déjà, en raison de certaines contraintes qu’il implique sur les activités humaines comme l’agriculture, le pastoralisme ou le tourisme, le ré-ensauvagement n’est pas possible partout. Laisser-faire la nature ainsi que réintroduire de grands mammifères, herbivores ou prédateurs entraînent des questionnements et des discussions éthiques. Il y a des débats sur le bien-être animal si des mammifères prolifèrent trop puis se retrouvent à manquer de nourriture. Il y a les peurs liées aux prédateurs comme les loups, les ours ou encore les rapaces. À cela s’ajoutent des considérations comme les collisions avec les véhicules ou les dégâts sur les cultures et les troupeaux. Ces éléments font que le ré-ensauvagement n’est pas possible partout, mais il n’en reste pas moins une approche complémentaire de la restauration écologique.

Avez-vous un dernier mot ?

Il existe également une approche fondée sur la libre-évolution, sur une zone limitée, qui est une forme de ré-ensauvagement passif. Elle représente aussi une approche complémentaire. L’Aspas l’expérimente en France et dans le Vercors. Le ré-ensauvagement, en plus de laisser la nature évoluer, nécessite un grand travail avec les populations pour expliquer et faire accepter la démarche. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, les projets de ré-ensauvagement sont portés avant tout par les ONG comme Rewilding Europe ou l’Aspas en France.

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Propos recueillis par Julien Leprovost

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Pour aller plus loin

Restaurer ou ré-ensauvager la nature ? sur le site du CNRS

L’étude (en anglais) Managed as wild, horses influence grassland vegetation differently than domestic herds. Biological Conservation, publié le 2 février 2024.

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