Indignation : l’Europe s’oppose à la vente libre des semences de variétés paysannes aux jardiniers amateurs

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Jardins potagers dans les marais de Bourges, Cher © Yann Arthus-Bertrand

La liberté de diffuser, et notamment de vendre, des variétés traditionnelles de semences, non inscrites au Catalogue officiel, a connu ces dernières années de nombreuses vicissitudes. Soutenue par les parlementaires à plusieurs reprises, elle est régulièrement battue en brèche par le lobby semencier et ses relais au ministère de l’Agriculture, qui ne souhaitent voir aucune évolution dans la réglementation applicable à la vente de semences. La loi relative à la transparence sur les produits agricoles et alimentaires, dite aussi « post-EGalim », prévoit, pour la troisième fois, un assouplissement des règles, permettant ainsi la vente libre de semences de variétés paysannes aux jardiniers amateurs et collectivités publiques. Or la Commission européenne a manifesté il y a quelques jours son opposition à cette mesure. Cette opposition, pourtant, ne saurait être suivie d’effet, car la loi française est déjà entrée en vigueur. De plus, la notification faite par la France n’avait pas de fondement, dès lors que la loi française n’a pas introduit de « règle technique » nouvelle. Explications par l’avocate Blanche Magarinos-Rey, spécialiste de la matière.

 MISE À JOUR  le 5 août 2020: l’avocate Blanche Magarinos-Rey a mis en ligne un nouveau texte sur ce sujet  La vente de semences du domaine public aux utilisateurs non professionnels est enfin libre]

Un « avis circonstancié » de la Commission européenne pour le moins critiquable

 Depuis le 12 juin dernier, la vente de semences de variétés libres de droit et reproductibles à des utilisateurs non professionnels est enfin légale en France. En effet, la vente de semences de variétés du domaine public à des utilisateurs non professionnels a été exemptée des règles de commercialisation prévues par les directives européennes sur le commerce des semences, et notamment de l’obligation d’inscription au catalogue officiel, qui empêche la commercialisation de nombreuses variétés paysannes non homogènes et non stables.

Beaucoup se sont cependant réjouis trop vite : la Commission s’oppose maintenant à cette mesure, inscrite dans l’article 10 de la loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires.

Le 23 juin, elle a émis un ‘avis circonstancié’ à son encontre, faisant suite à une notification infondée des autorités françaises. Dans son avis, la Commission considère que tous les échanges de semences, y compris ceux visant les jardiniers amateurs, doivent être soumis aux contraintes prévues par les directives européennes. Elle s’abstient pourtant dans son avis de justifier pourquoi et procède, pour arriver à une telle conclusion, par des affirmations péremptoires tenant en deux phrases.

Pourtant, selon les termes mêmes des directives européennes, celles-ci ne s’appliquent qu’aux échanges de semences « en vue d’une exploitation commerciale de la variété ». Or, de toute évidence, les utilisateurs non professionnels, et en particulier les jardiniers amateurs, ne font pas une telle exploitation commerciale.

C’est donc sans aucune justification que la Commission demande à la France de supprimer ces nouvelles dispositions de la loi. Il y a de quoi exaspérer les parlementaires qui, par trois fois, ont adopté cette mesure.

En tout état de cause, cet avis arrive trop tard, puisque la France a déjà promulguée la loi. La période de statu quo, qu’elle a prorogé jusqu’au 25 septembre 2020, n’a donc aucun effet en droit interne. La Commission européenne pourrait cependant décider d’entamer un contentieux, et la question de droit serait alors définitivement tranchée par la Cour de Justice de l’UE. Elle serait cependant bien malvenue de prendre une telle initiative, alors qu’elle a promis un assouplissement de la législation européenne sur le commerce des semences, aussi bien dans sa stratégie « de la ferme à la table » que dans sa stratégie « Biodiversité horizon 2030 ».

