Filière betterave : feu vert du Sénat au retour controversé des néonicotinoïdes

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Manifestation aux Invalides le 23 septembre 2020 contre l'usage des néonicotinoïdes. © AFP Thomas COEX

Paris (AFP) – Le Sénat à majorité de droite a donné son aval dans la nuit de mardi à mercredi au projet de loi permettant la réintroduction temporaire des néonicotinoïdes tueurs d’abeilles pour sauver la filière betteravière, au terme d’un débat parfois tendu avec la gauche et après un incident de vote.

Il a été adopté en première lecture par 184 voix pour, 128 contre et 28 abstentions. Au sein de la majorité sénatoriale, 12 sénateurs LR ont voté contre, de même que 8 centristes et un Indépendants. Dix LR, 10 centristes et 3 Indépendants se sont abstenus.

Au groupe RDPI à majorité En Marche, Xavier Iacovelli a voté contre et 5 élus se sont abstenus.

Ont voté contre les groupes PS (à l’exception de Jean-Pierre Sueur qui a voté pour), RDSE à majorité radicale, CRCE à majorité communiste et écologiste.

Juste avant le vote sur l’ensemble du texte, le Sénat a dû revoter sur l’article premier, le cœur du projet de loi, qui avait été supprimé à une voix près, après une erreur de manipulation du groupe centriste lors du scrutin électronique sur des amendements de suppression présentés par la gauche.

L’article a ainsi été rétabli, par un vote à main levée cette fois-ci.

« Urgence » agricole et industrielle pour les uns, « régression environnementale » pour les autres : des positions tranchées se sont affirmées sur ce projet de loi controversé.

Selon la rapporteure LR Sophie Primas, la majorité sénatoriale n’a « pas voulu rompre son équilibre », par souci « d’efficacité ». Députés et sénateurs devraient ainsi pourvoir parvenir à se mettre d’accord sur un texte commun en commission mixte paritaire, en vue d’une adoption définitive rapide.

Il autorise, à titre dérogatoire, les producteurs de betteraves à sucre à utiliser jusqu’en 2023 des semences traitées avec des pesticides de la famille des néonicotinoïdes, interdits depuis 2018. Les dérogations sont explicitement limitées à la betterave sucrière.

Le projet de loi prévoit la création d’un conseil de surveillance pour donner un avis sur les dérogations, ainsi que l’interdiction, sur des parcelles où ont été utilisés des néonicotinoïdes, d’implanter des cultures attirant les abeilles afin de ne pas les exposer.

Les dérogations devraient être effectives au plus tard en décembre, pour laisser le temps aux industriels de produire les semences nécessaires au semis de mars. En cause, un puceron vert qui transmet à la betterave la jaunisse, une maladie qui affaiblit la plante, conduisant à une perte importante de rendement.

Les sénateurs ont avancé au 15 décembre l’entrée en vigueur de la loi, avec l’assentiment du ministre de l’Agriculture Julien Denormandie.

« Oui la filière de la betterave sucrière française est aujourd’hui en danger », a affirmé le ministre, pour qui « il ne s’agit pas d’opposer écologie et économie, c’est une question de souveraineté ».

« Lobby agrochimique »

Pour la rapporteure, « deux visions politiques de l’écologie » s’opposent, une « écologie de la défiance choisissant d’interdire » et une « écologie de la confiance (…) qui s’appuie sur la réalité de nos territoires, sur le progrès et sur la recherche ».

Les échanges se sont tendus lorsque le président du groupe écologiste Guillaume Gontard a dénoncé « une immense victoire pour le lobby agrochimique, cheval de Troie de Bayer-Monsanto », accusant le gouvernement de « porter un coup violent à toute la biodiversité mondiale ».

« J’ai trouvé vos propos absolument scandaleux », a réagi M. Denormandie, fustigeant « une écologie de la diffamation ».

Pour Laurence Rossignol (PS), « ce n’est pas un bon débat, un débat où on s’accuse de dire des contre-vérités ».

En séance, le Sénat a adopté à l’unanimité, contre l’avis du gouvernement, un amendement de la rapporteure visant à permettre aux ministres de l’Agriculture et de la Consommation de s’opposer à l’importation de denrées alimentaires traitées avec des substances interdites au niveau européen.

En 2016, le Parlement a voté l’interdiction des produits phytosanitaires à base de néonicotinoïdes, famille de pesticides qui agissent sur le système nerveux central des insectes et des mammifères, interdiction pleinement applicable depuis 2018.

Même si des pistes de recherche se révèlent prometteuses, aucune alternative n’est à ce jour disponible pour les betteraviers.

Pour l’année 2020, Mme Primas évoque des pertes de rendement estimées « entre 13 et 20% » sur le territoire national, qui inclut des zones non touchées. « Dans certains départements, des pertes moyennes se situeront sans doute au-delà de 40 voire 50% ».

Au total, la filière représente près de 46.000 emplois, directs et indirects.

©AFP

Traces de néonicotinoïdes dans 10% d’aliments végétaux d’après l’ONG Générations Futures

5 commentaires

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    • DESCLAUD Patrice

    Une fois de plus la démocratie est bafouée par des serviteurs des lobbies. Encore des dérogations de cas par cas inéquitable privilégiant une filière alors même que ce sont les changements climatiques brutaux (et de plus en plus fréquent) qui sont la cause de ces « détérioration ». On est dans la complaisance irresponsable sans axe de travail raisonnable.
    Quant aux mesures de contrôle, on sait très bien qu’on n’en aura pas les moyens : c’est un blanc seing de plus aux pressions des gros.

    • Vincent

    Inutile de tomber dans la caricature M. Desclaud.
    Pour la situation actuelle, l’approbation temporaire des néonicotinoïdes était la meilleure des solutions possibles et la plus juste en prenant en compte tous les enjeux du secteur.
    J’ignore l’importance des lobbies dans la responsabilité de ce problème mais ce n’est pas en ayant des positions extrêmes et inflexibles que l’on fera évoluer les choses : le compromis, même temporaire, permet d’évoluer dans le bon sens.
    Nulle personne censée n’aurait l’idée d’interdire du jour au lendemain les voitures à moteur thermique sans avoir une solution de substitution viable, fiable et disponible à large échelle.
    Essayons de faire preuve de bon sens, cela vaut bien mieux que d’insuffler des idées extrêmes qui mettront à mal des personnes qui font l’un des métiers les plus exigeants et importants dans nos sociétés.

    • Moumouth

    Aucun espoir que nos élus prenne un jour les bonnes décision la pression des puissants lobbies qui ne pensent qu’ à faire du chiffre est bien trop forte

    • Michel CERF

    Cette tolérance temporaire serait acceptable si l’industrie sucrière n’était pas meurtrière pour les abeilles et les humains .

    • anne

    @ vincent
    « Ce comromis » comme vous l’écrivez n’est rien d’autre qu’un deal avec l’industrie du SUCRE. Le sucre est le poison de notre société tant pour les abeilles que pour les humains. C’est un coût social bien plus important que des salariés même au chômage…. réfléchissez – y .