Greenpeace estime que l’extraction minière sous-marine au nom de la transition énergétique ne se justifie pas

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Atoll de Male Nord, Maldives, Pacifique © Yann Arthus-Bertrand

Alors que des négociations internationales sur l’exploitation minière des fonds marins reprennent le 16 mars à Kingston en Jamaïque, la branche allemande de Greenpeace publie un rapport consacré au sujet. Intitulé Ruée vers les métaux des grands fonds. Réflexions sur l’exploitation minière en eaux profondes, ce document d’une quarantaine de pages, plutôt technique, mis en ligne le 13 mars, estime que l’extraction de ces ressources n’est pas nécessaire à la transition énergétique.

En effet, selon l’association, l’exploitation sous-marine des métaux tels que le lithium, le cobalt et le nickel, employés notamment dans les batteries, n’apporterait pas de contribution significative à la décarbonation de l’économie et l’électrification de la mobilité. « La transition énergétique et la lutte contre le changement climatique doivent se faire via une utilisation raisonnée des métaux nécessaires, axée principalement sur la sobriété, le recyclage et l’économie circulaire. Nous n’avons pas besoin d’ouvrir un nouveau front de destruction de l’environnement pour cela », affirme François Chartier, chargé de campagne Océans chez Greenpeace France.

Sollicité par email par GoodPlanet Mag pour réagir à ce rapport auquel il n’a pas participé, Philippe Bihouix, spécialiste des métaux, qui dénonce l’extractivisme, le juge pédagogique. Il déclare qu’il est « utile à un moment où la pression des industriels pour autoriser de possibles futures exploitations s’intensifie. Il permet d’abord de « relativiser » les promesses d’un eldorado métallique sous-marin. » Depuis les années 1970, l’idée d’extraire des ressources minières des océans fait l’objet de recherches et de projets.

L’ouverture des fonds marins à l’extraction minière, un enjeu de demain qui se décide aujourd’hui

L’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) se réunit pour décider d’accorder ou non des permis d’exploitation dans les grands fonds marins situés dans les eaux internationales, c’est-à-dire au-delà des 200 milles nautiques (370 km) de la Zone Économique Exclusive. La mission de l’Autorité internationale des fonds consiste à réglementer l’exploration et l’exploitation des ressources minérales des grands fonds marins situées dans les eaux internationales qui représentent plus de 50 % de l’ensemble des fonds marins, selon l’ONU.

L’accès aux ressources minières sous-marines suscite l’intérêt des compagnies minières et des États en raison de la hausse des cours des matières premières. Elle est provoquée par l’augmentation de la demande dans les technologies employées dans la transition énergétique. Les métaux et terres rares sont devenus des ressources stratégiques pour l’économie de demain. Cependant, « à l’heure actuelle, l’AIFM n’a encore approuvé aucune activité d’exploitation minière à visée commerciale », écrit Greenpeace qui s’inquiète néanmoins de voir la Commission tentée d’accorder des permis d’exploitation dès cet été. Jusqu’à présent, les concessions accordées le sont à des fins d’exploration et de recherche pour une durée de 15 ans. Selon, l’ONG, il y a pour le moment « 31 contrats d’exploration liés à trois types de gisements différents : sept pour des sulfures polymétalliques, cinq pour du ferromanganèse riche en cobalt et 19 pour des nodules polymétalliques. »

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 L’extraction sous-marine dans les eaux internationales, une activité encore marginale

Aujourd’hui, la quasi-totalité des ressources minières proviennent de mines terrestres. Le rapport de Greenpeace précise même : « à l’heure actuelle, l’exploitation minière des minéraux de base se déroule presqu’exclusivement sur terre ; les activités dans les hauts-fonds marins sont marginales et généralement cantonnées à l’intérieur des eaux territoriales des pays. » Les perspectives économiques attisent pourtant les convoitises. Entre début 2021 et le printemps 2022, le prix de la tonne de cobalt est passé de 30 000 dollars à 80 000 dollars.

Les nodules polymétalliques de la Zone de Clarion-Clipperton renferment plus de nickel, de manganèse et de cobalt que la totalité des ressources terrestres

Les fonds marins sont donc vus comme de potentiels gisements. Certains plus attractifs que d’autres, c’est notamment le cas des nodules polymétallique. Greenpeace les décrit ainsi : « parmi tous les gisements de minéraux en eaux profondes, les nodules polymétalliques sortent clairement du lot en termes de potentiel et d’intérêts économiques. Ces nodules, de la taille et de la forme de pommes de terre, sont formés à partir de la précipitation de métaux autour d’un noyau. »

