Les semences paysannes, un enjeu clé pour l’agriculture biologique

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"J'ai décidé de produire mes propres semences parce qu'elles permettent d'avoir des variétés qui s'adaptent à mon milieu et ont de meilleures qualités gustatives, tout en étant complètement indépendant", dit Corentin Hecquet © AFP/Archives Tobias SCHWARZ

Chavagne (France) (AFP) – Les carottes peuvent pousser jaunes, violettes ou roses : près de Rennes, un maraicher bio crée ses propres semences, une pratique longtemps abandonnée à l’industrie, mais qui gagne du terrain chez les producteurs bio, désireux de développer des maisons de semences paysannes.

« Il y a carotte et carotte », sourit Corentin Hecquet en dégustant une dizaine d’échantillons de carottes issues de semences sélectionnées par des paysans du monde entier.

« Selon les attentes du consommateur, on sait que celle-ci a un goût de noisette ou d’ananas », assure le Belge, coordinateur du réseau de semences paysannes Meuse-Rhin-Moselle, lors d’une rencontre organisée à l’occasion du Congrès mondial de la Bio à Rennes.

C’est sur les terres de Jean-Martial Morel, maraîcher bio à Chavagne (ouest) associé à l’institut de recherche agronomique Inrae, que poussent ces carottes parfois jaunes, violettes, blanches ou roses. Sur la soixantaine de légumes qu’il cultive, 90% sont issus de semences qu’il a lui-même produites.

« Quand on est agriculteur bio, on a à disposition des semences hybrides sélectionnées par l’industrie pour produire plus et résister aux maladies, mais qu’on ne peut pas replanter. Moi, j’ai décidé de produire mes propres semences parce qu’elles permettent d’avoir des variétés qui s’adaptent à mon milieu et ont de meilleures qualités gustatives, tout en étant complètement indépendant », explique dans sa serre le maraîcher breton, qui n’utilise « pas de pulvérisateur ».

« Je laisse mes plantes fabriquer des défenses naturelles dans leurs gènes », commente-t-il.

Sélectionner ses semences demande toutefois de la technique.

« Il y a 10.000 ans, le paysan était le premier sélectionneur de graines. Puis, on a créé le métier de semencier et le paysan a été dépossédé, après guerre, de cette partie de l’activité de la ferme », rappelle Véronique Chable, agronome et chercheuse à l’Inrae.

Avec l’industrialisation de l’agriculture, les semences développées en laboratoire sont « certes adaptées pour l’agriculture conventionnelle mais pas pour le bio qui nécessite de travailler sans intrants (pesticides, eau, engrais, ndlr) dans des champs très diversifiés », analyse la chercheuse.

« les semences, cœur du bio »

L’Ifoam (Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique) définit l’agriculture biologique comme « un système de production qui maintient et améliore la santé des sols, des écosystèmes et des personnes ».

« Si on prend des plantes qui sont toutes pareilles et qu’on les met en bio sans engrais ni pesticides, ça marche moins bien. Les semences, c’est le cœur du bio qui est une agriculture basée sur les terroirs. On a besoin d’une diversité des semences parce que chaque terroir est différent », confirme Ricardo Bocci, directeur du réseau italien de semences paysannes.

Petite illustration avec le blé: « Il y a une cinquantaine d’années, le blé poussait très haut avec des racines profondes alors que les plants modernes sont petits avec des racines superficielles », argumente-t-il. Résultat, ces derniers « luttent moins bien contre les mauvaises herbes et trouvent plus difficilement les nutriments et l’eau », ce qui nécessite plus d’intrants.

Le développement de la diversité dans les champs est également l’une des clés pour lutter contre le changement climatique, comme l’explique Véronique Chable dans son livre « La graine de mon assiette » (ed. Apogée). « Des plantes homogènes seront moins résistantes aux maladies ou aux événements climatiques », observe la chercheuse, favorable à un assouplissement de la réglementation afin d’autoriser les ventes de semences paysannes à grande échelle.

Les progrès récents des biotechnologiques avec le développement de la mutagenèse, « nouvelle technique de sélection » qui permet de modifier le génome des plantes sans insertion de gène étranger, inquiètent aussi les producteurs bio, certains y voyant des « OGM cachés ».

« Les biotechnologies sont souvent basées sur des stress majeurs pour dévier les plantes de leur processus naturel, comme des décharges électriques, des rayonnements Gamma pour faire de la mutation ou des produits chimiques pour multiplier le nombre de chromosomes. Finalement, on ne sait plus ce qui est naturel ou pas et on s’éloigne de l’esprit de la bio », estime Véronique Chable.

©AFP

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