La biochimiste Sandrine Claus : « les microbiotes des sols se sont appauvris en raison des pratiques de l’agriculture intensive conventionnelle »

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Moissons dans la Beauce © Yann Arthus-Bertrand

Fondatrice en 2023 de la start-up Starfish Bioscience, la biochimiste Sandrine Claus travaille sur la restauration de la vie des sols en développant des stimulants bactériens. Le rôle de ces probiotiques : reconstituer le microbiote des sols afin de permettre aux cultures de mieux pousser grâce à la restauration de la biodiversité des micro-organismes. Ils jouent un rôle clef dans le bon fonctionnement de l’écosystème et la protection face aux pathogènes. Dans cette interview, cette spécialiste qui travaille sur les interactions entre le microbiote et leur hôte depuis plus de 20 ans explique la démarche et les enjeux.

Que sont les stimulants bactériens probiotiques pour les sols ?

Sandrine Claus biochimiste starfish
Portrait de la biochimiste Sandrine Claus, fondatrice de l’entreprise StarFish Bioscience DR

Aujourd’hui, les stimulants bactériens probiotiques disponibles sur le marché sont principalement des bactéries symbiotes d’une plante. Elles sont spécifiques à celle-ci et l’aident, par exemple à fixer l’azote, ce que la plante ne peut pas faire toute seule.

Chez Starfish, nous cherchons à développer une nouvelle génération de stimulants bactériens probiotiques pour les sols, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas propres à une plante. Nous voulons concevoir des produits spécifiques d’un sol.  C’est très important car les microbiotes des sols se sont appauvris en raison des pratiques de l’agriculture intensive conventionnelle. Elle a en effet réduit la rotation des cultures qui permet pourtant d’entretenir la diversité de ces micro-organismes. On a ainsi perdu des bactéries dites clefs de voûte qui soutiennent le reste de l’équilibre de l’écosystème. Lorsqu’on perd ces espèces, l’écosystème s’appauvrit et devient dysfonctionnel.

Quels rôles ont les écosystèmes microbiens des sols ?

Les écosystèmes microbiens soutiennent 4 piliers essentiels au bon fonctionnement des sols. Il y a d’abord le recyclage des nutriments. Le microbiote libère les nutriments pour les rendre disponibles pour la plante.  Les bactéries contribuent aussi au maintien de la structure du sol, en leur absence on se retrouve avec une érosion accélérée. Le troisième pilier est la fixation du carbone dans les sols grâce aux bactéries. Sans elles le sol libère des gaz à effet de serre. Enfin, les bactéries aident à maintenir l’eau dans le sol, ce qui permet de prévenir le stress provoqué par la sécheresse.

Qu’est ce qui menace le plus le microbiote des sols ?

La menace est clairement identifiée : il faut arrêter les pratiques de culture intensive notamment le labour. La pratique du labour détruit la structure physique du sol désorganisant alors les écosystèmes microbiens du sol. Les produits phytosanitaires ont aussi des effets délétères sur les micro-organismes puisqu’ils ne tuent pas uniquement les pathogènes ciblés.

« Il faut arrêter les pratiques de culture intensive notamment le labour. »

Pourquoi faut-il restaurer le microbiote des sols ? Est-il, comme pour le système digestif humain, un élément important de la santé ?

Le microbiote des sols est crucial. En plus des 4 fonctions mentionnées auparavant qu’il remplit, il se montre essentiel au bon fonctionnement des sols, il est un déterminant du microbiote racinaire. En effet, la plante a besoin d’un microbiote racinaire qui est recruté à partir du microbiote environnant. Lorsque la richesse du microbiote des sols diminue, cela empêche la plante de recruter les meilleurs micro-organismes dont elle aurait besoin pour son pour son développement.

« L’appauvrissement du microbiote des sols conduit à des pertes en rendement. »

Finalement, avec un sol appauvri en microbiote, la plante n’est pas en mesure de recruter les meilleurs candidats. Ce qui a un impact sur la santé de la plante. L’appauvrissement du microbiote des sols conduit à des pertes en rendement.

