Au moment de devenir mère, Charlotte Meyer fait face à un dilemme écologique de plus en plus commun. A l’heure du changement climatique, est-il bien raisonnable d’avoir des enfants ? Dans son livre Les Enfants de l’Apocalypse paru ce début d’année, la journaliste répond à cette question par une autre : les enfants sont-ils réellement le problème ? En partant à la rencontre de familles ayant adopté un mode de vie alternatif, l’auteure cherche à montrer que ce débat est en réalité le symptôme d’un système dysfonctionnel. Charlotte Meyer développe ces thématiques dans cet entretien avec GoodPlanet Mag’.
Vous commencez ce livre en racontant votre propre expérience. Pensez-vous que toutes les futures mères font face à ce dilemme écologique aujourd’hui ?
Je ne pense pas qu’aujourd’hui, la conscience écologique soit assez homogène dans la société pour qu’on puisse dire que toutes les mères, au moment d’avoir un enfant, se posent la question de leur impact sur le changement climatique. D’ailleurs, je crois que des études récentes montrent que le niveau de climato-scepticisme a même augmenté en France. Quoi qu’il en soit, beaucoup se posent aussi des questions pour d’autres raisons. Elles peuvent être économiques ou liées au contexte géopolitique par exemple.
Est-il possible d’être parent tout en étant écolo ?
Une étude parue il y a quelques années affirme que faire un enfant équivaut à 58 tonnes de CO2 par an par personne. Ces études, qui affirment que ce n’est pas écolo de faire des enfants, restent très contestées. Elles ne comptabilisent pas seulement l’enfant et ses émissions carbone, mais aussi celles de sa descendance. Cela n’est pas très objectif, mais c’est aussi contestable éthiquement parlant. Faire un enfant tout en étant écolo est un sujet qui fait débat. Je trouve cela assez dommage, parce que ce débat divise et prend de la place dans l’espace public inutilement.
Parce que oui, être écolo et avoir des enfants c’est possible. Dans tous mes reportages, j’ai rencontré des personnes qui ont parfois trois ou quatre enfants et vivent de manière radicalement différente du reste de la société. Elles ont ainsi un taux d’émissions carbone qui peut être bien plus bas qu’une personne seule mais moins consciente des enjeux climatiques.
Comment avez-vous rencontré les familles « hors norme » dont vous parlez dans votre livre ?
Je les ai rencontrées de différentes manières. À l’origine, j’étais partie faire un reportage sur les alternatives écologiques qui se mettent en place au niveau local en France. Dans ce contexte, j’avais déjà rencontré quelques familles, que j’ai retrouvées plus tard pour échanger sur le sujet des enfants. Le bouche à oreille a aussi beaucoup joué, car les familles radicalement différentes dans leur mode de vie sont souvent interdépendantes. Par exemple, elles éduquent leurs enfants ensemble ou s’échangent des aliments. Ce sont de vrais réseaux.
Je suis aussi passée par des forums, car lorsque je suis devenue maman, j’avais très peu d’amies qui étaient déjà mères aussi. Je cherchais donc des conseils au niveau de la maternité. Ils n’étaient pas forcément liés à l’écologie mais je me suis aussi fait des contacts de cette manière. Certaines familles sont aussi venues à moi directement.
Que nous racontent leurs histoires ?
Ce sont des familles qui nagent vraiment dans le bonheur. C’est assez impressionnant de rencontrer des personnes tellement alignées et ancrées avec leurs valeurs et en harmonie avec elles-mêmes qu’elles transfèrent leur joie de vivre.
« Ces familles sont tellement convaincues que leur mode de vie est juste et répond à leurs convictions qu’elles se projettent déjà dans un modèle futur »
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Surtout, elles ne sont plus dans cette démarche de lutte contre le changement climatique : elles sont déjà à l’étape d’après. Ces familles sont tellement convaincues que leur mode de vie est juste et répond à leurs convictions qu’elles se projettent déjà dans un modèle futur. Elles élèvent leurs enfants de la manière dont ils devraient vivre, si notre société était déjà alignée avec les enjeux que le changement climatique fait émerger. Je trouve qu’elles inspirent beaucoup de courage.
Une famille doit-elle être activiste pour être responsable ?
C’est évident que le mode de vie de ces familles ne pourra pas faire tache d’huile partout. Pour qu’une marge persiste, il faut qu’il y ait un système qui perdure. Mais effectivement, beaucoup de familles décident de s’émanciper, y compris de milieux pointés du doigt en dehors du système écologique. Par exemple, certaines femmes décident d’accoucher à domicile car elles voient qu’aujourd’hui, les hôpitaux sont surchargés et subissent des coupes budgétaires, tout comme l’éducation.
