Niger: face au changement climatique, les nomades en fin de course

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Une famille peule en transhumance au Niger, le 24 juin 2019 © AFP Marco LONGARI

Cela fait neuf jours que la famille d’Ali, ses 27 moutons et ses six chameaux marchent. Neuf jours à chercher les nuages, qui semblent bien se moquer d’eux. Il est midi, le mercure dépasse les 45 degrés et aussi loin que porte l’horizon, la terre, dans cette région du Niger, reste désespérément sèche.

« Nous avons entendu que les premières pluies sont tombées au nord », confie l’homme aux yeux noirs perçants, encadrés d’un turban, en remplissant une gourde à la pompe qui borde le macadam. « C’est là que nous allons ».

Sous le soleil de juillet, la caravane remonte les étendues sablonneuses et arides depuis le Nigeria. Là-bas l’air est humide, l’eau et les pâturages plus abondants. Ali et sa famille y passent chaque année plusieurs mois, avant de repartir.

La route est encore longue: plus de 100 km, jusqu’à Bermo, dans le centre du Niger. C’est là que se rassemblent des milliers d’éleveurs peuls de retour de transhumance, lorsque s’achève la saison sèche.

Les femmes et les enfants avancent doucement, sur le dos d’ânes déjà surchargés de sacs de jute, de bidons en plastique, de nattes et de calebasses.

Et la scène se répète, à l’infini. Un cortège sans fin de boeufs, de moutons, de chèvres, de chameaux défile en direction du nord. En cette délicate période de soudure, entre la fin de la saison sèche et le début des pluies, les grandes chaleurs s’éternisent. Chacun vit sur ses réserves et les bêtes, rachitiques, paraissent exténuées.

Cette année 2019 est plutôt bonne, pourtant. Les réserves fourragères constituées l’an dernier ont permis aux éleveurs de tenir le coup. En ce mois de juillet, les courtes pluies des deux dernières semaines ont suffi pour faire jaillir les premières pousses vertes.

Mais le répit va-t-il durer ? Bermo, aux portes du désert, subit des sécheresses de plus en plus fréquentes qui déciment les troupeaux. Et, lorsqu’il pleut, ce sont des tempêtes de sable ou des pluies torrentielles qui ravinent et appauvrissent les sols.

Le Niger – où plus de 80% de la population vit de l’agriculture et surtout de l’élevage – est le pays du Sahel le plus touché par les effets du changement climatique et de la hausse des températures. Entre 100.000 et 120.000 hectares de terres sont perdus chaque année à cause de la désertification et de l’érosion des sols, selon les statistiques nationales.

Fardeau à nourrir

« La météo est devenue totalement imprévisible. Ce que nous redoutons le plus, ce sont les poches de sècheresse qui prennent par surprise quand on s’y attend le moins », se désole Djafarou Amadou, ingénieur au sein de l’Association pour la Redynamisation de l’élevage au Niger (Aren).

En 2018, Bermo et ses 66.000 habitants nichés au creux des dunes, ont accueilli dans la joie les premières pluies, dès le mois de mai. Mais, au bout de quelques semaines, tout s’est arrêté. Pendant 30 jours, il n’est plus tombé une goutte d’eau. Les plaines se sont mises à jaunir, l’herbe est devenue rare, et les prix des céréales ont flambé sur les marchés.

Le bétail est devenu un fardeau à nourrir.

Rouada Sabgari s’était alors résigné à brader ses vaches les plus mal en point, pour une bouchée de pain : 5.000 FCFA (7,6 euros), alors qu’elles en valent d’habitude plus de 200.000 (305 euros).

A chaque hivernage, le vieil éleveur peul installe son campement tout près du puits creusé par son grand-père il y a plus d’un demi-siècle, à 6 km de Bermo. Mais il se demande combien de temps encore ses enfants pourront perpétuer ce mode de vie ancestral. Avec les sécheresses successives depuis 10 ans, il a perdu la moitié de son troupeau. Il ne lui reste que 32 vaches.

Rouada Sabgari fait partie du clan des Peuls Wodaabe, qui parcourent de très longues distances avec leurs troupeaux, du Niger à la Centrafrique en passant par le Cameroun et le Tchad. On les appelle aussi Mbororo, comme la variété de boeuf « rouge » à grandes cornes qui les accompagne.

Pour lui et les 25 membres de sa famille, l’animal représente bien plus qu’une source de revenus: il est le symbole de leur liberté. A ses côtés, ils s’affranchissent des frontières et arpentent le monde.

D’ailleurs, chez les Peuls, la vache serait à l’origine de la création du monde: Gueno (Dieu) l’éternel ne lui a-t-il pas donné forme à partir d’une goutte de lait…?

« Autrefois, nous ne mangions pas de céréales ni de viande. Le lait était riche et abondant, il suffisait à nous rendre forts. Ce n’est plus possible aujourd’hui », explique le vieil homme, assis sur une natte devant sa tente, au milieu d’une plaine balayée par les vents et les sachets en plastique qui s’accrochent aux épineux. La pollution aussi, est arrivée jusque-là.

20.000 francs par mois

Les grandes sécheresses de 74 et de 84, qui ont décimé la moitié des cheptels, ont marqué un tournant historique au Niger et dans le reste du Sahel. « Nous n’étions pas préparés à cela. Tout le monde a fui au Nigeria », se souvient Rouada Sabgari. « Les animaux étaient tellement maigres et fatigués qu’il fallait les soulever pour les faire tenir debout. Même les gens mouraient de faim, il n’y avait plus rien sur les marchés ».

