À Cuba, le bien-être animal, première victoire de la société civile

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Des coqs de combat à La Havane, le 21 septembre 2020 à Cuba © AFP YAMIL LAGE

La Havane (AFP) – Dans les rues de La Havane, les animaux abandonnés pullulent, quand ils ne sont pas sacrifiés pour la santeria ou lâchés dans des arènes pour des combats à mort. Mais, signe des changements à Cuba, sous la pression d’une classe moyenne émergente, le respect du bien-être animal sera bientôt instauré.

Étonnamment, ce fut la première manifestation indépendante et non politique jamais autorisée par l’État cubain : le 7 avril 2019, quelque 500 personnes défilaient à La Havane pour réclamer une loi protégeant les animaux.

Un an et demi plus tard, en novembre, le gouvernement communiste, déterminé à reprendre l’initiative sur un mouvement qui pourrait faire tache d’huile, adoptera sa première législation apportant le bien-être aux animaux… à quelques coutumes près.

Une étape importante pour la société civile qui pour la première fois voit ses demandes traduites en loi et le début d’un changement de culture dans cette île de contradictions entre modernité et tradition.

À Cuba, les rues regorgent de chiens et de chats abandonnés, souvent pour raisons économiques, et mal en point – ils sont des milliers à La Havane.

Les plus chanceux sont recueillis par des particuliers et des associations qui sacrifient leur propre nourriture pour les alimenter.

Dans le quartier populaire de San Miguel del Padron, la maison de Noris Perez, femme au foyer de 49 ans, s’organise autour de ses habitants poilus: 23 chats et 38 chiens cabossés, le premier récupéré il y a huit ans sur un trottoir où il souffrait de crises épileptiques.

Sur le toit grillagé, les grands chiens et leurs niches. Dans la cuisine, les petits chiens et les chats. A l’heure du repas, dans un concert de miaulements et d’aboiements, Noris parvient tant bien que mal à donner son écuelle à chacun.

« Tout ça, je le fais toute seule », explique-t-elle, avec l’aide de son mari, de sa fille et parfois « de voisins ». Le plus difficile, c’est « la question de la nourriture » alors que le salaire moyen est de 40 dollars et que les pénuries sont récurrentes.

Dans le quartier Nuevo Vedado, Grettel Montes de Oca, 48 ans, cohabite avec 55 chats et quatre chiens qui déambulent partout sauf dans le salon.

« J’ai un ami qui dit que c’est le chien le plus laid du monde! » rit-elle en caressant Yoki, vieux chien noir aux dents abîmées et au corps amoché par les coups reçus par le passé.

Danseuse professionnelle, elle n’avait jamais possédé d’animal avant de recueillir en 2007 une petite chatte noire. « Quand tu commences à en sauver, tu ne peux plus arrêter. »

De son engagement personnel, Grettel a fondé une association, Ceda (Cubains en défense des animaux), tolérée par les autorités mais pas reconnue légalement.

L’adoption d’un décret-loi sur le bien-être animal, « c’est le rêve de tous les défenseurs des animaux, surtout à Cuba où cela fait 33 ans qu’on se bat pour ça », depuis les premiers projets de loi présentés en vain par des associations.

Dans ce domaine, « nous sommes malheureusement parmi les pays les plus en retard d’Amérique latine et des Caraïbes », déplore Grettel. « Les animaux à Cuba, c’est comme si ça n’existait pas. »

Ce qui a changé? Le réveil d’une société civile plus active, depuis l’arrivée fin 2018 de l’internet 3G sur les téléphones mobiles, qui a permis à une partie de la population de se mobiliser via les réseaux sociaux notamment autour des droits des homosexuels ou de la lutte contre les violences machistes.

Et l’émergence d’une classe moyenne grâce au développement du secteur privé depuis 2010, quelques années après l’ouverture de Cuba au tourisme.

Celle-ci peut aujourd’hui s’acheter une machine à laver ou une voiture. Et dépenser de l’argent pour offrir une beauté à ses animaux de compagnie: on compte désormais une dizaine de salons de toilettage canin à La Havane, fréquentés par une clientèle soucieuse du bien-être animal.

Comme les gouvernements d’Amérique latine confrontés ces dernières années à une nouvelle classe moyenne plus exigeante envers eux, l’État cubain essaie à son échelle de contenter certaines de ses requêtes.

Au ministère de l’Agriculture, le texte légal entame sa dernière ligne droite.

« Le décret-loi sera approuvé en novembre (…) par le Conseil d’État et sera ratifié par l’Assemblée nationale » ensuite, explique Yisell Socorro, juriste du ministère.

