Dans la mer Baltique, le hareng menacé par le réchauffement des eaux

harengs mer mer Baltique changement climatique

Contrôle des harengs sur un bateau de pêche au large de de Kotka, dans le sud de la Finlande, le 10 octobre 2023 © AFP Alessandro RAMPAZZO

Kotka (Finlande) (AFP) – Même à 84 ans, Holger Sjögren démêle agilement les noeuds de son filet de pêche qu’il fait ensuite descendre dans les profondeurs troubles de la Baltique.

Cinquième génération d’une famille de pêcheurs, M. Sjögren pêche depuis cinq décennies le hareng au large de Kotka, ville du sud-est de la Finlande.

Dans le port, des dizaines de clients fidèles attendent impatiemment son retour pour lui acheter, à bord même du bateau, la prise du jour.

Ce joyeux négoce risque de se faire plus rare.

Au fil des décennies, la mer Baltique, nichée entre les pays industrialisés d’Europe du Nord, est devenue l’un des écosystèmes marins les plus pollués de la planète.

En octobre, l’Union européenne a décidé de sabrer de 43% les quotas de harengs autorisés dans ces eaux en 2024.

Or, le hareng représente environ 80% des prises annuelles de poisson en Finlande.

« Beaucoup craignent de devoir jeter l’éponge », assure Holger Sjögren.

Disparition d’espèces

Avec des populations en chute libre depuis les années 1970, le hareng de la Baltique pourrait connaître le même sort que de nombreuses autres espèces qui ont presque disparu de la région.

La Baltique est caractérisée par des eaux peu profondes et donc particulièrement vulnérables au changement climatique.

Sa superficie est comparable à celle de la mer Noire, mais en volume, cette dernière contient jusqu’à 20 fois plus d’eau.

La hausse des températures et la baisse de la salinité -elle-même due à l’augmentation des précipitations et à la diminution de l’afflux d’eau en provenance de l’océan Atlantique- menacent de nombreuses espèces qui peinent à s’adapter.

« Plus la mer Baltique se transforme en lac, plus la situation sera néfaste pour les espèces marines », explique Jukka Pönni, chercheur à l’Institut finlandais des ressources naturelles (LUKE).

A mesure que la Baltique perd en salinité, de grandes espèces d’eau salée, telles que le cabillaud, souffrent de plus en plus.

Dans les années 1980, la population de morue atteignait des niveaux record mais elle s’est effondrée en l’espace de quelques décennies, à tel point que l’Union européenne a dû interdire d’urgence sa pêche en 2020.

L’esturgeon noir, autrefois abondant, a lui aussi disparu à cause de la pollution et de l’obstruction de ses rivières migratoires.

 « Effet inverse »

Si certains préconisent des réductions importantes des quotas de pêche pour préserver les populations restantes, d’autres ne sont pas du même avis.

« Même une interdiction totale n’aurait pas aidé (à préserver) la population. Cela aurait même eu l’effet inverse », affirme ainsi M. Pönni.

Selon le chercheur, ce sont le climat et les dégâts environnementaux qui, plus que la pêche, menacent les espèces.

Avec l’effondrement du cabillaud de la Baltique, le hareng se retrouve privé de son plus gros prédateur naturel.

Sans les pêcheurs, les populations pourraient, selon lui, devenir « trop denses et la croissance des individus s’en trouverait réduite » faute de nourriture suffisante.

Un argument rejeté par Matti Ovaska, en charge des questions de pêche au Fonds mondial pour la nature (WWF).

Si la pêche intensive continue à ce rythme, les populations de hareng risquent de diminuer, ouvrant la voie à d’autres espèces telles que le sprat, qui prendront le dessus et empêcheront les harengs de se reconstituer, expose-t-il.

« Il sera nécessaire de réduire la pêche », estime M. Ovaska.

La menace qui pèse sur ce poisson, très prisé des Finlandais qui le mangent à toutes les sauces, inquiète les consommateurs.

« Je mange du hareng toutes les semaines », lance à l’AFP Markku Karjalainen, sur la place du marché dans le centre de Helsinki grouillant de monde en cette journée d’automne.

Du hareng fermenté aux oignons et feuilles de lauriers au hareng fumé, le « silakka » est depuis des siècles un élément important de la tradition culinaire nordique.

Mais avec la multiplication des restrictions, il y a un risque que la pêche s’arrête définitivement. « Plus personne n’investira » dans ce secteur, s’alarme M. Pönni.

Pas de quoi pousser Holger Sjögren à abandonner ses filets.

« La politique européenne de la pêche dictée par Bruxelles devrait être complètement revue », souligne l’octogénaire, « et la tradition des pêcheurs devrait être respectée ».

© AFP

À lire aussi

Didier Gascuel, auteur de La pêchécologie, manifeste pour une pêche vraiment durable : « on a besoin d’une agroécologie de la mer »

Ecrire un commentaire