Convention citoyenne pour le climat : en immersion avec les 150 conventionnaires pour ce dernier week-end de discussions et de votes

convention citoyenne

Palais Bourbon, Assemblee Nationale, Paris, France (48°51’ N, 2°21’ E) © Yann Arthus-Bertrand

Ils ont écouté, appris, débattu et finalement rédigé après 9 mois de travaux près de 150 propositions pour réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, « dans un esprit de justice sociale ». Ce week-end, pour l’ultime session au Conseil économique, social et environnemental (CESE) à Paris, ces Français tirés au sort qui représentent à la fois la 1ère expérience de démocratie participative à l’échelle nationale mais aussi une chance pour de vraies avancées écologiques, passent au vote. Nombre d’entre eux souhaitent continuer cette aventure, tant elle a bouleversé leur vie et leur conception de la citoyenneté. Reportage parmi « les 150 ».

Ils ne lâchent pas. Face aux animateurs qui voudraient accélérer un peu le vote « par groupe d’objectifs », les citoyens-conventionnaires renâclent. « Je suis d’accord avec l’objectif mais pas avec certaines propositions déclinées ensuite ! », s’énerve Pascal alors que la convention aborde l’évolution du barème des indemnités kilométriques ou plus tard la limitation de la vitesse sur autoroute à 110 km/heure. Il est plus de midi vendredi 19 juin et les animateurs de séance expliquent que des « opinions minoritaires » pourront être intégrées dans le rapport final, mais qu’il est trop tard pour modifier le règlement de vote adopté par le comité de gouvernance. Trois fois, quatre fois, d’autres citoyens reviendront à la charge, soucieux de se montrer précis et sincères pour chacun des votes qui formeront le rapport final remis à Emmanuel Macron dimanche 21 juin. Et que tous les Français pourront lire.

C’est qu’ils sont devenus de vrais débatteurs,  exigeants et combattifs, les « citoyens-conventionnaires », en 9 mois et 7 sessions au Palais d’Iéna. Ils ont planché, répartis en 5 groupes de travail (se nourrir, travailler et produire, se déplacer, se loger, consommer) sur des sujets ardus avec des économistes, des scientifiques et des juristes qui, pour beaucoup, leur ont ouvert les yeux sur l’urgence climatique.

Muriel Raulic, technicienne dans le spectacle à Toulouse, s’est tellement passionnée pour les sujets abordés qu’elle a organisé des conf-call avec d’autres experts de son propre chef! « Je voulais créer un lien, poursuivre la réflexion, explique-t-elle. J ’ai réuni des élus, des spécialistes du numérique ou de l’agriculture, des démographes et même un ingénieur des aiguillages car j’ai porté un amendement pour que les trains de marchandises puissent aussi transporter des voyageurs. L’idée n’a pas été retenue, mais je suis têtue, j’y réfléchis encore. » Cette volonté de bien maîtriser les enjeux, tous la partagent. Bien comprendre pour ne surtout pas être manipulés. « Lorsque la ministre Elisabeth Borne est venue nous expliquer l’échec de la taxe carbone, je me suis dit qu’ils voulaient que nous portions les idées qui fâchent à leur place, se souvient Benoît Baudry, 52 ans, agent de sécurité à Marseille qui a travaillé dans le groupe « Consommer ». Nous avons fait très attention à cela, à ne pas être instrumentalisés, en regardant bien d’où venaient les experts qui nous parlaient et sans jamais perdre de vue l’impératif de justice sociale ». Comme de nombreux conventionnaires, Benoît n’était pas écologiste avant la convention, cela faisait même 30 ans qu’il n’avait pas voté. « Avant, les écolos, on les prenait pour des fous. Maintenant, je pense que c’était nous, les fous », confirme son ami Saïd, originaire du Gard.

A la prise de conscience sur l’urgence environnementale a succédé une seconde révélation : celle de détenir un pouvoir en tant que citoyen. « C’est extraordinaire ce qu’on a vécu, confie Benoît, je suis fier de ce que j’ai dit et fait, de ces textes qui peuvent aller jusqu’au référendum, même si toutes mes idées n’ont pas été retenues ». Muriel Raulic parle de semaines qui l’ont « fait revivre ». « J’ai un métier passionnant et des tas de centres d’intérêt mais en tant que citoyenne, je me sentais inutile. Aujourd’hui, je veux participer à la vie de la démocratie ».