Jamais les habitants n’avaient connu pareille « malédiction ». A l’époque, on pensait que seul Allah était responsable de ces malheurs. Alors les Peuls ont prié, sans relâche, pour qu’il se remette à pleuvoir. En vain.

Les sècheresses sont revenues, et avec elles les crises alimentaires, aggravées par l’insécurité grandissante et la guerre contre les groupes jihadistes aux quatre coins du pays, provoquant d’importants déplacements de populations.

« Nous avons aujourd’hui moins de bêtes et moins de récoltes pour plus de bouches à nourrir », s’inquiète l’ingénieur Djfarou Amadou, rappelant que son pays, le sixième pays le plus pauvre au monde, est aussi celui qui a le plus fort taux de fécondité, avec plus de 7 enfants par femme en moyenne.

Spirale infernale: la pression démographique et la raréfaction des ressources ont aussi entraîné une compétition accrue avec les agriculteurs pour la terre.

Les conflits autour du saccage des récoltes, de la pollution des nappes phréatiques se sont multipliés. Dans tout le Sahel, les cultures empiètent désormais sur les corridors de transhumance et vice-versa.

Résultat: même les bonnes années comme 2019, la population reste extrêmement vulnérable. La campagne agricole et pastorale est excédentaire. Les prix du mil, du sorgho et du maïs ont baissé. Et pourtant, entre juin et août, en pleine période de soudure, 1,2 million de Nigériens se trouvaient en situation d’insécurité alimentaire grave, selon la FAO.

2004, 2010, 2015… Les crises à répétition ont fini par décimer la quarantaine de vaches de Barka Azzey. Celles qui avaient survécu à la faim et aux maladies ne donnaient plus de lait et ne reproduisaient plus. Alors il a fallu faire autre chose.

« Ce n’était plus assez pour manger, pour s’habiller, alors j’ai pris ma famille et nous sommes partis vivre en ville », dit-il en regardant le sol avec tristesse, dans la cour poussiéreuse où il vit désormais. Trois poules maigres se reposent à l’ombre d’une antenne parabolique où sèche le linge.

A 38 ans, Barka est devenu gardien. Il dort dans une cabane avec sa femme Rabi et ses cinq enfants, sur la propriété d’un riche commerçant de Maradi, la deuxième ville du Niger (sud). Avec 20.000 francs (30 euros) par mois, il est obligé de contracter des « maleji » (crédits) à l’épicerie locale pour nourrir les siens.

Stopper l’exode

« En ville, il n’y a rien de bon. Ici, il n’y a que le désespoir », assène Barka Azzey. Il n’a qu’une idée en tête: « gagner assez d’argent pour reconstituer mon troupeau et retrouver ma vie d’avant ».

Comme lui, des milliers d’autres jeunes bergers ont quitté la brousse pour tenter leur chance dans la capitale Niamey, ou d’autres grandes villes d’Afrique de l’Ouest. Ils deviennent cireurs de chaussures, vendeurs de cartes sim ou de plantes médicinales.

Sur les trottoirs de Bamako, de Conakry ou de Dakar, ils viennent allonger la longue liste d’émigrants qui ailleurs, fuient les violences ou la pauvreté. L’exode est massif.

L’Aren, principale association d’éleveurs, a mis en place, avec des ONG comme Oxfam, des programmes pour tenter de stopper l’hémorragie. Une laiterie a vu le jour dans le centre de Bermo. Trois cent femmes sont ainsi revenues vivre au village. Elles produisent du yoghourt et du fromage qu’elles revendent ensuite au marché.

Depuis 15 ans, Hadiza Attahirou passait quatre mois par an au Mali ou au Sénégal. Elle a reçu deux vaches et gagne désormais quelques milliers de francs CFA supplémentaires. « Maintenant que j’ai ce travail, je peux soulager mon mari quand il part en transhumance et payer l’école pour ma fille », explique cette femme de 39 ans à la bouche tatouée et aux bras recouverts de bijoux.

D’autres ont bénéficié de micro-crédits pour s’acheter des outils agricoles ou des machines à coudre. Azara, 18 ans, confectionne un costume d’apparat, mélange de tissages colorés, de coquillages et de perles incrustés. « C’est ce que porteront les hommes pour le Géréwol », dit-elle avec malice.

Cette grande fête, à la fin de chaque saison des pluies, est le moment le plus important de l’année pour les Peuls Wodaabe: lorsque la nourriture n’est plus une quête de chaque instant, que les bêtes ont la panse bien remplie, les humains, enfin, respirent.

Les familles nomades arrivent de tout le Sahel. C’est l’occasion de renouer des liens d’amitié, d’amour aussi. On célèbre les mariages et les naissances. La beauté se cultive comme un art. Bardés de gris-gris et de longues tresses, les hommes s’apprêtent, se maquillent. A la nuit tombée, ils danseront pour séduire leurs femmes.

De quoi trouver le courage de reprendre la route, braver les dangers, la chaleur. Car bientôt, l’herbe disparaîtra et les mares s’assècheront. Et il leur faudra marcher, toujours plus loin, à la poursuite des nuages.

© AFP

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