L’urine humaine, un engrais inattendu, mais efficace et moins polluant

urine engrais

Des coureurs cyclistes du Tour de France en pause pipi au milieu des champs près de Châteauroux, le 9 juillet 2008 © AFP/Archives JOEL SAGET

Paris (AFP) – « Va faire pipi sur la rhubarbe! »: ce conseil de grand-mère inspire chercheurs et ONG pour trouver une alternative aux engrais chimiques, réduire la pollution de l’environnement et nourrir une population croissante grâce à un ingrédient inattendu: l’urine humaine.

Les engrais azotés de synthèse dopent la production agricole. Mais utilisés avec excès, ils polluent l’environnement. Leurs prix flambent, encore plus avec la guerre en Ukraine, pesant sur les agriculteurs.

Par quoi les remplacer? Notre urine, répondent des chercheurs dont Fabien Esculier, qui n’a jamais oublié les conseils de sa mamie et réfléchit à une refonte des systèmes alimentaires, plus durables.

Pour pousser, « les plantes ont besoin de nutriments, de l’azote, du phosphore et du potassium », explique l’ingénieur et coordinateur du programme de recherche OCAPI en France. Lorsque nous mangeons, nous ingérons ces nutriments avant de les « excréter, en majorité via l’urine », poursuit-il. Pendant longtemps les excréments des villes ont servi dans les champs agricoles, avant d’être supplantés par les engrais chimiques.

Mais quand ces nutriments sont rejetés en trop grande quantité dans les rivières, ils favorisent par exemple l’explosion de algues vertes, et représentent « une des principales sources de pollution par des substances nutritives », souligne Julia Cavicchi, du Rich Earth Institute, basé aux Etats-Unis.

Dépasser les a priori sur l’urine comme engrais

Séparer et récolter l’urine à la source nécessite de repenser les toilettes, le réseau de collecte et de dépasser certains a priori.

La séparation de l’urine dès les toilettes a été testée dans des éco-villages suédois au début des années 1990, puis en Suisse ou en Allemagne. Des expériences sont menées aux Etats-Unis, en Afrique du Sud, en Ethiopie, en Inde, au Mexique. En France, des projets émergent à Dol-de-Bretagne, Paris, Montpellier.

« Introduire des innovations écologiques prend du temps, en particulier une innovation radicale comme la séparation des urines », estime Tove Larsen, chercheuse à l’Ecole fédérale suisse des sciences et techniques de l’eau (Eawag).

De premières générations de toilettes à séparateur d’urine, jugées peu pratiques et inesthétiques, ou la crainte de mauvaises odeurs ont pu constituer un frein, explique-t-elle. Un nouveau modèle mis au point par la société suisse Laufen avec Eawag, devrait résoudre ces difficultés, espère la chercheuse.

Fabien Gandossi est propriétaire du restaurant 211 à Paris, équipé de toilettes sèches où l’urine est récupérée. « On a plutôt des retours assez positifs, des gens un peu surpris, mais (..) ils ne voient que peu de différence par rapport à un système traditionnel ».

« Il y a des verrous à dépasser », commente Marine Legrand, anthropologue et membre du réseau Ocapi. Mais « on commence à comprendre à quel point l’eau est précieuse » et « il devient inadmissible de faire ses besoins dedans ».

Les gens sont-ils prêts pour autant à manger des aliments fertilisés à l’urine? Une étude montre des différences marquées selon les pays. Le taux d’acceptation est très fort en Chine, en France ou en Ouganda, mais faible au Portugal ou en Jordanie.

« Ce sujet touche à l’intime », analyse Ghislain Mercier, de Paris et Métropole Aménagement qui aménage à Paris un éco-quartier avec 600 logements, des commerces… L’urine y sera récoltée et fertilisera les espaces verts parisiens.

Réorganiser

Selon lui, il existe un potentiel important dans les bureaux, les maisons non reliées au tout-à-l’égout, ou les bidonvilles sans sanitaires.

Il faut toutefois faire adhérer les habitants, repenser la tuyauterie, affronter des législations inadaptées…

Une fois récoltée, l’urine doit être transportée jusqu’aux champs, ce qui coûte cher. Différentes techniques permettent de réduire son volume et de concentrer, voire de déshydrater, l’urée. Le Rich Earth Institute développe des solutions techniques pour que l’épandage de cet engrais soit facile et peu coûteux pour les agriculteurs.

L’urine n’étant normalement pas un vecteur important de maladies, elle ne nécessite pas de lourd traitement pour être utilisée en agriculture. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande de la laisser reposer. Il est aussi possible de la pasteuriser.

L’urine peine encore à s’imposer comme une alternative aux engrais de synthèse. Mais avec l’envolée des prix du gaz et la volonté de nombreux pays de renforcer leur souveraineté alimentaire, en lien avec la guerre en Ukraine, « les contraintes économiques vont nous rattraper plus vite qu’on l’aurait pensé et rendre le sujet plus audible », commente Ghislain Mercier.

© AFP

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4 commentaires

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    • dany voltzenlogel

    Les toilettes sèches fertilisent mon jardin depuis env. 15 ans.
    Je suis encore vivant et en bonne santé.

    • Balendard

    Vous avez raison Dany, lorsque l’on a la chance d’avoir un jardin pourquoi ne pas utiliser l’urine comme engrais. Ceci dit à condition de ne pas faire pipi SUR la rhubarbe comme le conseillait notre grand-mère.

    Pour comprendre ce que pourrait être notre transition vers un monde meilleur voir:
    http://www.infoenergie.eu/riv+ener/essentiel.pdf

    • Guy J.J.P. Lafond

    Vous avez raison, Messieurs Dany et Balendard.
    Et je dirais même plus,
    Pourquoi vouloir tant réinventer la roue quand la Terre avait tout prévu dès le départ pour nous tous déjà?
    Peut-être faudrait-il ressortir le Candide de Molière pour nos enfants. Et même en lire des passages à voix haute.
    Qu’en pensent d’autres lecteurs du quotidien GoodPlanet en Europe et ailleurs?

    @GuyLafond @FamilleLafond
    Lui et d’éternels optimistes au Québec, au Canada, en Amérique du Nord et sur cette si magnifique mais si fragile planète bleue.

    P.S.: À nos vélos, à nos espadrilles de marche, à nos équipements de plein air! Car le temps file et car nos plantes en ville ont aussi besoin d’être arrosées.
    @:-)
    https://twitter.com/UNBiodiversity/status/1395129126814691329

    • Francis

    Je rigole en voyant que certains en 2022 redécouvrent l’Amérique et réinventent l’eau chaude. Ben oui, les humains font partie d’un écosystème et il est normal que leurs déjections rentrent dans le cycle de la nature de la même façon que pour tous les autres animaux. Pas seulement l’urine, la partie solide doit ramener aux sols le phosphore prélevé par les plantes. C’est la pollution par le plomb des canalisations d’eau, autant à l’arrivée qu’à la sortie des habitations qui a fait abandonner ce recyclage au profit des engrais chimiques.
    Pour la nième fois, les engrais azotés ont un coût, c’est un mensonge de dire que la pollution des eaux par les nitrates viendrait d’un excès systématique de leur utilisation. La fumure azotée se calcule depuis toujours.