Brice Lalonde, ancien ministre de l’Environnement : « la jeunesse a commencé à agir car elle est convaincue de l’imminence du changement climatique et de sa gravité »

Brice Lalonde

Brice Lalonde ©Julien Cresp/Ad Luminem

L’ancien Ministre de l’Environnement (1988-1992) puis ambassadeur en charge des négociations climatiques, Brice Lalonde préside aujourd’hui l’association Équilibre des Énergies. Il revient dans cet entretien sur la transition énergétique et les propositions des 150 conventionnels sur le climat.

Quel regard portez-vous sur la Convention Citoyenne pour le Climat et ses propositions ?

J’ai été impressionné par le travail fourni et les 400 pages de résultats ainsi que l’enthousiasme des participants.

Que pensez-vous de la manière dont la Président de la République a décidé d’y donner suite ?

Le discours du Président était habile et chaleureux, il a dit qu’il reprenait tout à son compte sauf quelques propositions dont il ne veut pas. Par contre, on ne sait pas comment cela va se concrétiser puisqu’il y aura des mesures d’ordre réglementaire et d’autres législatives. Certaines ne pourront même être prises qu’à l’issue de discussions avec les collectivités locales ou dans un cadre international. En dépit de ce discours positif que les conventionnels devaient être contents d’entendre, il reste à voir la suite des événements.

Près de 30 ans après le Sommet de la Terre de 1992 qui a popularisé le concept de développement durable, cette Convention Citoyenne est-elle le signe que les idées écologistes sont entrées dans les esprits ?

Elles sont aussi entrées dans les esprits grâce à la mobilisation des jeunes sur le changement climatique durant ces deux dernières années. La Convention en est le signe. La jeunesse a commencé à agir car elle est convaincue de l’imminence du changement climatique et de sa gravité. La crise climatique a davantage alerté les jeunes que les discours sur le développement durable. De plus, en France, la reconnaissance du changement climatique est trans-partisane tandis que dans d’autres pays, comme les États-Unis, la question demeure un élément du clivage politique. Dans notre pays, nous sommes d’accord sur le diagnostic et la nécessité d’agir, mais nous différons sur la façon de faire.

Quel regard portez-vous sur la situation actuelle ?

On vit un moment passionnant avec cette nouvelle génération. L’écologie va devenir un pan important des affaires publiques au même titre que l’économie, le social, le militaire et la culture. Les Verts ont montré la voie. Il faut désormais que tout le monde participe et fasse progresser nos sociétés vers plus de durabilité.

Le temps du politique et de l’écologie sont-ils conciliables ?

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et encore plus depuis une vingtaine d’année, le temps du politique s’est beaucoup accéléré et raccourci. Les mandats électoraux sont courts et le court-termisme triomphe alors que l’écologie, quant à elle, doit également se préoccuper du long-terme.

Pour vous, les 150 ont-ils bien répondu aux enjeux énergétiques et climatiques ?

Le diable se cache dans les détails. La Convention est restée neutre sur les techniques et les formes d’énergie. Elle est partie du quotidien des Françaises et des Français pour élaborer ses propositions, mais elle ne prend pas de risques. En ce qui concerne les déplacements, elle ne se prononce pas sur le véhicule électrique ; or en ce moment, la plupart des pays font le choix de la voiture électrique. La Convention ne parle pas de l’urgence de mettre en place au niveau européen un réseau de bornes de recharge, de développer une industrie des batteries et des infrastructures. Ne pas s’engager au-delà de dire qu’il faut des voitures propres ou des bonus-malus constitue une lacune.

Sur le logement, je pense que la Convention a été influencée par les doctrinaires de la rénovation globale. Pourtant, cette dernière coûte cher et on se demande qui va payer. Elle mérite aussi d’être questionnée afin de déterminer si l’objectif est de lutter contre le réchauffement climatique ou d’économiser au maximum l’énergie. La Convention n’a pas non plus interrogé la réglementation thermique actuelle des bâtiments ; or celle-ci ignore le CO2 et le changement climatique, pour ne s’intéresser qu’à l’énergie. Cette réglementation discrédite l’électricité au motif qu’il faut déjà de l’énergie pour la produire. De fait, la réglementation privilégie donc le gaz. Or, ce dernier émet du CO2 ! L’économie d’énergie est un moyen au service d’une fin. La Convention condamne le charbon et le fioul mais ignore la problématique du gaz, pourtant, à mon sens, il faut aujourd’hui privilégier l’électricité car elle est déjà dans notre pays quasiment décarbonée.
P
armi leurs mesures des 150, laquelle est, selon vous, prioritaire ?