Son principe ? « Garantir l’intégrité physique et mentale des animaux »: « le respect des animaux, la nécessité d’éviter les mauvais traitements, les abus, les actes de cruauté et surtout la prise de conscience que les animaux sont des êtres sensibles qui ressentent douleur et plaisir. »

Le Comité national du bien-être animal mise avant tout sur « un processus éducatif »: « nous voudrions n’avoir à sanctionner personne pour des actes cruels ou de dénigrement envers les animaux », confie sa présidente, la docteure Maria Gloria Vidal.

Des amendes, voire des peines de prison, seront prévues, mais l’idée est d’abord de changer les mentalités.

Il s’agit aussi de se confronter à la réalité de l’île, notamment aux sacrifices d’animaux par la santeria, religion syncrétique originaire du Nigeria et apportée à Cuba par les esclaves.

« Ce serait pratiquement impossible d’interdire à Cuba la réalisation de sacrifices d’animaux car ils font partie des rituels de cette religion », reconnaît Mme Vidal.

« Mais nous pouvons travailler à garantir le bien-être des animaux qui sont élevés et utilisés dans ces rituels » et que ces derniers « soient réalisés de la façon la plus rapide et moins stressante possible pour les animaux. »

Sacrifices religieux et combats

Il n’est pas rare de croiser dans les rues de La Havane des cadavres de poules ou pigeons décapités par les adeptes de cette religion, la plus populaire sur l’île.

« Chèvres, boucs, poules, colombes, rongeurs, chiens… »: suivant la divinité invoquée, qu’il s’agisse de réclamer la bonne santé ou un enfant, tous ces animaux peuvent être sacrifiés, les chats aussi, lors de rituels toujours secrets, énumère Yank Benavente, 38 ans, babalawo (prêtre) depuis trois ans.

Propriétaire d’une trentaine de colombes et de deux chiens, il assure que pour rien au monde il ne sacrifierait ses propres animaux et qu’il prend grand soin de ceux qu’il achète pour les rituels.

Mais pas question de renoncer aux sacrifices liés à l’héritage africain de Cuba: « Cela fait partie de la culture, de la religion, je ne vois pas en quoi la loi peut influer sur ça. »

Plus polémique encore, la question des combats de chiens et de coqs.

Souvent organisés sous le manteau, en dehors des villes, ils voient s’affronter à mort et dans le sang deux animaux spécialement entraînés, dont les blessures sont parfois si graves que même le vainqueur succombe.

« Les combats de chiens sont totalement interdits », assure Mme Vidal. Ceux de coqs, tradition très ancrée à Cuba puisque même la propriété familiale de Fidel Castro comptait une arène dédiée à cette activité, resteront autorisés « dans des cas très ponctuels d’associations ou d’organisations, pour une compétition ou un événement ».

Une distinction approuvée par cet amateur de combats de coqs, qui témoigne sous couvert d’anonymat: « Dans le combat de coqs, il y a des règles, un décompte comme dans la boxe, (…) qui font que ce sport n’a rien à voir avec un combat de chiens ».

Même un habitué des combats de chiens, également anonyme, reconnaît que « voir deux chiens se battre, ce n’est pas bien ». Mais il avoue apprécier ce spectacle, sur lequel plusieurs milliers de dollars sont souvent pariés, voire une maison.

« Personne ne peut arrêter ça, les combats de chiens vont continuer », dit-il d’un air de défi.

– « Le progrès » –

Dans le salon Don Silver du quartier Santa Fe, Docky, cocker placide, bâille pendant qu’on lui lime les griffes, avant qu’on le shampouine pour retirer les tiques qui le démangent. Sur la table à côté, Luna le chihuahua sursaute quand le souffle du sèche-cheveux parcourt ses poils.

C’est l’un des premiers salons de toilettage canin ouvert à Cuba en 2012 par Loretta Rivero, 50 ans.

Derrière l’annonce du décret-loi, celle-ci voit l’effort de « beaucoup de personnes qui font pression ». « Nous luttons, comme des personnes qui veulent le progrès, les changements, contre d’autres qui sont plus accrochées à la tradition, (…) des choses qui sont un peu du tiers monde ».

De quoi susciter l’espoir de la société civile sur d’autres thèmes qui lui sont chers: le mariage homosexuel, par exemple, qui devrait être soumis à référendum dès 2021.

© AFP

Un commentaire

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    • Méryl Pinque

    Bravo et merci aux Cubains de bonne volonté.