Ils ont le double avantage de reposer sur les fonds marins, donc d’être relativement accessibles, bien que situés à plusieurs milliers de mètres de profondeurs parfois enfouis sous quelques centimètres de sédiments, et de regorger de différents métaux. L’ONU les liste : « les nodules polymétalliques […] contiennent une grande variété de métaux, notamment du manganèse, du fer, du cuivre, du nickel, du cobalt, du plomb et du zinc et présentent, entre autres, des concentrations mineures, mais non négligeables, de molybdène, de lithium, de titane et de niobium. La Zone de Clarion-Clipperton, située entre 3 500 et 5 000 m, est la zone la plus étudiée qui présente un intérêt commercial dans le Pacifique Est. Ce gisement renferme plus de nickel, de manganèse et de cobalt que la totalité des ressources terrestres. »

Un fait que nuance Philippe Bihouix : « si les nodules polymétalliques qui gisent sur les fonds marins représenteraient des quantités phénoménales – on parle de dizaines, voire des centaines de milliards de tonnes ; 34 milliards de tonnes dans la seule zone Clarion-Clipperton, selon les derniers pronostics de l’IFREMER – les concentrations estimées en métaux font que, sans doute, seuls le manganèse, le nickel et le cobalt pourraient, peut-être, faire l’objet d’une exploitation. »

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La pertinence d’une éventuelle exploitation est aussi contestée par Greenpeace au nom de son impact environnemental sur la biodiversité océanique et d’une utilité limitée. D’une part, les réserves exploitables doivent encore être prouvées. D’autre part, Greenpeace souligne que « il est important de noter qu’un grand nombre de métaux traces contenus dans les nodules ne pourront vraisemblablement pas être extraits au cours du processus métallurgique. ».

Ce qui conduit l’association à conclure sans ambiguïté que : « le potentiel de l’extraction minière des nodules en eaux profondes pour la sécurisation de l’approvisionnement de la transition énergétique en matières premières se révèle bien moins intéressant que ce qui est souvent avancé. Les nodules polymétalliques présents dans les eaux profondes fournissent seulement quatre ou cinq éléments (manganèse, cuivre, cobalt, nickel et éventuellement molybdène), dont seuls trois pourraient être extraits dans des quantités intéressantes pour le marché mondial (manganèse, cobalt, nickel). L’affirmation, clamée haut et fort, selon laquelle les nodules sont à même de sécuriser l’approvisionnement en matières premières pour la production future des batteries lithium-ion est trompeuse à plusieurs égards ».

 Pour Philippe Bihouix, il faut clairement interdire l’extraction minière sous-marine : « il faut trouver un consensus international pour obtenir un moratoire, quitte à indemniser certains états insulaires du Pacifique qui sont démunis face aux promesses des entreprises minières. » Il espère que la réalité économique et technique rendra impossibles les projets miniers sous-marins. Il rappelle également que « l’extraction minière fait partie des activités humaines les plus polluantes, les plus impactantes pour l’environnement. C’est déjà compliqué de gérer toutes les « externalités négatives » d’un site minier terrestre ; mais dès qu’on est en milieu sous-marin, il y a de nombreux paramètres qu’on ne maîtrisera plus du tout, comme le pointe bien le rapport, sur la destruction de la biodiversité marine sur les fonds exploités, les boues, les résidus miniers, la consommation de carburant des engins et équipements, le bruit – de quoi, par exemple rendre fous les cétacés. »

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Mieux utiliser les ressources terrestres et revoir la mobilité, plutôt que de saccager le fond de l’océan au nom de l’extractivisme

« Nous ne sauverons pas la planète en détruisant les océans », commente François Chartier, chargé de campagne Océans chez Greenpeace France.

Au lieu d’aller miner les océans au nom de la transition énergétique et de d’une mobilité électrifiée, le rapport de Greenpeace Allemagne suggère de revoir nos déplacements. Favoriser les transports collectifs, développer la mobilité douce et revoir en profondeur la manière d’envisager les déplacements du quotidien d’ici 2050 sont des solutions mises en avant par l’association. Il s’agit de ne pas se baser sur la manière dont on se déplace aujourd’hui, mais d’imaginer d’autres mobilités pour revoir nos besoins à la baisse. Et également de favoriser le recyclage et la récupération des métaux dans les déchets afin de réduire les besoins d’extraction.

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Dans la continuité des conclusions du rapport de Greenpeace, Philippe Bihouix estime que « que le passage à l’électro-mobilité pourrait générer des besoins en métaux énormes dans les années qui viennent ; mais quelle « civilisation de la voiture » veut-on pour le futur ? » avant de plaider pour des véhicules plus petits, plus sobres et économes, répondant aux besoins réels du quotidien. Il trouve effectivement « dommage que pour l’instant, on se concentre sur une « sobriété – austérité » (moins chauffer), certes utile, mais qu’il va falloir compléter d’une sobriété plus profonde, plus systémique, qui permettrait « d’économiser à la source » les métaux dont nous avons besoin : en dimensionnant les objets et les infrastructures au plus juste, en les faisant durer par la maintenance et la réparation, en les recyclant au mieux – comme le rapport le mentionne sur le cobalt des batteries de nos nombreux objets numériques, on en est encore loin… »

Julien Leprovost

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