En Colombie, mise à l’index du fipronil, pesticide qui empoisonne les abeilles


Une abeille empoisonnée agonise tandis que d'autres tentent de s'échapper dans une ruche à Santa Fe de Antioquia, en Colombia, le 31 janvier 2021 © AFP JOAQUIN SARMIENTO

Bogota (AFP) – La Colombie a suspendu pour six mois l’usage du fipronil dans certaines cultures agricoles, suite à la mort de millions d’abeilles à cause de ce pesticide interdit en Europe, mais les apiculteurs jugent cette restriction insuffisante face au « massacre » des ruches.

La mesure, prise début mars, « suspend temporairement la validation de pesticides contenant du fipronil et utilisés pour les cultures d’avocat, d’agrumes, de café et de passiflore » qui donne le fruit de la passion, a précisé à l’AFP Sandra Molina, directrice du département des intrants agricoles à l’Institut colombien d’agriculture (ICA).

De leur côté, les apiculteurs estiment que pour arrêter « le massacre des abeilles », il faudrait retirer définitivement cette substance chimique du marché, et ce pour toutes les cultures.

Déjà, des paysans du sud de la Colombie ont commencé à polliniser manuellement leurs champs du fait de la raréfaction des abeilles, cruciales pour un tiers des récoltes agricoles mondiales.

Depuis fin 2020, l’AFP a reçu plusieurs dénonciations d’apiculteurs qui ont perdu des centaines de ruches empoisonnées, essentiellement dans l’ouest de la Colombie, où abondent les plantations de café, d’agrumes et d’avocat.

Ils ne sont pas satisfaits de la restriction: « cela donne six mois pour épuiser les réserves. Donc si on fait le compte, il n’y a aucune suspension », dénonce Faber Sabogal, président de l’association Asoproabejas.

Quatre cultures concernées

Mme Molina défend la décision, affirmant que les apiculteurs interprètent mal le texte.

Le fipronil est utilisé en Colombie depuis 1993 et contenu dans une soixantaine de produits agricoles qui, selon leur enregistrement auprès de l’ICA, peuvent servir à traiter plus de 40 types de cultures, du coton à l’oignon, en passant par les quatre déjà citées.

Selon la fonctionnaire de l’ICA, les six mois permettront aux fabricants d’indiquer sur les produits contenant du fipronil qu’ils ne peuvent être utilisés pour les plantations d’avocat, de café, d’agrumes et de passiflore, où se concentre la plus importante mortalité d’abeilles.

Si après ce délai, échu au 4 août, cela n’a pas été précisé sur l’étiquette « nous annulerons l’enregistrement pour tous les usages », a indiqué Mme Molina.

La mesure n’empêche donc pas l’utilisation de ce pesticide pour d’autres cultures.

M. Sabogal, qui a répertorié en mars l’empoisonnement de quelque 200.000 abeilles, affirme que tant que le produit sera en vente, il sera difficile d’en limiter l’utilisation.

– Pollinisation manuelle coûteuse –

« L’usage est suspendu seulement pour certaines cultures, mais un agriculteur peut encore acheter du fipronil pour la pomme de terre et l’appliquer sur d’autres », souligne l’apiculteur.

Mme Molina argue que seulement quatre types de plantations sont concernées parce que c’est à leurs alentours que meurent les abeilles.

« Nous ne pouvons aller plus loin tant que nous n’avons pas plus d’éléments », affirme-t-elle.

Entre 2016 et 2020, environ 64.000 essaims sont morts empoisonnés en Colombie, selon l’ICA. Chacun compte environ 50.000 abeilles, parfois davantage. Des analyses effectuées dans 42 d’entre eux ont montré que 73% contenaient des traces de fipronil.

L’usage de ce composant a été interdit pour les cultures de maïs et de tournesol en 2013 par l’Union européenne (UE), qui a ensuite décidé de ne plus l’autoriser pour aucune culture.

En Colombie, les effets de la mort des abeilles se font déjà sentir.

Camilo Perdomo, cultivateur dans le département du Huila (sud), a dénoncé à la radio RCN que la raréfaction des ruches l’a obligé à recruter de la main d’oeuvre pour polliniser ses plantations de fruits de la passion.

Cette pratique, fastidieuse et coûteuse, est déjà répandue en Chine, où le fipronil a été interdit en 2020.

Les apiculteurs demandent que le pesticide « soit suspendu de manière définitive » en Colombie aussi, souligne M. Sabogal.

L’ICA plaide la patience: « On ne peut prendre une mesure aussi drastique que de suspendre totalement le produit. Il y a une marche à suivre (…) il se peut qu’en définitive, nous découvrions qu’il doit être totalement suspendu comme cela a été le cas dans d’autres pays », estime Mme Molina.

© AFP

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