C’est l’une des benjamines du groupe, la nordiste Eloïse, 17 ans, qui explique peut-être le mieux en quoi cette convention a révélé à chacun un potentiel inconnu. Eloïse, elle, est née dans une famille de militants (maman au MRAP- mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, grand-père à la MNLE – mouvement national de lutte pour l’environnement) : « Ce qui m’a étonnée et qui a été magnifique, c’est de voir comment les participants ont englouti des tonnes d’informations et ont réussi à en faire de belles choses. Nous avons tous appris très vite à réfléchir, à écouter et à donner ensuite un point de vue intelligent. Nous avons tous progressé ».

Ce n’est pas le professeur de sciences politiques Loïc Blondiaux qui la contredira. Membre du comité de gouvernance et chantre de la démocratie participative, il estime que la convention a fait la preuve que le tirage au sort des citoyens est un moyen de faire renaître notre démocratie. « Les conventionnaires étaient tous méfiants au départ, par rapport à l’organisation mais aussi envers eux-mêmes : ils se demandaient s’ils seraient à la hauteur. Or, dès qu’ils ont eu le socle d’informations nécessaires, nous avons constaté une incroyable fécondité dans les délibérations. L’intelligence collective n’est pas une vue de l’esprit. » Malgré les grèves, malgré le Covid, les citoyens se sont passionnés pour les débats jusqu’au bout : il n’y a eu que 5% environ de désistements, ce qui est très peu.

Dès lundi, une autre phase commencera. Ce sera au tour des « garants » de veiller à ce que le rapport ne tombe pas, comme tant d’autres, dans les limbes. Cyril Dion, co-réalisateur du film Demain, est l’un d’entre eux. Il a déjà pris le rythme, prêche la parole sur les plateaux radio et télé et ne dort que 5 heures par nuit. « Nous venons de faire la preuve par l’exemple qu’une démocratie participative est possible. Maintenant, il faut nous mobiliser pour rendre les propositions incontournables et institutionnaliser le processus. » Il est conscient que certaines idées passeront mieux que d’autres : « Le crime d’écocide ne plaira pas aux dirigeants, c’est certain, alors qu’ils seront tous d’accord concernant la rénovation thermiques des bâtiments. Nous allons nous battre pour qu’il n’y ait pas de tri entre les propositions. »

Les « garants » ne seront pas seuls à ferrailler. Une association baptisée « Les 150 » et qui les rassemble presque tous (120 personnes environ) s’est créée et ouvrira son site internet dimanche. Grégoire Frati, 32 ans, conventionnaire qui travaille dans la formation professionnelle, en est à l’origine. Grâce à elle, il souhaite garder le lien entre les participants mais aussi avec les parlementaires qui s’empareront peut-être de quelques propositions – celles-ci seront discutées au parlement, ou bien présentées sous forme de référendum, ou encore appliquées directement, par voie réglementaire. Lorsqu’on lui demande s’il a confiance, il sourit : « On ne sait pas. On se tient prêt ». Prêt à collaborer. Ou à se battre pour ne pas disparaître.

Sophie Noucher

5 commentaires

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    • Balendard

    5 groupes de travail composés de 150 citoyens tirés au sort ont donc été effectivement créés dans le cadre du CCC à l’initiative de notre président Macron. Ces groupes de travail aidés par des économistes, des scientifiques et des juristes leur ont ouvert les yeux on peut l’espérer sur l’urgence climatique et la necessité de revoir notre façon de
    – se nourrir,
    – travailler et produire,
    – se déplacer,
    – se loger,
    – consommer

    Nul doute que les 150 participants à ce CCC sont convaincus qu’une démocratie participative n’est valable que si elle ne perd jamais de vue l’impératif de justice sociale et que si elle se préoccupe de faire en sorte que le rapport qui va résulter de tout ces échanges ne tombe pas, comme tant d’autres, dans les limbes. (Merci Cyril Dion).

