L’extraction de lithium en Amérique du Sud, entre espoirs et désillusions

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Vue aérienne des bassins de saumure et des zones de traitement de la mine de lithium de la société chilienne SQM (Sociedad Quimica Minera) dans le désert d'Atacama, à Calama, au Chili, le 12 septembre 2022 © AFP Martin BERNETTI

San Pedro de Atacama (Chili) (AFP) – Entre bleu turquoise et blanc éclatant, les piscines à ciel ouvert des mines de lithium d’Amérique du Sud contrastent avec les paysages arides environnants. Aux confins du Chili, de l’Argentine et de la Bolivie, l’extraction du précieux métal cristallise espoirs et désillusions.

Cette région aride du continent américain recèle dans son sous-sol 56% des 89 millions de tonnes de lithium identifiées au monde, selon un rapport de 2022 du Service géologique des Etats-Unis (USGS).

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Surnommé le « pétrole du 21e siècle », ce métal blanc est essentiel pour la fabrication des batteries des voitures électriques, censées sauver la planète du réchauffement climatique, mais aussi des téléphones portables et autres appareils électroniques.

Son prix est passé de 5.700 dollars la tonne en novembre 2020 à 60.500 en septembre dernier, selon l’agence Benchmark Mineral Intelligence.

Désert d’Atacama

Au Chili, le lithium provient exclusivement du désert d’Atacama, une plaine brune et rocheuse du nord du pays. Il représente 26% de la production mondiale en 2021, selon l’USGS.

Deux sociétés, l’américaine Albemarle et la chilienne SQM disposent de licences d’exploitation, mais, en contrepartie, elles doivent reverser jusqu’à 40% de leurs recettes à l’Etat.

Rien que pour le premier semestre, les recettes fiscales du Chili provenant du lithium ont ainsi dépassé celles du cuivre, un métal dont le pays est le premier producteur au monde.

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Face à une telle manne, le président de gauche Gabriel Boric a promis la création d’une entreprise publique de lithium sans exclure une éventuelle participation privée.

Mais l’extraction de lithium n’est pas sans conséquences pour l’environnement et, bien que les sociétés minières sont contraintes de verser des dédommagements conséquents aux communautés locales, ces dernières craignent pour leurs moyens de subsistance dans une région régulièrement frappée par la sécheresse.

La société chilienne SQM dit ainsi puiser en 2022 près de 400.000 litres d’eau par heure pour les besoins de son usine.

Une inspection sur son site en 2013 avait révélé qu’un tiers des caroubiers, arbre rustique en raison de ses racines profondes, étaient morts, à cause du manque d’eau, a révélé ensuite une étude.

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« Nous voulons savoir avec exactitude quel est l’impact réel du pompage d’eau des nappes phréatiques », avance Claudia Pérez, une habitante de la vallée de San Pedro, toute proche du site, disant ne pas être « contre » le lithium, mais souhaiter que « les effets négatifs » de son exploitation pour les populations locales soient « minimisés ».

De l’autre côté de la cordillère des Andes, en Argentine, une route serpente entre les déserts salés de la province de Jujuy. Avec ceux des provinces voisines de Salta et Catamarca, la région constitue le deuxième plus grand gisement de lithium au monde.

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Avec peu de restrictions sur son exploitation et des taxes de seulement 3%, l’Argentine est le quatrième producteur mondial de lithium.

Actuellement, deux mines sont exploitées dans la région. L’une, Livent, est aux mains des Etats-Unis, tandis que l’autre, Orocobre, est gérée par un consortium australien et japonais avec la participation d’une entreprise publique argentine.

 Dizaines de projets liés au lithium

Il existe en outre des dizaines de projets à différents stades de maturation avec la participation d’entreprises locales, mais aussi américaines, chinoises, françaises et sud-coréennes.

L’Argentine pourrait dépasser la production chilienne d’ici 2030, estime un rapport de 2021 de la Commission chilienne du cuivre (Cochilco), un organisme public.

Le gouverneur de la province de Jujuy, Gerardo Morales, a même invité en avril, via Twitter, le patron de Tesla Elon Musk à investir dans la région lorsque ce dernier s’est plaint des prix élevés du lithium.

Mais les communautés locales sont là aussi réticentes. A Salinas Grandes, désert de sel au nord de Salta, un panneau alerte le voyageur: « Non au lithium, oui à l’eau et à la vie ».

« Ce n’est pas, comme ils disent, qu’ils vont sauver la planète. C’est plutôt nous qui devons donner notre vie pour (la) sauver », peste Veronica Chavez, présidente de la communauté indigène Kolla Santuario de Tres Pozos, non loin de Salinas Grandes.

« Nous ne mangeons ni lithium, ni batteries. Nous buvons de l’eau », assure-t-elle, interrogée par l’AFP devant d’énormes amas de sel récoltés par une coopérative locale.

A quelques mètres de là, Barbara Quipildor, 47 ans, prépare des +empanadas+ dans une petite construction faite en sel. « Je veux qu’ils nous laissent tranquilles, en paix. Je ne veux pas du lithium (…), ce qui me préoccupe c’est l’avenir des enfants de mes enfants », dit-elle.

Hôtel Lithium

À quelque 300 km au nord de Jujuy, le +salar+ d’Uyuni, en Bolivie, est le plus grand au monde. Il renferme un quart des ressources en lithium de la planète, selon l’USGS.

D’une superficie similaire à celle du Qatar, ce désert de sel se trouve dans une région où plus de la moitié de la population est pauvre.

Désireux lui aussi de profiter de la manne du très convoité métal, l’ancien président de gauche Evo Morales (2006-2019) a nationalisé au début de son mandat hydrocarbures et lithium.

« La Bolivie va fixer le prix pour le monde entier », a-t-il déclaré en 2018, appelant le reste de la région à suivre son exemple.

A Rio Grande, ses mots ont apporté de l’espoir. Ce petit village aux rues boueuses est le plus proche de l’usine de Yacimientos de Litio Bolivianos (YLB), l’entreprise publique créée par Evo Morales.

Plein d’optimisme, Donny Ali y a construit un hôtel qu’il a appelé Lithium… Mais la fortune n’a pas été au rendez-vous.

« Nous espérions un grand développement industriel et technologique et, surtout, de meilleures conditions de vie. Cela ne s’est pas produit », déplore cet avocat de 34 ans, assis dans un canapé de son établissement vide.

Contrairement au Chili, la Bolivie –mais aussi l’Argentine– peine à exploiter pleinement le lithium du fait de conditions « d’investissement défavorables » et « géographiques plus difficiles, selon un rapport de 2021 du Center for Strategic and International Studies (CSIS).

Certains pensent que la Bolivie va « manquer le train du lithium. Je ne pense pas », estime pourtant Juan Carlos Zuleta, un économiste qui a brièvement dirigé l’usine YLB en 2020.

Malgré leurs différences, les pays du « triangle du lithium », Argentine en tête, envisagent après l’exploitation du lithium la fabrication de batteries Li-ion sur place.

« Toutes les technologies ont leurs avantages et leurs inconvénients. Ce qui est important c’est qu’il y ait un équilibre qui bénéficie non seulement au pays mais aussi aux populations locales », estime dans un entretien à l’AFP Roberto Salvarezza, l’un des dirigeants du groupe argentin YPF, qui prévoit de lancer une usine pilote de fabrication de batteries au lithium en décembre.

« L’Amérique du Sud dispose de toutes les matières premières nécessaires à la production de batteries et de véhicules électriques », assure M. Zuleta.

En attendant, l’hôtel Lithium reste désespérément vide.

© AFP

 

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