La reconstitution du microbiote est-elle un moyen de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires, comme les pesticides et les engrais ? La méthode a-t-elle déjà fait ses preuves ?

Un écosystème plus riche va avoir un effet barrière par rapport aux pathogènes. Avec un microbiote du sol riche, les pathogènes ne vont pas trouver de niches où se reproduire dans le sol. De fait, le microbiote permet de repousser leur invasion.

Il n’existe pas encore de probiotiques destinés aux sols sur le marché. En revanche, on a pu constater que grâce au biocontrôle on préserve ou améliore le microbiote racinaire. De cette façon, les cultures résistent mieux aux pathogènes.

Concrètement, une fois que vous aurez réalisé une cartographie des bactéries du sol, comment allez-vous proposer des biostimulants microbiotiques destinés aux sols ? Sous quelle forme et à quel prix ?

Nous établissons une cartographie fonctionnelle. Elle vise à comprendre la diversité du microbiote dans les sols viticoles. On mesure l’étendue des dégâts et on voit quelles sont les fonctions du microbiote qui ont été les plus impactées. Nous cherchons aussi à identifier les bactéries clef de voûtes à restaurer dans un sol particulier. Établir cette cartographie fonctionnelle, qui va au-delà de la simple taxonomie sur les bactéries présente sou absentes, constitue la première étape nécessaire à notre travail.

« Un terroir que nous voulons restituer. »

Ensuite, nous identifions les bactéries porteuses des fonctions manquantes pour pouvoir restaurer ces écosystèmes. Elles prendront sans doute la forme d’une poudre que l’agriculteur pourra ensuite répandre sur son terrain. Nous ne pouvons pas encore communiquer sur les tarifs parce que nous sommes en train de développer le produit et d’affiner le modèle économique de la société.

Comment allez-vous concevoir les probiotiques ?

Nous utilisons des bactéries naturellement présentes dans les sols. Nous disposons d’échantillons de sol dits « contrôle » qui n’ont pas été traités. Nous allons en extraire les bactéries spécifiques dont nous avons besoin. Elles correspondent à un terroir que nous voulons restituer.  Puis, nous les mettons en culture afin d’obtenir le produit que les agriculteurs vont employer pour restaurer leurs sols.

Enfin, comment vous est venue cette idée ?

Il y a un an, je me suis demandé qu’elle était la meilleure façon d’utiliser mes connaissances et d’avoir un impact. Je me suis rendu compte que les microbiotes des sols étaient laissés pour compte. Les technologies et les techniques liées aux microbiotes déjà existants en pharma ne sont pas encore utilisées en agriculture, il y a une opportunité d’accompagner la transition agroécologique en cours. Changer les pratiques agricoles en respectant les principes de l’agroécologie permettra de reconstituer la biodiversité du microbiote des sols en 20 à 30 ans. Avec les stimulants bactériens probiotiques pour les sols, nous cherchons réduire ce délai en accélérant le retour à un microbiote plus riche et plus résilient.

On dispose aujourd’hui un retard dans l’application des technologies utilisés dans l’étude des microbiotes des sols par rapport aux microbiotes dans la santé humaine et animale. Ces 20 dernières années, on a développé des technologies très poussées. L’idée de Starfish est de développer des technologies déjà éprouvées en pharmacie pour concevoir des probiotiques destinés aux sols.

Propos recueillis par Julien Leprovost

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Un commentaire

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    • Francis

    Sandrine Claus a raison: jusque il y a une dizaine d’années, le concept de microbiote, autant du sol que de l’appareil digestif, était inconnu de la science officielle. Mais elle n’est pas la première à se placer sur ce marché. La thèse de Roland Pigeon publiée il y a 50 ans et l’expérience acquise depuis par les agriculteurs clients des Sté PRP et TMCE montre que apporter des « microbes » aux sols n’est pas la meilleure solution, il faut mieux utiliser des minéraux spécifiques qui stimulent la vie du sol, en particulier l’humification de la matière organique par les champignons saprophytes, par leur effet catalyseur.