Elles sont interdépendantes. J’ai bien aimé les propositions contre l’artificialisation des sols et l’effort de la Convention pour traduire leurs mesures en termes législatifs ou règlementaires.

Quel mode de production d’électricité privilégieriez-vous dans le cadre de la lutte contre le changement climatique ?

Seule les formes décarbonées d’électricité doivent être développées. Il s’agit du nucléaire, des renouvelables et de l’hydraulique. À Équilibre des Énergies, nous portons davantage attention à l’utilisation de l’électricité car nous pensons que, d’ici 2050, il faut que 50 % de la consommation finale d’énergie soit électrique. Car, cette énergie peut être produite en émettant peu de carbone et de surcroît elle porte le numérique. Ainsi, vous pouvez rendre intelligent le système énergétique en combinant l’électricité de la maison avec les batteries des voitures et le réseau de distribution afin de faire des économies d’énergie. L’autre moitié de l’énergie consommée en France, pour 45 % est de la chaleur. Elle est utilisée soit pour des process industriels soit pour chauffer des bâtiments. La chaleur peut se récolter dans l’environnement grâce aux pompes à chaleur ou être produite grâce au solaire, au bois ou à la géothermie, aux réseaux de chaleur urbains décarbonés. C’est ainsi que je vois le futur de l’énergie en France.

La France a-t-elle une vraie politique allant dans ce sens ? Les 150 peuvent ils s’emparer du sujet ?

Ils devraient s’en emparer. La France a une industrie du génie climatique performante et un savoir-faire énergétique fort et présent. Idem pour l’isolation et pour la récupération de chaleur. Il n’est pas nécessaire de viser à grand frais une isolation idéale, mais d’effectuer plutôt des aménagements ciblés qui empêcheront la chaleur de partir par les combles, par exemple, de moderniser les installations de chauffage ou d’eau chaude sanitaire et de les piloter avec le numérique. Je dis cela parce que les principaux responsables du changement climatiques sont en Chine, aux États-Unis ou en Inde et donc que dépenser de l’argent pour viser une isolation parfaite chez nous ne fournira pas un résultat à la hauteur de l’enjeu qui demeure mondial.

La difficulté de la lutte contre le réchauffement ne viendrait-elle pas du fait que malgré un consensus sur le diagnostic, ce consensus n’existe pas encore sur les moyens à mettre en œuvre pour relever ce défi ?

Oui, un exemple concret, si vous isolez totalement votre maison, il vous faudra entre 30 et 50 ans pour rentrer dans vos frais avec les économies d’énergie. Dès lors, on ne peut pas faire porter de tels investissements aux particuliers seuls et donc, puisqu’il s‘agit d’argent public, il faudra bien arbitrer entre le coût d’une mesure ou d’un programme et les avantages qu’on va en retirer.

 Pour le reste, les industries investissent massivement pour faire leur transition. Mais, le secteur automobile craint de ne pas parvenir à vendre ses voitures, c’est pourquoi il faut les aider. Une partie des investissements est déjà en cours comme pour les batteries aux niveaux français et européen. Je pense que la Convention va accélérer ce travail et ces investissements.

Justement, n’est-ce pas frustrant pour l’opinion qu’une telle transition dont on parle depuis 30 ans n’avance pas ou trop lentement ?

En politique, pour le gouvernement, le président et la France, il existe des impératifs et des objectifs contradictoires. D’un côté on veut une chose, de l’autre une autre. Une partie de la finance commence à s’intéresser au développement durable, ce qui permet de mieux orienter les investissements. La réalité est qu’on ne sait pas très bien par où commencer. Mais cela évolue peu à peu, on s’intéresse à l’alimentation, on préconise de manger moins de viande, on lance un plan pour promouvoir les protéines végétales ou encore on veut lutter contre l’artificialisation des sols. L’inflexion est marquée sans que ses effets soient, pour le moment, très visibles. Les gens ne voient pas encore les résultats, la France n’est pourtant pas en retard. Il faut cependant accepter le fait que cette avance soit en partie liée à l’électricité décarbonée provenant du nucléaire et des énergies renouvelables.

Cette transition ne suscite-t-elle pas la crainte de faire les mauvais choix technologiques ?