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Évidemment, tout le monde ne pourra pas adopter ce mode de vie. Mais je pense qu’au-delà de cela, il faut déjà avoir conscience des failles de notre société pour se permettre un pas de côté, petit ou grand. En avoir conscience, c’est déjà important pour participer à créer un nouveau modèle de société.
Être une famille écologique signifie-t-il se détourner de la modernité dans une certaine mesure ?
Ce n’est pas vraiment un rejet de la modernité mais plutôt une recherche du bien-être et une volonté de faire attention à soi. Une idée qui revient beaucoup dans les rencontres que j’ai faites, c’est que l’écologie ne signifie pas seulement faire attention au vivant et à la nature. C’est aussi chercher à soigner ses relations avec les autres et avec soi-même.
« L’écologie ne signifie pas seulement faire attention au vivant et à la nature, c’est aussi chercher à soigner ses relations avec les autres et avec soi-même »
Je ne dirais donc pas qu’il y a un refus de la modernité. Les personnes que j’ai rencontrées vivent avec un téléphone portable ou un ordinateur chez elles, là n’est pas la question. Par exemple, les femmes qui décident d’accoucher chez elles le font souvent car c’est un endroit où elles sont plus à l’aise, où elles savent qu’elles seront en meilleures conditions. Il s’agit donc plutôt d’une recherche de bien-être.
Dire que faire des enfants, c’est participer au changement climatique, n’est-ce pas déresponsabiliser les pouvoirs publics dans la transition écologique ?
Pour commencer, c’est un propos qui individualise beaucoup, puisqu’il signifie que tout le poids écologique est sur les épaules des parents plutôt que sur les grandes institutions. Mais surtout, se dire qu’on arrête de faire des enfants signifie que les institutions n’ont pas l’intention de changer la société ou la manière dont elle fonctionne actuellement. Pourtant, c’est plutôt de cela dont il devrait être question si on veut vraiment changer les choses.
« Se dire qu’on arrête de faire des enfants signifie que les institutions n’ont pas l’intention de changer la société ou la manière dont elle fonctionne actuellement »
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Faut-il changer notre relation à l’enfant pour changer notre relation à la Terre ?
J’ai beaucoup observé ce parallèle entre notre rapport au vivant et à l’enfant. Dans tous les milieux où les personnes sont conscientes écologiquement parlant, elles essayent aussi de trouver un autre modèle éducatif. Cela implique toute cette question de l’éducation bienveillante, qui est de plus en plus populaire au sein de la société.
« C’est un rapport à tout le vivant qui entre en jeu »
Pour ces personnes effectivement, c’est un rapport à tout le vivant qui entre en jeu. Ce vivant ne désigne pas seulement la faune et la flore, mais aussi les enfants. On sait qu’à une époque, au Moyen-Âge par exemple, on les présentait comme des roseaux à redresser. À la même époque, la nature était considérée comme un élément que l’homme doit dominer et changer selon son intérêt. Je pense qu’aujourd’hui ces deux luttes peuvent en effet être liées.
Faut-il faire des enfants pour affronter le changement climatique ?
Beaucoup de familles que j’ai rencontrées me disent que, pour elles, avoir des enfants est vraiment un geste d’espoir et d’optimisme. Une autre idée qui revient, c’est qu’arrêter de faire des enfants aujourd’hui pourrait entraîner un effet rebond. On partirait alors du principe qu’on n’a plus de descendance du tout, donc que l’humanité s’arrête.
« Faire des enfants ne va peut-être pas sauver la planète, mais c’est une décision qui donne de l’espoir »
C’est assez évident qu’on ne va pas lutter contre le changement climatique si on pense qu’on va s’éteindre. On va peut-être au contraire en profiter au maximum pour polluer. Je pense que faire des enfants ne va peut-être pas sauver la planète, mais c’est une décision qui donne de l’espoir. Surtout, cela nous oblige à nous positionner dans la lutte le plus possible.
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Pour aller plus loin:
Les Enfants de l’Apocalypse | Charlotte Meyer | Tana
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2 commentaires
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Peter
Dans les pays riches un enfant d’une famille écologique consomme bien plus qu’un enfant d’un pays pauvre
Balendard
Chartotte ferait bien, à l’heure du réchauffement climatique
de s’interroger sur les causes réelles de ce réchauffement :
En effet, la quantité d’énergie perdue thermiquement pour produire notre électricité
avec les chaînes énergétiques actuelles
telles que la combustion et le nucléaire qui dissipent en pure perte l’énergie sous forme thermique étant quantativement supérieure à la quantité d’énergie électrique produite, il ne faut en effetpas s’étonner du réchauffement de notre environnement.