Pourquoi il est important de protéger les putois ?

putois

Jeunes putois. © Peter Trimming, Wikimedia commons, CC 2.0 

En partenariat avec Futura

Le putois d’Europe est un petit carnivore désormais menacé en France. Les causes identifiées de son déclin sont principalement la destruction de ses habitats et en particulier les zones humides par l’urbanisation et l’agriculture intensive, les collisions routières, la chasse et le piégeage. La Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM) demande depuis 2017 son inscription sur la liste des espèces protégées, en vain. Zoom sur ce petit mammifère méconnu.

Bien que suscitant des inquiétudes, l’état de conservation de l’espèce en France était peu documenté jusqu’à l’enquête de la SFEPM en 2017 « Protéger le Putois », qui met en évidence la situation défavorable des populations de putois au niveau national. Elle a depuis été classée « quasi menacée » sur la Liste rouge des mammifères menacés de métropole. La SFEPM souhaite désinscrire l’espèce de la liste des espèces « gibiers » et « susceptibles d’occasionner des dégâts » (qui remplace le statut de « nuisible ») pour interdire définitivement son piégeage et sa chasse, et à terme, l’inscrire sur la liste des espèces protégées. L’association a également publié un plan national de conservation proposant un ensemble de mesures cohérentes et opérationnelles permettant de restaurer durablement les populations de putois en France tout en assurant un suivi de leur état.

Protéger le putois, c’est protéger ses habitats, les zones humides mais aussi le bocage, et l’ensemble des espèces animales et végétales présentes dans ces milieux : on peut pour cette raison parler d’espèce « parapluie ». Sa conservation représente aussi une opportunité d’évoluer vers une agriculture plus respectueuse de la biodiversité, en favorisant la présence de haies et en limitant l’utilisation de produits chimiques, car le putois est également un bon auxiliaire des cultures grâce à la prédation qu’il exerce sur les populations de rongeurs. Pourtant, ce petit carnivore est encore aujourd’hui accusé de porter atteinte au « petit gibier » et aux poulaillers, malgré l’absence de données. Apprenons à mieux connaître cette espèce, qui est loin d’être aussi nuisible que son statut actuel le laisse supposer !

Qui est le putois d’Europe ? 

Le putois est un petit carnivore crépusculaire et nocturne qui figure parmi les Mustélidés les plus difficiles à observer, et donc à étudier. Pour rappel, la famille des Mustélidés inclut la fouine, la martre des pins, le blaireau ou encore la loutre d’Europe. En particulier, le genre Mustela regroupe 17 espèces dans le monde, dont trois autres sont présentes en France : la belette, l’hermine et le vison d’Europe – le vison d’Amérique est une espèce introduite en France au cours du XXe siècle pour sa fourrure.

Comme la plupart des membres de sa famille, le putois présente une forme allongée, une tête petite et plate, des pattes relativement courtes et une queue de taille modeste. Plus grand et plus épais qu’une hermine ou une belette, un putois mesure entre 40 et 60 centimètres de long. Son corps cylindrique est parfaitement adapté à l’exploration de terriers et tunnels où se cachent ses proies (lapins, petits mammifères).

Le pelage de jarre, c’est-à-dire la couche supérieure de poils, est de couleur brun-noirâtre, beaucoup plus sombre que la bourre, jaunâtre, qui constitue la couche inférieure de poils moins longs, particulièrement visible sur les flancs de l’animal. Comme la queue, très foncée, le ventre est presque noir. À l’inverse, le museau, les sourcils et l’extrémité des oreilles sont de couleur blanche et contrastent avec le fond brun : c’est le « masque » caractéristique du putois.

Ne pas confondre putois et furet ?

On a souvent tendance à confondre le putois avec le furet (Mustela putorius furo), mais ce dernier est en réalité une forme domestiquée, probablement à partir du putois d’Europe, qui aurait divergé de la sous-espèce type voilà 340.000 ans. C’est cette forme, dont la présence est attestée en Afrique du Nord par des écrits depuis l’Antiquité, qui a été domestiquée. La domestication du furet aurait ainsi eu lieu il y a plus de 2.000 ans, sans que l’on ne sache exactement où ni pour quel usage initial. Le putois et le furet peuvent se reproduire et engendrer une progéniture hybride fertile, même si les cas restent rares.