Cela fait partie de la vie. Prenons l’hydrogène pour les voitures particulières, cette approche ne me semble pas pertinente. Le réseau de distribution de l’hydrogène n’existe pas encore tandis que des prises électriques vous en trouvez partout. De plus, nous ne savons pas encore produire de l’hydrogène de manière écologique à un coût abordable. Nous savons où nous en sommes, mais il faut aussi accepter des techniques nouvelles ou se remettre en cause. Ainsi, des députés verts allemands ont publié en juin une tribune pour demander à revenir sur le sujet des OGM. Dans ce texte, ils estiment que la question mérite d’être reposée. Il faut avoir plus de discernement sur certains sujets y compris le nucléaire qui continue d’avoir un rôle pour accompagner la transition vers les énergies renouvelables. Il n’est pas possible de tout changer d’un coup de baguette magique.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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11 commentaires

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    • Un lutin thrrmisue

    Le lutin thermique que je suis estime que Brice Lalonde a une bonne vision d’ensemble de ce que devrait être notre transition énergétique. Il est seulement regrettable qu’il n’ait pas :
    – mis en avant le fait qu’en mettant en œuvre les formes d’actions qu’il a ébauchées avec justesse, cela nous permettrait de diviser sensiblement par 2, voir même un peu plus, notre besoin en électricité. Ceci ayant dans le même temps pour effet de réduire dans le même rapport la quantité d’électricité devant être stockée pour assurer le besoin malgré l’alternance été hiver de l’électricité renouvelable
    – suffisamment évoqué les systèmes hybrides pour tenir compte du fait que Paris ne s’est pas fait en un jour. Et ceci autant pour la motorisation des véhicules routiers que pour le chauffage de l’habitat

    • Balendard

    Le lutin thermique que je suis estime que Brice Lalonde a une bonne vision d’ensemble de ce que devrait être notre transition énergétique. Il est seulement regrettable qu’il n’ait pas :
    – mis en avant le fait qu’en mettant en œuvre les formes d’actions qu’il a ébauchées avec justesse, cela nous permettrait de diviser sensiblement par 2, voir même un peu plus, notre besoin en électricité. Ceci ayant dans le même temps pour effet de réduire dans le même rapport la quantité d’électricité devant être stockée pour assurer le besoin malgré l’alternance été hiver de l’électricité renouvelable
    – suffisamment évoqué les systèmes hybrides pour tenir compte du fait que Paris ne s’est pas fait en un jour. Et ceci autant pour la motorisation des véhicules routiers que pour le chauffage de l’habitat

    • Rozé

    Brice Lalonde est un drôle d’écologiste ! Il est pro-nucléaire parce que cette production serait presque sans CO2, ce qui est faux. Il est pro voiture électrique parce que celle-ci lui semble propre; c’est encore faux! Il est pro numérique parce qu’il croit que l’automatisation et la pseudo intelligence embarquée dans les machines est bonne pour l’homme; c’est encore faux ! Il prétend qu’une isolation à fond de nos habitations n’est pas rentable avant 30 ans; c’est encore faux ! Bref, ce monsieur a oublié de mettre à jour ses connaissances écologiques, ce qui est grave pour une personne qui peut faire connaître ses positions dans les médias. Rappelons ici que le défi climatique et environnemental de notre société c’est d’abord de préserver le vivant sur Terre, tout ce qui est vivant, végétation et faune parce que ce sont là nos supports de vie. La production d’énergie quelle qu’elle soit produit des nuisances importantes voire graves; la numérisation à fond comme la bétonisation nuit à notre environnement. Pire encore la numérisation et l’automatisation nous privent de l’usage de nos muscles et de notre cerveau, nous abêtissant et nous affaiblissant un peu plus chaque jour. Toutes ces technologies ont une limite à ne pas dépasser pour préserver le vivant. Reste alors un seul point d’action fondamental: la sobriété à tous les niveaux ! Et puis également la solidarité entre les hommes (et même les animaux) pour vivre en harmonie avec notre nature.

    • Michel CERF

    Vous avez tous des arguments intéressants , la transition vers un futur vivable est compliquée tellement il est difficile de concilier économie et écologie , les remarques de Rozé sont sévères mais justes .

    • Gil kressmann

    Merci Brice Lalonde pour votre position courageuse sur deux thématiques importantes pour l’avenir de notre planète: l’avenir du nucléaire et l’avenir des biotechnologies. On ne peut pas en effet dire qu’on doit décarbonner les énergies et en m^me temps demander de supprimer l’énergie nucléaire. De même on ne peut pas dire qu’il faut diminuer les utilisations de produits chimiques qui permettent de protéger les plantes contre les agressions et en même temps interdire d’utiliser les biotechnologies qui permettent d’améliorer les plantes de telles façons qu’elles puissent résister génétiquement aux :insectes , maladies, virus…Et comme le demande un certain nombre de personnalités des Verts allemands, il est temps de constater que depuis 25 ans qu’existent les oGM, la science a beaucoup évolué. Les nouvelles biotechnologies permettent de créer des plantes plus « vertes » et plus rapidement et avec moins d’investissements que les OGM.Merci Monsieur le Ministre de lancer ce débat en France.Il est capital. Si on rejette les biotechnologies de précision en Europe, ce sera un très mauvais coup porté contre la transition agroécologique de notre agriculture.