Petit historique de cette épopée

La première tentative date de 2016. Les parlementaires ont introduit dans la loi Biodiversité un amendement accordant la possibilité aux associations loi 1901 d’échanger gratuitement et de vendre des semences de variétés non inscrites au « Catalogue officiel » mais appartenant au domaine public et destinées à des utilisateurs non professionnels. Par une décision du 4 août 2016, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions au motif que le fait de réserver cette dérogation aux seules associations méconnaîtrait le principe d’égalité devant la loi. Cependant, au lieu de supprimer les quelques termes faisant référence aux associations, le Conseil constitutionnel a supprimé aussi, sans aucun motif, la possibilité de pratiquer des échanges « à titre onéreux », vidant ainsi le texte de toute portée commerciale.

La seconde tentative a lieu deux ans plus tard, en 2018, lors du vote de la loi EGalim (Agriculture et Alimentation). Le 2 octobre 2018, les parlementaires ont adopté un nouvel amendement tendant à réintroduire dans les dispositions issues de la loi Biodiversité la possibilité de vendre lesdites semences, et ce contre l’avis du gouvernement. Malheureusement, le 25 octobre 2018, cette disposition est encore une fois censurée par le Conseil constitutionnel – qui pourtant n’était même pas saisi de l’examen de l’article en question – pour le motif douteux qu’elle n’aurait pas présenté de lien, même indirect, avec le projet de loi initial (« cavalier législatif »). Prétendre qu’une disposition sur les semences n’aurait aucun lien avec une loi sur l’agriculture et l’alimentation confine évidemment à l’absurde.

 La troisième tentative, que l’on espérait être la dernière, fait directement suite à la censure du Conseil. De nombreux parlementaires, de tous bords politiques, ont déposé des propositions des lois (4) tendant à réintroduire dans la loi un certain nombre d’articles censurés par le Conseil constitutionnel, et en particulier les dispositions sur la vente de semences. L’une de ces propositions de loi a été définitivement adoptée par l’Assemblée nationale le 27 mai 2020 et est entrée en vigueur le 12 juin. Elle est donc pleinement applicable.

 Les institutions sous forte influence des lobbys semenciers

L’avis circonstancié de la Commission européenne ne fait que refléter, une fois encore, l’influence des lobbys industriels, et particulièrement semenciers, à tous les niveaux de la prise de décision publique. En France, installé confortablement, depuis le régime de Vichy, dans les salons du ministère de l’Agriculture, avec la double casquette publique-privée, le GNIS (Groupement National Interprofessionnel des Semences) est la figure de proue de ce secteur influent. Il défend les intérêts de celui-ci, dans un climat de conflits d’intérêts permanents et parfaitement assumés. En vérité, le ver ne saurait être mieux installé dans la pomme. D’une voracité inouïe, il ne veut renoncer à rien, pas même à ce qui permettrait de sauvegarder la biodiversité dans les jardins familiaux.

 Et c’est ainsi que, même en s’y reprenant à trois reprises, les parlementaires de la République peinent à faire évoluer la législation sur le commerce des semences. Mais cette fois-ci, les rapaces sont arrivés trop tard, la loi est entrée en vigueur et elle est pleinement applicable. S’ils veulent y faire obstacle, il faudra qu’ils fassent pression sur la Commission pour qu’elle engage un contentieux contre la France. Il n’est pas impossible qu’ils y parviennent, tant ils ont démontré avoir le bras long… 

Ainsi, c’est autant pour la biodiversité agricole que pour la démocratie qu’il faut aujourd’hui défendre, plus que jamais, l’article 10 de la loi du 10 juin 2020 et le libre accès de tous les utilisateurs non professionnels aux variétés paysannes non inscrites au Catalogue officiel. Cet accès est possible en France depuis le 12 juin et doit absolument le rester.

