La France accueille la 3e Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC-3) du 9 au 13 juin 2025 à Nice. Julien Rochette, directeur du programme Océan au sein de l’IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales) et enseignant à Science Po explique dans cet entretien avec GoodPlanet Mag’ les tenants et les aboutissants de ce temps fort de l’année. L’UNOC-3 sera avant tout une rencontre scientifique et l’occasion d’effectuer un bilan des engagements pris par les États pour protéger les océans.
Tout d’abord, qu’est-ce que l’UNOC-3 qui a lieu en France en juin ?
Pour comprendre l’UNOC, il faut remonter à l’adoption en 2015 de l’Agenda 2030 et des 17 Objectifs de Développement durable (ODD). L’ODD14 est consacré spécifiquement aux océans. Celui-ci contient différentes cibles assez larges allant de la protection de l’environnement marin, la lutte contre la surpêche et la gestion durable des pêcheries, la lutte contre les pollutions etc…
Dès 2015, l’Assemblée Générale des Nations Unies a convoqué une première Conférence des Nations unies sur l’océan pour faire dans le même temps un bilan de la mise en œuvre de l’ODD14 et soutenir cette dernière. L’UNOC-1 a ainsi eu lieu en 2017 à New York, puis une seconde édition s’est déroulée en 2022. Enfin, la troisième se déroule en 2025 en France qui la copréside avec le Costa-Rica.
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L’UNOC n’est pas une COP parce qu’elle n’est pas rattachée à un traité. L’UNOC permet néanmoins à la communauté internationale de se rencontrer pour échanger autour des océans, ce qui permet des avancées dans les discussions.
Pourquoi est-ce tout de même important de porter une attention particulière à cette rencontre même si ce n’est pas une instance de négociations et de décisions ?
Il est important de prêter attention à l’UNOC pour trois raisons. D’abord, car l’UNOC permet d’avoir une évaluation critique de l’action de la communauté internationale sur les engagements pris en 2015. Cela permet de savoir où on est sur la trajectoire fixée par l’ODD14 sur la préservation de l’océan.
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Ensuite, le moment de l’UNOC permet souvent aux pays organisateurs de pousser des dossiers à l’agenda. Au-delà du seul bilan, de nouvelles initiatives devraient être lancées. Il est probable d’avoir lors de l’UNOC un certain nombre d’annonces de la part de gouvernements mais aussi du secteur privé, des ONG et des scientifiques afin d’accélérer la mise en œuvre de l’ODD14.
Enfin, il y a un aspect, peut-être moins tangible, à ce sommet : celui de la diplomatie de couloir. Cette rencontre offre aussi aux États l’occasion de discuter de l’anticipation des enjeux de mise en œuvre du traité sur la haute mer, de l’exploitation minière des fonds marins ou encore de la prochaine négociation sur le traité plastique à Genève.
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De quelle manière l’UNOC peut contribuer à une meilleure protection des océans ? Sachant que sur des enjeux comme le climat et la biodiversité, la parole des scientifiques semble peu écoutée par les décideurs…
La France a construit l’UNOC-3 en voulant en faire un moment où la science rencontre la décision politique. Avant le segment formel, il y aura un événement à Monaco autour de la mobilisation du secteur privé et un autre à Nice sur l’adaptation des villes et des régions côtières. On a également un forum scientifique très important coprésidé par le CNRS et l’IFREMER qui va réunir plus de 10 000 scientifiques venus d’une centaine de pays. Il y aura donc un vrai bouillonnement intellectuel et scientifique sur la science de l’océan. Les recommandations des scientifiques seront transmises aux décideurs avec l’idée qu’effectivement la science ne doit pas restée cantonnée aux milieux académiques mais doit justement, par ce qu’on appelle « des interfaces science-décision », se disséminer le plus possible pour atteindre les décideurs politiques. La finalité est que leurs décisions se basent sur la meilleure connaissance scientifique disponible.
« La science ne doit pas restée cantonnée aux milieux académiques mais doit justement se disséminer le plus possible pour atteindre les décideurs politiques. »
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Les océans étant un milieu à part, ne sommes-nous pas en train d’assister progressivement, depuis les années 1970, à un encadrement par les État de ce milieu (plus de la moitié de la surface planétaire), qui jusque-là échappait en partie à leur contrôle, grâce à des évolutions tant technologiques que juridiques ?
Les deux sont intriqués. La haute mer en est le parfait exemple. Jusqu’aux années 1970, les État, et par extension la régulation internationale, s’en désintéressent largement.
« Le droit arrive pour réguler la technologie et les nouvelles activités humaines qui se déroulent en haute mer. »
D’une part parce que les connaissances scientifiques sur ce milieu sont lacunaires et qu’on ne connait pas encore l’exceptionnelle biodiversité quel la haute mer abrite. D’autre part, la technologie ne permet pas d’exploiter les ressources en haute mer. Les évolutions technologiques et les avancées techniques actuelles permettent de rendre accessible l’ensemble des océans. La distance à la côte ou la profondeur ne sont plus des difficultés insurmontables. Dès lors, les menaces et les risques pour la biodiversité marine augmentent. Par conséquence, le droit arrive pour réguler la technologie et les nouvelles activités humaines qui se déroulent en haute mer.
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Est-ce que le traité sur la haute mer pourra changer la donne ? Peut-on espérer le voir entrer en vigueur lors de l’UNOC grâce à la ratification de 60 États ?