    • Rozé

    Comme d’habitude … vieille chanson bien connue ! Les pro-nucléaires, les pro-biotechnologies prétendent que Brice Lalonde a une position courageuse parce qu’il va dans leur sens comme le cheval avec ses oeillères qui lui cachent la vérité du monde qui l’entoure ! Car c’est bien là le fond du problème, nous humains nous sommes tellement détachés de notre nature d’être vivant que nous ne sommes même plus capables de voir que nos belles technologies d’ingénieurs ingénieux mais sans éthique nous conduisent au désastre ! J’ai vu un dessin qui résume bien cet aveuglement volontaire des plus aisés devant la réalité du monde. On y voit un couple sur la terrasse de sa villa devant la piscine à l’eau bleue symbole de pureté. On y voit aussi tout autour de la clôture de la propriété, un amas de déchets (voiture, machine à laver, télé, caddie … et de nombreux cranes humains) !
    Remarquons aussi que les prouesses technologiques humaines sont bien pauvres par rapport à ce que sait faire une simple cellule ou même un micro virus. Un peu d’humilité ferait du bien à tous ceux qui ont quelque pouvoir dans notre société.

    • Jean-Pierre Bardinet

    Ce brave Brice Lalonde n’a rien compris. « La jeunesse a commencé à agir car elle est convaincue de l’imminence du changement climatique et de sa gravité ». En fait, absolument pas. La jeunesse, qui n’a aucune compétence en physique de l’atmosphère et ne connaît pas les données d’observation, manifeste pour le climat pour la simple et bonne raison qu’elle été conditionnée à l’école et par la propagande politico-écolo-médiatique qui prône l’idéologie rouge/verte de l’écologisme et du réchauffisme.

    • Jean-Pierre Bardinet

    Ce brave Brice Lalonde n’a rien compris. « La jeunesse a commencé à agir car elle est convaincue de l’imminence du changement climatique et de sa gravité ». En fait, absolument pas. La jeunesse, qui n’a aucune compétence en physique de l’atmosphère et ne connaît pas les données d’observation, manifeste pour le climat pour la simple et bonne raison qu’elle été conditionnée à l’école et par la propagande politico-écolo-médiatique qui prône l’idéologie rouge/verte de l’écologisme et du réchauffisme.

    • Jean-Pierre Bardinet

    Les EnR ont une production intermittente (et un faible facteur de charge) et donc il faut, pour équilibrer le réseau électrique en temps réel, des centrales thermiques à flamme en soutien permanent. Pour une puissance P installée avec des EnR, il faut une même puissance P en thermique à flamme, comme le montre l’exemple de l’Allemagne. Et donc le bilan carbone des EnR n’est pas vertueux.

    • Jean-Pierre Bardinet

    150 personnes ne peuvent en aucun cas représenter les citoyens du pays. Il faut pour cela, statistiquement, un échantillon de mille personnes ou plus. Donc, déjà, on sait que ces 150 ne représentent rien. Pire, derrière les propositions générales de cette convention se cachent de nombreuses mesures idéologiques, liberticides et autoritaires : contraindre, obliger, interdire, limiter, taxer tous azimuts, sans aucune analyse sur les conséquences sociales, économiques et financières. Il ne faut pas s’en étonner, car le comité de gouvernance est composé pour l’essentiel d’écologistes marxistes décroissantistes et il a commencé par conditionner les 150 pour qu’ils deviennent de gentils petits khmers verts et rouges. Cette convention était censée travailler sur le climat et l’énergie, mais elle n’a pas traité ces deux points. Ce qui se comprend car, sournoisement, Mme Borne a signé le décret sur la PPE, sans se préoccuper des travaux des 150 conditionnés.

    • Aristide NGOMA NGOMA

    Bien sûr que oui, la crise climatique est bien réelle, et nous la vivons aujourd’hui en Afrique aussi. Les jeunes ont conscient, aujourd’hui la maison commune qu’est notre planète a un besoin urgent d’être réparée et que soit assuré un avenir durable. Les jeunes du monde ont conscience que c’est l’action locale qui ouvre la voie aux grades décisions climatique; ils veulent prendre part aux mouvements de l’environnement sans compromettre l’action des Ministres qui croient parfois tout permis.