Répartition française

La répartition connue historiquement du putois en France concerne l’ensemble du territoire continental à l’exception d’une extrémité sud-est. L’espèce est absente de Corse et des îles méditerranéennes. La figure, ci-dessous, présente la répartition actuelle du putois d’Europe sur la base de données d’occurrence répertoriées sur le portail de l’Inventaire national du patrimoine naturel du Muséum national d’Histoire naturelle sur la période 2000-2021.

Répartition des données de 2000 à 2021 recensées par l'Inventaire national du patrimoine naturel (Source : OpenObs consultée le 19 avril 2021).

Si l’enquête menée par la SFEPM en 2017 met en évidence des disparités d’informations entre les régions, elle fait émerger un point commun : le putois n’est nulle part abondant. La faiblesse des effectifs semble consécutive à un déclin historique au cours du XXe siècle, qui apparaît généralisé dans le pays, même s’il ne peut être mesuré finement.

Statut réglementaire

Dans certains pays comme le Royaume-Uni, la Suisse ou le Luxembourg, le putois est protégé, tandis qu’il figure toujours parmi les espèces « gibiers » dans d’autres. Bien que son classement apparaisse en « Préoccupation mineure » sur la Liste rouge mondiale de l’Union internationale pour la conservation de la nature, son déclin est aujourd’hui avéré ou soupçonné dans 20 pays européens.

En France, le putois est une espèce « chassable » au niveau national avec possibilité de restrictions au niveau départemental, et pouvait être classé « susceptible d’occasionner des dégâts » (anciennement « nuisible ») dans certains départements (Loire-Atlantique et Pas-de-Calais) jusqu’en juillet 2021. La loi autorisait donc encore très récemment le piégeage de cette espèce pour des motifs invoqués de protection des « élevages avicoles » et du « petit gibier chassable ». Ce classement a perduré malgré le fait que ces motifs s’avèrent irrecevables sur le plan écologique, ce qui est admis par le Muséum national d’Histoire naturelle et par le Ministère en charge de l’écologie lui-même, en 2002. De plus, les preuves de « dégâts » sont rares, voire inexistantes. Bien que provisoirement retiré de la liste des anciens « nuisibles », le putois est loin d’être tiré d’affaires : rien ne garantit qu’à la prochaine révision de ce statut, en 2022, l’espèce ne sera pas réinscrite. Seule une protection réglementaire permettrait définitivement d’empêcher la destruction directe des individus.

Quelques éléments sur la biologie de l’espèce

Solitaire et territorial, le putois fréquente les lisières forestières, les boisements peu denses, les paysages d’agriculture extensive et divers milieux en mosaïque, avec une prédilection pour les milieux humides. Nettement carnivore, le putois est classé parmi les prédateurs généralistes et opportunistes, consommant essentiellement de petits mammifères, secondairement des amphibiens et d’autres petits animaux. Il se reproduit au printemps, et reste actif toute l’année, se déplaçant surtout de nuit et au crépuscule.

Menaces

Les causes du déclin du putois observé en France sont multiples, et leurs effets s’additionnent et contribuent nettement au mauvais état de conservation de l’espèce dans le pays. On recense :

  • La dégradation des habitats, particulièrement des zones humides et du bocage : les modifications profondes portées sur ces habitats par les activités humaines (intensification de l’agriculture, urbanisation, développement des infrastructures de transports, etc.), constituent une menace importante et difficile à enrayer. Le recul des haies, amorcé avec la diminution de l’élevage de plein air depuis les années 1960 est toujours d’actualité.
  • La mortalité routière : dans l’ensemble de la France, le putois fait partie, avec d’autres Mustélidés, des mammifères les plus touchés par les collisions avec des véhicules. C’est d’ailleurs la première source de données d’observation de l’espèce… Les routes contribuent également à isoler les populations les unes des autres, ce qui les fragilise.
Mortalité routière. © Steffen Finder, Wikimedia commons, CC 3.0
  • Le déclin des populations de proies : le lapin de garenne peut localement constituer une ressource alimentaire importante pour le putois en France. Pourtant encore assez répandue dans le pays, avec des effectifs très importants, cette espèce est aujourd’hui en régression, et a été classée dans la catégorie « quasi menacée » sur la Liste rouge des mammifères de métropole de 2017. De la même façon, le déclin généralisé des populations d’amphibiens, lié à celui des zones humides, représente un autre facteur de menace.
  • Le piégeage et la chasse : si la chasse et surtout le piégeage sont plutôt des causes historiques moins dominantes actuellement par rapport aux autres menaces, ces activités restent des causes de mortalité de l’espèce. Chaque année, ce sont plusieurs milliers de putois qui sont tués par ces activités.
  • Les destructions accidentelles directes et indirectes : la lutte contre certaines espèces occasionne indirectement des dégâts sur les populations de putois, à la fois par le piégeage accidentel et la lutte chimique. L’usage de pesticides depuis les années 1950, mais aussi de rodenticides en agriculture pour éliminer insectes et rongeurs constitue un facteur de mortalité avéré. Les preuves d’un empoisonnement du putois par ingestion de proies contaminées par des anticoagulants sont nombreuses à travers l’Europe, et laissent donc peu de doutes sur leur effet néfaste en France. À ces risques s’ajoute l’expansion d’autres espèces dites exotiques envahissantes, potentiellement concurrentes pour la nourriture et l’habitat, qui peuvent également entraîner des destructions accidentelles par confusion.
  • Les pathologies : la maladie de Carré est une maladie virale affectant de nombreux carnivores. Elle pourrait jouer un rôle dans le déclin des populations de putois en France, dans le sens où elle a failli faire disparaître définitivement les populations du putois à pieds noirs aux États-Unis. Une autre pathologie à risque pouvant notamment affecter le putois est la maladie aléoutienne, dont le virus circule et nécessite une surveillance.
  • L’appauvrissement génétique : cette menace est une conséquence de la faible densité et de la fragmentation des populations de putois, elles-mêmes causées par les différents facteurs décrits précédemment.

