Philippe Stefanini est docteur Docteur en anthropo-biologie au laboratoire ADES-CNRS. Après avoir travaillé sur les aliments durables, Philippe Stefanini théorise en 2025 le concept d’agro-biomimétisme. S’inspirer de la nature pour transformer durablement la production agroalimentaire, c’est là l’objectif de l’agro-biomimétisme. L’idée est d’intégrer le comportement, l’organisme et l’écosystème dans une démarche bioculturelle de l’agriculture. Dans cette nouvelle tribune, Philippe Stefanini explique l’intérêt de miser sur l’agro-biomimétisme à la fois pour préserver le vivant et pour nourrir le monde.
Demain l’agriculteur devra s’inspirer des propriétés fondamentales du vivant (compositions, processus, formes, interactions) de ses systèmes biologiques, pour mettre au point des procédés agronomiques et des process permettant un développement durable de sa production.
L’objectif : une production flexible et résistante qui aura la capacité de résister aux modifications brutales du climat et aux différentes pollutions qui en découlent. Elle devra être plus résiliente, symbiotique et compatible avec son écosystème global afin de l’améliorer durablement au lieu de le détruire sans discernement. Le fonctionnement du vivant nous donne la solution : observer, comprendre, et appliquer L’agro-biomimétisme, en s’appuyant sur les processus naturels, devient une opportunité stratégique pour régénérer le vivant en profondeur.
Agro-biomimétisme et rupture de paradigme
L’agro-biomimétisme désigne une approche agricole qui s’inspire du fonctionnement des écosystèmes naturels pour concevoir des systèmes de production qui ne dégradent pas, mais régénèrent les milieux vivants qui l’entourent. Elle considère la production non comme une fin isolée, mais comme un sous-produit d’un écosystème sain, dynamique et coopérant. Contrairement au modèle dominant basé sur l’extraction et la domination technique, cette approche place la fertilité écologique, la diversité fonctionnelle et les cycles naturels au cœur du système agricole.
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C’est un changement de regard profond : on ne travaille plus contre ou malgré la nature, mais avec elle, voire pour elle. L’agriculture devient une fonction écosystémique parmi d’autres, ancrée dans la logique de coévolution, de régénération, et d’auto-organisation. Cela implique de penser l’agronomie comme une science relationnelle, attentive aux flux de matière, d’énergie et d’information dans les milieux vivants.
L’agriculture bio-mimétique en France
En France, de nombreux agriculteurs, dont j’ai pu suivre certains de leurs travaux, s’engagent parfois de façon empirique dans cette voie holistique et respectueuse, souvent issue d’intuitions mûries par l’observation de terrain. Ils vont au-delà de l’agroécologie et s’installent dans une expérimentation permanente salvatrice ou l’imitation proactive des principes naturels devient leur passion.
Aujourd’hui, l’objectif est clair : mimer les logiques coopératives du vivant pour faire émerger une intelligence écosystémique appliquée à l’agriculture.
Une structure méthodique semble cependant émerger, fondée sur l’analyse fonctionnelle de l’écosystème local : inventaire de la flore et de la faune endémiques, analyse des cycles biogéochimiques, lunaires, qualité des eaux, de l’air et dynamique biochimique des sols…
Les pratiques mises en œuvre intègrent des leviers convergents pour en citer quelques-uns : Ppaillage (plantes endémiques), incorporation de vers (épigés endémiques), usage de macérats de plantes endémiques, mycorhization (champignons endémiques), micro-nutrition des sols, usage d’huiles essentielles (plantes endémiques de l’exploitation) pour les traitements, haies multifonctionnelles, micro-habitats humides, abris pour pollinisateurs, élevage d’animaux du terroir, abeilles races locales, gestion vertueuse des déchets de l’exploitation…
Dans cette logique, la vigne ou l’olivier, par exemple, n’est plus seul dans sa parcelle, mais devient un acteur au sein d’une trame écosystémique renforcée.
Les bénéfices de l’agro-biomimétisme
Les bénéfices observés sont multiples et s’expriment à différentes échelles :
- Agronomiques : augmentation de la matière organique, amélioration de la porosité des sols, résilience accrue au stress hydrique (Gattinger et al., 2012 ; Lal, 2020).
- Écologiques : restauration de la biodiversité fonctionnelle, réactivation des réseaux trophiques, diminution des maladies cryptogamiques (Kremen & Merenlender, 2018).
- Économiques : réduction des intrants de synthèse, moindre dépendance aux énergies fossiles, valorisation des ressources locales, meilleure pérennité des systèmes de production.
- Sociétaux et culturels : ancrage territorial fort, valorisation des savoir-faire paysans, reconnaissance de l’agriculteur comme gestionnaire du vivant, et vecteur d’harmonie entre nature et société.
Un modèle régénératif sous conditions
Pour que l’agro-biomimétisme se déploie largement, plusieurs conditions systémiques doivent converger :
- Une recherche transdisciplinaire mobilisant l’écologie fonctionnelle, l’agronomie, les sciences du sol et les sciences sociales ;
- Une adaptation territorialisée, fondée sur les ressources endogènes, les dynamiques écologiques locales et les savoirs vernaculaires ;
- Une formation systémique des acteurs agricoles et ruraux aux concepts de résilience, symbiose, interdépendance ;
- Des outils innovants de diagnostic écosystémique, d’évaluation de la résilience et de modélisation des interactions biologiques ;
- Une transformation du référentiel politique et économique : abandon du rendement comme unique critère de performance au profit d’une évaluation systémique de la vitalité du vivant.
Cultiver avec le vivant n’est plus une utopie, mais un changement de paradigme urgent. En imitant la nature dans sa complexité, l’agriculture peut redevenir un moteur de santé, de fertilité et d’espoir.
Agro-biomimétisme : l’agriculture qui renforce le vivant au-delà de sa production en imitant la nature par Philippe Stefanini, Anthropo-biologiste – chercheur honoraire ex CNRS, Laboratoire ADES –CNRS
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