Le traité sur la haute mer est extrêmement important puisqu’il vient combler des vides juridiques sur les activités humaines dans cet espace qui représente la moitié de la surface du globe.
Le meilleur exemple de ce que le traité permet est notamment la création d’aires marines protégées (AMP) en haute mer. Jusqu’à maintenant, les États ne pouvaient créer des parcs ou des réserves uniquement dans leurs eaux nationales. La réglementation les empêchait de le faire au-delà. Grâce au traité sur la haute mer, on pourra créer des aires marines protégées en haute mer, ce qui est fondamental pour la préservation de ces écosystèmes et des espèces.
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Les aires marines protégées sont souvent présentées comme l’un des meilleurs outils de protection des océans avec un objectif ambitieux de 30 % de leur surface protégée. Qu’en est-il vraiment ? D’autant que celles-ci font l’objet de critiques car elles n’offrent qu’une protection sur le papier n’empêchant pas systématiquement l’exploitation de l’océan ?
Le sujet fait l’objet d’un débat d’autant plus important qu’il existe un objectif visant à ce que 30 % de l’espace marin soit conservé par des aires marines protégées d’ici 2030. Actuellement, seul 8 à 9 % des océans sont aujourd’hui protégés, ce qui signifie que sur le plan qualitatif, on dispose d’importantes marges de manœuvres.
« Il faut surtout que les États n’oublient pas l’aspect qualitatif d’une aire marine protégée. »
Il reste des efforts à fournir pour parvenir aux 30 %. Il faut surtout que les États n’oublient pas l’aspect qualitatif d’une aire marine protégée. Au-delà des chiffres, une aire marine doit disposer, pour être efficace, d’un plan de gestion, du personnel et des moyens de surveillance. Ces éléments font actuellement défaut dans de nombreuses aires marines protégées. Dans ce domaine, les États doivent renforcer leurs efforts et leurs moyens.
Si les zones protégées ne fonctionnent pas déjà dans les eaux territoriales, alors comment espérer qu’elles jouent leur rôle en haute mer ? Par ailleurs, ne risque-t-on pas, comme sur terre avec davantage de parcs dans les régions montagneuses, de protéger en fait des zones qui sont peu exploitées en raison de la difficulté même du milieu et de son accès ?
La surveillance des plans de gestion sera un des enjeux majeurs de la création des futurs aires marines protégées situées en haute mer. L’éloignement de la haute mer des terres pose aussi des difficultés en matière de surveillance, il est difficile d’y déployer des moyens humains. Il n’est pas envisageable de mettre un gendarme derrière chaque usager de la haute mer. En revanche, les technologies offrent des approches prometteuses. Les satellites permettent maintenant de savoir en temps réel ce qui se passe sur l’océan. Le spatial sera sans doute un outil important de surveillance de ce qui se déroulera dans les futures AMP en haute mer. Il est nécessaire que le droit et les politiques avancent en parallèle dans le même temps. Pour que ces technologies se montrent efficaces, il faut qu’un certain nombre de mesures politiques et juridiques soient prises. Par exemple, la technologie spatiale permet de voir ce qu’un navire fait. Donc, si un navire commet un acte illégal, il faut également que l’État dans lequel le navire est enregistré reconnaisse les images satellitaires comme des preuves devant les tribunaux.
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Est-ce que la création des AMP en haute mer peut conduire au risque que certains États en profitent pour s’accaparer des ressources sous couvert de protection ?
La conception du traité sur la haute mer met un certain nombre de garde-fous à toutes tentatives d’appropriation. Leur gestion devra être commune, se faire sur des règles communes avec l’intervention d’un comité scientifique et technique. Il est donc possible d’être confiant sur le fait que les futurs AMP en haute mer devraient être gérées par l’ensemble de la communauté internationale notamment au travers des COP qui suivront la mise en place du BBNJ [NDRL le sigle en anglais du traité Marine Biodiversity of Areas Beyond National Jurisdiction pour diversité marine au-delà des juridictions nationales], le traité international pour protéger la haute mer.
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Parmi les thématiques de l’ODD14 abordés lors de l’UNOC, est-ce que vous souhaitez en développer une ?
L’océan ne souffre pas d’un seul mal, mais de plusieurs. Il est difficile d’en retenir une en particulier car les pollutions sont un problème, la surpêche est un problème, l’acidification est un problème. Et, en fait, l’impact cumulatif de ces différentes menaces constitue un problème plus important pour l’océan. L’ODD14 présente donc un réel intérêt en concevant la gestion de l’océan au travers de cibles complémentaires. Il cherche donc à aller vers une gestion intégrée de l’océan qui prend en compte la diversité des menaces qui pèsent sur ce dernier.
« L’océan ne souffre pas d’un seul mal, mais de plusieurs »
Propos recueillis par Julien Leprovost
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Pour aller plus loin
La page Océan sur le site de IDDRI
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Un commentaire
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Quidamus
« L’océan ne souffre pas d’un seul mal, mais de plusieurs »
En fait techniquement l’océan n’a qu’un seul problème : l’homme.
Pour que les aire marines soient réellement protégées il faudrait déjà interdire le chalutage, la pêche industrielle et la senne démersale, qui ont pourtant le soutien de la FRANCE.
Et que fait on concernant les US, puisque Trump veut exploiter de force les aire marines protégées, y compris les fonds marins ?