Quelles mesures pour favoriser la conservation de l’espèce ?

La restauration des populations de putois dépend d’une action menée sur différents plans. En priorité, son statut réglementaire nécessite d’être modifié en faveur de sa protection, qui va permettre l’interdiction de son piégeage, sa prise en compte lors des procédures d’évaluation environnementale des projets d’aménagement du territoire, mais aussi la mise en place de programmes de protection. La SFEPM demande donc en priorité l’inscription du putois sur la liste des mammifères « protégés » en France, sur le modèle d’autres pays européens tels que le Royaume-Uni, la Suisse ou encore l’Italie.

Femelle putois d'Europe. © Peter Trimming, Wikimedia commons, CC 3.0

D’autre part, les efforts pour la conservation de l’espèce doivent être portés sur la disponibilité et la qualité de ses habitats. La priorité doit être mise sur les habitats humides et bocagers, en utilisant le putois comme une espèce ambassadrice de la préservation de ces milieux fragiles. Le maintien de la connectivité écologique entre ces habitats et l’amélioration des traversées d’infrastructures de transports (routes, autoroutes, lignes de chemin de fer, etc.) sont des priorités pour rétablir l’espèce dans un état de conservation favorable, et qui profiteraient à toute la petite faune. Le putois peut également être valorisé en tant que prédateur régulateur des populations de rongeurs responsables de dégâts aux cultures, et ainsi permettre d’évoluer vers une agriculture plus respectueuse de la biodiversité, qui favoriserait la présence de prédateurs naturels plutôt que l’utilisation massive de produits chimiques.

Enfin, des méthodes de suivi à large échelle restent à développer pour surveiller l’évolution des populations. Mieux l’espèce sera connue, et mieux elle pourra être protégée !

Comment agir concrètement pour le putois en tant que citoyen ?

Si vous observez un putois, même écrasé sur la route, n’hésitez pas à communiquer cette information auprès des associations naturalistes près de chez vous : dans chaque région aujourd’hui, il existe des portails en ligne où tout le monde peut saisir ses observations. Plus on connaîtra précisément la répartition de l’espèce, mieux on pourra penser les projets d’aménagement pour éviter d’impacter les populations de putois le jour où ils seront protégés.

Et surtout, n’hésitez pas à parler autour de vous de cette espèce : plus il y aura de personnes informées de son statut actuel, plus il sera possible de changer efficacement la réglementation.

Un article de Nathalie de Lacoste, retrouvez d’autres articles sur Futura.

À lire aussi sur GoodPlanet Mag’
L’ornithologue Grégoire Loïs : « il y a peu d’endroits où cela se passe bien pour les oiseaux communs des villes et des campagnes »

À l’action pour le hérisson : comment en nourrir un dans son jardin

L’entomologiste Henri-Pierre Aberlenc : « on peut tout ignorer des insectes, mais c’est se priver d’une composante fabuleuse du réel »

Le hérisson d’Europe, une espèce commune pourtant menacée

Il faut sauver nos insectes

Ecrire un commentaire