La loutre d’Europe (Lutra lutra), petit mammifère semi-aquatique qui vit le long des cours d’eau, voit ses populations et son aire de répartition croître de nouveau en France alors que l’espèce était menacée de disparition dans les années 1980. Ainsi, en 2009, la loutre n’était présente que sur 20 % du territoire métropolitain. En 2023, elle en occupe 60 %, selon une étude publiée début juillet dans la revue scientifique Biological Conservation. Le retour de la loutre constitue une bonne nouvelle pour la biodiversité.
« Le retour de la loutre peut donner plusieurs enseignements pour la préservation de la biodiversité, en particulier de la faune sauvage. D’une part, que les écosystèmes et les espèces sont résilients. Les écosystèmes aquatiques figurent parmi les plus vulnérables mais ils peuvent rapidement se restaurer et permettre le retour des espèces qu’ils abritent. Un autre enseignement concerne la résilience des carnivores, quand ils ne sont plus chassés, ils peuvent faire leur retour dans pas mal d’espaces où la pression de la chasse exerce un frein à leur essor », estime Simon Lacombe. Ce scientifique du Centre d’Écologie Fonctionnelle & Évolutive du CNRS basé à Montpellier est l’auteur principal de l’étude qui confirme la tendance à la recolonisation de la France par ce petit mammifère.
La reconquête d’un territoire
L’expansion rapide de la présence de la loutre témoigne « de la recolonisation du territoire par la loutre depuis les bassins où elles subsistaient dans le Massif Central et sur la façade Atlantique », affirme Simon Lacombe. Le chercheur dresse « une synthèse de beaucoup de connaissances sur la loutre en France ». Pour avoir des populations de loutres viables sur le long terme, il faut avoir un habitat adapté, c’est-à-dire des cours d’eau avec des zones végétales de nourrissage, de repos et de reproduction. L’animal est un carnivore, il se caractérise aussi par des populations peu denses. Les auteurs de l’étude notent que « au fil de sa recolonisation, la loutre montre une remarquable capacité d’adaptation à des habitats variés, au-delà de ses bastions traditionnels isolés des installations humaines et riches en ressources. »
Un retour de la loutre observé grâce aux sciences participatives
L’étude a notamment été réalisée grâce à plus de 40 000 observations remontées par des naturalistes et des associations de terrain. Simon Lacombe souligne leur importance : « il serait impossible de mener à l’échelle nationale ou même régionale de telles études de suivi de l’espèce sans l’apport des sciences participatives » Il ajoute que « ces observations permettent de dresser des cartes de l’aire de distribution de la loutre en France. On voit que depuis les bassins où elles subsistaient, les populations de loutres sont en expansion vers la Normandie, la Bourgogne Franche-Comté, l’Hérault, le Gard et les Alpes. En plus, il y a des connexions entre les bassins et les populations ». Ces liaisons entre les bassins de populations permettent la circulation de l’espèce, le mélange des individus puis la colonisation de nouvelles aires.
Une espèce encore vulnérable
En dépit de la croissance de sa population, la loutre reste fragile. Jusqu’au milieu du XXe siècle, elle était victime de la chasse et du braconnage. L’espèce est protégée depuis 1981. Néanmoins, ce petit mammifère aquatique reste menacé par l’aménagement des cours d’eau et leur pollution. « La loutre est toujours considérée comme vulnérable en France », rappelle Simon Lacombe. L’espèce est classée comme quasi-menacée au niveau mondial d’après la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Toutefois le chercheur précise que la loutre est presque partout « les populations restent fragiles à l’échelle locale ». En France, « la première cause de mortalité de ce prédateur est les collisions routières », dont il est « difficile de mesurer les conséquences sur l’espèce étant donné que la loutre présente une faible densité de population sur un espace donné ».
De plus, jusqu’à présent, il subsiste en Europe et en France, une bande de territoire où la loutre ne se réimplante pas. « Elle va du Grand Est au Nord, on ne sait pas pourquoi. Il existe un ou plusieurs facteurs qui empêchent la connexion entre les populations et font que dans certaines zones la recolonisation de la loutre est plus lente. La survie d’individus isolés ne signifie pas forcément un retour de l’espèce ».
La loutre, un animal à fort capital sympathie, un atout pour sa préservation
Bien que difficilement observable de jour, la loutre bénéficie d’un fort capital sympathie, selon Simon Lacombe. Il rapporte que, lors de travaux sur deux populations distinctes de loutres vivant en amont et en aval de Montpellier, les scientifiques ont été surpris de trouver des indices du passage de la loutre dans la ville. Ils se sont rendus compte que « les populations de loutres étaient connectées en amont et en aval du Lez, le cours d’eau qui traverse la ville. Les loutres passent par le biais d’une passe à poissons installée pour les anguilles située dans un endroit très fréquenté de la ville ».
« Les grands prédateurs ont un rôle important dans le fonctionnement et le maintien des écosystèmes »
Enfin, le capital sympathie actuel de la loutre lui permet de jouer un rôle clé dans la sensibilisation tant des décideurs que du grand public à la préservation de la biodiversité. Mais cela n’a pas toujours été le cas, Simon Lacombe se souvient que « dans Le Nom de la Rose d’Umberto ECO, roman dont l’intrigue se déroule en plein Moyen Age, la loutre est listée parmi les animaux associés à Satan. Aujourd’hui, les représentations collectives ont évolué, sans doute grâce à la bonne image des loutres de mer. » Ainsi, Simon Lacombe donne en exemple « le Plan National d’Actions en faveur de la Loutre d’Europe qui incite tout propriétaire d’un terrain où passe un cours d’eau à établir un havre de paix pour la loutre. L’initiative fonctionne bien. Un havre de paix a même été inauguré le mois dernier dans une école de l’agglomération montpelliéraine. » L’essor et le succès des havres de paix pour loutres partout en France témoignent « d’un regard neuf », selon le scientifique qui tient à rappeler que « les grands prédateurs ont un rôle important dans le fonctionnement et le maintien des écosystèmes ».
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