Blanche Magarinos-Rey, Avocat à la Cour

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23 commentaires

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    • Balendard

    Je rejoins YAB

    Ceci d’autant que la « Solar Water Economy » pourrait être &ussi, en complément des caractéristiques physique de l’eau associées au chauffage de l’habitat au travers de la thermodynamique, l’association du voltaïque et d’une culture agricole locale. Et ceci au moins dans les départements français les plus exposés à la sécheresse.
    Voir un extrait de l’exposé à l’IESF

    https://www.dropbox.com/s/jbcbv0ukgg0fqtw/eau-douce.pdf?dl=0

    • Lhoas Freddy

    Maitre vous devez continuer à vous battre pou contrer ces multinationales à se remettre en question et à certain gouvernement à réfléchir sur le climat merci de continuer à défendre les droits de chacun

    • Delhez

    Il est temps d’accuser la commission européenne de crime d’écocide.

    • MARIE JO DONAT

    Ce sont des décisions mortifères. L’intérêt du commun des humains sacrifié pour l’intérêt de groupes qui tient tout . Triste monde

    • fiess

    lancer immédiatement une grande pétition nationale

    • Jan

    C’est honteux et révoltant ce fascisme. Les lobbies sont le cancer de nos sociétés.
    Comment différencier lobby et corruption ? Comment diffuser à un public plus large cette information révélatrice ?

    • L

    ON S’EN FOUT DE L’UNION EUROPÉENNE. NOUS SOMMES DES HOMMES LIBRES ET SOUVERAINS

    • Gerard BASTIAN

    Tout est fait pour continuer d’enrichir les lobbies comme BAYER, en Europe comme dans le reste du monde.

    • FRANCOIS LUSURIER

    L,Europe fait nimporte quoi. Il faut changer les règles et les Lobby.

    • Laurent KARL

    Il est facile de contrer les décisions de la commission européenne, nous avons un président de la république , à lui le devoir et l’obligation de dicter sa loi , nous sommes un pays souverain , ce n’est pas à l’Europe de décider de ce qui est bon ou pas pour nous ? sinon il y a encore plus simple au niveau nationale , menacer l’Europe que la France quitte le giron Européen , les décisions devraient vite se prendre favorablement ,mais pour ça il faut un président qui aurait des couilles ! ( pardon pour le franc parler).
    Laurent .

    • Klein

    Les lobbies vont finir par faire haïr l’Europe même par les Européens les plus convaincus

    • Ory

    De quel droit une minorité de personnes se sont accaparées le vivant.MARRE des lobbys qui ne pensent qu’aux profits non partagés

    • Ory

    De quel droit une minorité de personnes s’approprie le vivant.MARRE des lobbys qui ne pensent qu’aux profits non partagés

    • VAN STEEBERGE

    CEE : La honte

    • Layachi

    C’est fou le nombre de lois anti-Vie promulguées par le gouvernement de Vichy et toujours en vigueur !

    • Joffrin

    Est ce pour mieux controler ces semences, qui sont si précieuses?

    • Mathias

    L’Europe n’a de démocratique que sa façade. Il n’y a malheureusement rien à en attendre sous sa forme actuelle.

    • Marie-Jeanne Chevalier

    Je suis prête à signer de nouvelles pétitions. Nous devons tout faire pour la vente libre des semences de variétés paysannes aux jardiniers amateurs. C’est trop important!

    • Zanghi Fred

    La loi de la Vie prime sur celle des Hommes. Gardons le cœur haut et poursuivons son chemin sans peur ni crainte , désir ou attente. Restons digne les amis ?

    • Lalere

    Tralala

    • Patrice DESCLAUD

    En vérité, à quoi sert l’Europe ? Est-ce seulement la tête de gondole ou le guichet d’entrée des lobbyistes en tout genre. S’attaquer aux semences naturelles, c’est s’attaquer à la vie ! Uniquement pour des intérêts privés bassement pécuniaires !

    • Dany Signerin

    Pathetic of course. Always money money. All gardeners should be able to plant what they prefer and be free of choice.

    • Trumtel

    l’Europe commance à nous agacer avec leur décisions la France est souveraine dans ces décisions et pas à la botte des grosses boîtes à qui ont fait de l’ombre