    Les lutins thermiques serais heureux de connaître les termes utilisés par la ministre Elisabeth Borne lorsque qu’elle est venue expliquer à ces 150 individus « l’échec » de la taxe carbone

    ils seraient aussi heureux de savoir si les 5 aspects abordés par le CCC on été mentionneés par ordre d’importance décroissante ou croissante

    Quant aux arguments de Loïc Blondiaux qui estime que le tirage au sort des citoyens avec un nombre aussi réduit de citoyens est représentatif de la démocratie participative, ceci alors que l’ensemble des Français sont concernés, on aimerait bien les connaitre.

    Quoi qu’il en soit le fait que environ 120 membres du CCC représentant sensiblement 80 % de ce groupement aient décidé de créer une association nommée « les 150 » est en soit un bel exemple de collaboration.

    Ceci dit le bon sens et l’association de 120 individus ne suffira probablement pas à améliorer valablement les 5 sujets traités ceci dans la mesure où les choix vont résulter de raisonnement assez complexe. Ceci étant donné que nous ne reviendrons pas à la normalité étant donné que la normalité c’était le problème. voir
    https://www.dropbox.com/s/8gif3drpduui3s6/Synthese.pdf?dl=0

    Pour limiter le réchauffement climatique nous devrons en effet nécessairement prendre en compte des cinq aspects suivants
    – la finance
    – la corruption
    – la mondialisation
    – les inégalités
    – la spéculation
    ceci peut- etre en les classant par ordre d’importance pour intensifier notre action là où cela est le plus nécessaire

    notre intérêt est aussi selon moi de tenir compte je pense du questionnaire posé à un échantillon de population beaucoup plus important par Arté-tv. Ceci de telle sorte que le travail ayant été bien dégrossi en amont les décisions soit plus faciles à prendre en aval par le parlement.

    • Fabrice Thibaut

    Vouloir réduire le taux de carbone est une très bonne chose mais la réduction de 40% visée d’ici 2030 ne porte pas sur les particules déjà présentes dans l’atmosphère (on va dire que le mal est déjà fait et qu’il faut réparer urgemment), celles-ci peuvent être réduites en plantant et végétalisant où que cela soit possible, quelque chose de simple que le politique peut soutenir car sans grands frais et avec l’émulation d’une participation citoyenne (viiiite).

    • Serge Rochain

    En 2004 j’ai écrit un petit ouvrage « Alternative Démocratique » don’t la substance est basée sur le principe de la « sortation » qu’avant même d’en avoir lu la première page tous ceux à qui j’en ai parlé se sont ecriés « c’est totalement utopique » alors je ne crois pas que le monde est prêt à admettre cette idée.
    Pour ceux qui sont intéressés, taper seulement mon nom dans Google :
    Serge Rochain, et vous trouverez rapidement L’URL de mon site et le bouton BLOG vous conduira directement à une version PDF téléchargé able.
    Bonne lecture

    • Dehousse

    Proposition refusée de la convention climat de la semaine de 28 h. Voici ma réflexion :
    40h c’était 5 jours de 8 h ou 4 de 10h.
    Réduire à 39 ou 37 était ridicule car divisible par rien ou presque et donc ingérable par les patrons. 35h c’est un peu comme 40 sauf qu’on tombe 1h par jour : 5 jours de 7h. 32h n’offre pas d’avantage sauf à passer à la semaine de 4 jours de 8 h. 28h est de la même veine , soit 4 jours de 7h que refuseront les patrons car la réduction du temps de travail leur paraîtra trop radicale et ne leur offre aucun avantage en matière de souplesse d’organisation.
    Je verrai mieux 30 heures. Cela permet 3 jours de 10heures , ou 4 de 7,5heures , ou 5 de 6heures, ou 6 de 5heures. Plus de flexibilité pour que les patrons s’organisent et moins de chômage à la clé, car la multiplicité des combinaisons permet de mieux partager le temps de travail selon ses besoins ou envies .

    • Michel CERF

    Le problème est que Serge Ruchain est un faux démocrate , matérialiste , qui n’a aucun sens de l’écologie et profite de ce site pour développer ses arguments fallacieux