Des espèces invasives à la table d’un restaurant londonien

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Un plat à base d'écrevisses américaines présenté dans les cuisines du restaurant Silo, à Londres, le 18 septembre 2023 © AFP Daniel LEAL

Londres (AFP) – Ecureuil gris, écrevisse américaine, renouée du Japon… Et si manger des espèces invasives pouvait contribuer à les combattre ? Un restaurant londonien a exploré cette piste, qui suscite la prudence de scientifiques.

L’idée derrière plusieurs dîners « invasifs », dont le dernier a été servi mardi soir chez Silo, dans de l’est de Londres, est de « populariser de manière créative des espèces qui sont nuisibles pour l’environnement », explique le chef Douglas McMaster, dont l’établissement se revendique « zéro-déchets ».

Des écureuils qui pullulent dans les villes et campagnes britanniques – au détriment de leurs cousins roux – en passant par l’écrevisse « signal » qui fait disparaître les écrevisses locales, ou la renouée du Japon, tous « sont des forces de destruction », explique-t-il à l’AFP. Mais « elles sont toutes comestibles, elles sont toutes délicieuses ».

Elles font partie des envahisseurs au coeur d’un récent rapport d’experts travaillant sous l’égide de l’ONU, dont la publication a donné lieu à des appels de spécialistes à « se réveiller » face à ce « fléau ».

Douglas McMaster voudrait lui que la chaîne d’approvisionnement de ces espèces soit « légitimée » et qu’elles deviennent « une ressource accessible » pour les chefs.

Mais l’idée n’est évidemment « pas de populariser ces espèces et que la demande soit telle qu’elle leur permette de devenir plus invasives. Ce serait quelque chose de terrible », souligne-t-il. Son espoir est que l’on puisse « apporter un équilibre au sein de l’écosystème et qu’ensuite, on arrête de les manger ».

Car le danger que le remède ne vienne aggraver le mal est bien réel.

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« Consommer des espèces invasives n’est pas quelque chose que j’encouragerais », explique à l’AFP Karim Vahed, professeur émérite d’entomologie à l’université de Derby.

Pour l’écrevisse « signal », importée dans les années 1970 au Royaume-Uni pour la consommation humaine avant de s’échapper pour coloniser de très nombreux cours d’eau, au détriment de l’écrevisse à pattes blanches, il y a selon le spécialiste un risque que « les gens les introduisent eux-mêmes » en pensant les pêcher pour qu’elles soient consommées.

Les spécimens invasifs transmettent aussi une infection fongique, la « peste de l’écrevisse », à laquelle les Américaines sont immunes. Et leurs quelques prédateurs, loutres, hérons, ne suffisent aucunement à endiguer leur propagation.

Aujourd’hui, celle-ci est « hors de contrôle », se désole le spécialiste. Les écrevisses autochtones, plus petites, qui ont connu un déclin de 80 à 90%, sont menacées d’extinction.

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Dans un petit cours d’eau qui coule dans un parc de Derby (centre de l’Angleterre) les écrevisses américaines pullulent. Il y a 16 ans, l’un des étudiants de Karim Vahed y a trouvé le premier spécimen recensé. Dans les cinq ans qui ont suivi, l’espèce invasive a totalement remplacé l’autochtone.

Prélever les plus grosses ne contribue pas à contenir la propagation. « Vous aidez juste les plus jeunes à survivre », explique le spécialiste. « Les prendre pour les manger n’est pas une solution. »

Le tableau est plus contrasté pour la renouée du Japon, plante invasive qui peut être consommée ou utilisée pour brasser de la bière.

« Ca pourrait potentiellement être une bonne idée », relève Karen Bacon, spécialiste de cette plante, amusée par cette « réponse très humaine » qui consiste à se dire « cette plante cause des problèmes, elle est comestible », « mangeons-la ».

« Mais de l’autre côté », souligne à l’AFP la professeure, en poste à l’université irlandaise de Galway (Ouest), « il y a des risques »: car déranger la plante peut en fait la faire croître.

Elle souligne la nécessité d’élaborer tout projet avec des spécialistes « qui comprennent la plante ». « Il y a du potentiel », conclut-elle, mais les choses doivent être faites « prudemment ».

© AFP

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