Trop gourmandes en eau, les fermes piscicoles d’Irak mises au régime sec

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Vue aérienne de fermes piscicoles asséchées à Al-Bou Moustafa, le 6 juillet 2023 dans le centre de l'Irak © AFP Ahmad AL-RUBAYE

Al-Bou Moustafa (Irak) (AFP) – Entouré de champs et de palmiers majestueux, Omar Ziad contemple ce qu’il reste de sa ferme piscicole: un terrain aride et craquelé. Les autorités irakiennes ont remblayé ses bassins d’élevage pour économiser l’eau, alors que l’Irak est confronté à une sécheresse dévastatrice.

L’Irak vit sa quatrième année de sécheresse consécutive. Et couvrir les besoins en eau potable et d’irrigation impose certains arbitrages. Pour préserver ses stocks, le gouvernement régule drastiquement certains usages et il s’est lancé dans une chasse aux pratiques illégales autrefois tolérées.

Dans sa ligne de mire depuis fin mai: les fermes piscicoles dont les propriétaires élèvent des poissons par milliers sans autorisation.

C’est ainsi que Omar Ziad a vu arriver dans son village d’Al-Bou Moustafa les fonctionnaires du ministère des Ressources hydriques.

Impuissant, il n’a pu que les observer remblayer les sept bassins de la ferme familiale.

« Je travaille dans ce secteur depuis 2003 », confie l’homme de 33 ans, également instituteur, dans la province de Babylone, dans le centre de l’Irak. « On était associé avec mon père et mes sept frères. On se partageait les revenus ».

Les bassins pouvant contenir 50.000 poissons rapportaient chaque mois entre 1.300 et 2.600 dollars à la famille. Ils élevaient des carpes, poisson que les Irakiens font griller pour préparer le « masgouf », plat-star de la cuisine irakienne.

« On fournissait du poisson bon marché », plaide Omar Ziad. Mais avec la fermeture des fermes piscicoles, le prix du kilo a plus que doublé, dépassant les 8.000 dinars (environ 5,5 euros), ajoute-t-il.

Vus du ciel, les lopins de terre asséchés s’alignent, soigneusement délimités par des chemins de campagne. La monotonie grisâtre de ce paysage est parfois rompue par un bassin d’eau solitaire qui a survécu à l’intervention du gouvernement.

Sur les 80 bassins piscicoles du village, seuls cinq ont été épargnés car leurs propriétaires avaient les autorisations nécessaires, selon M. Ziad.

 « Réserves stratégiques »

Dans le pays de 43 millions d’habitants, la situation hydrique est alarmante.

Le débit du Tigre et de l’Euphrate a chuté à des niveaux affolants à cause du manque de précipitations et de températures caniculaires, et aussi, selon Bagdad, à cause des barrages construits en amont par la Turquie et l’Iran.

« Les réserves stratégiques d’eau en Irak sont à leur niveau le plus bas » depuis près d’un siècle, avertit le porte-parole du ministère des Ressources hydriques, Khaled Chamal.

Mais le responsable admet que les Irakiens ont leur part de responsabilité en raison de « pratiques d’irrigation » très gourmandes en eau.

A l’en croire, la campagne contre les fermes piscicoles « en situation irrégulière » est justifiée car ces bassins « augmentent les surfaces d’eau sujettes à l’évaporation », provoquent des « infiltrations » dans le sol et sont à l’origine d' »une pollution environnementale ».

Sur les 5.000 fermes piscicoles « sans permis » que comptait l’Irak, la moitié ont été suspendues, indique M. Chamal à l’AFP. Il souligne toutefois que les autorités tolèrent les bacs de pisciculture mobiles, plongés dans le fleuve.

 « Abandonner la profession »

Tout en acceptant la disparition des fermes illégales, le président de l’Association irakienne des producteurs de poisson Ayad al-Talibi s’interroge: « l’eau récupérée a-t-elle bel et bien été exploitée? »

Avant la campagne lancée par les autorités en mai, l’Irak produisait près d’un million de tonnes de poissons par an. Mais la production a chuté à 190.000 tonnes depuis le début de la campagne, a-t-il assuré sur la télévision publique Al-Ikhbariya.

Selon lui, le secteur représentait deux millions d’emplois. « Toutes ces familles vont migrer vers les villes », met-il en garde.

Dans l’extrême sud de l’Irak, le défi c’est la salinité pour les pêcheurs du Chatt al-Arab, fleuve où se mêlent le Tigre et l’Euphrate avant de se jeter dans le Golfe.

Chaque été, le débit d’eau douce venu du nord s’amenuise, laissant l’eau de mer s’engouffrer dans le lit du fleuve.

Sur sa barque bercée par les eaux du Chatt al-Arab, Khdeir Aboud, 71 ans, se démène avec ses filets.

Autrefois l’eau douce charriait « tout type de poissons », se souvient le septuagénaire à la barbe blanche. « Mais avec l’eau salée, il ne reste plus rien ».

Aujourd’hui, sa prise lui rapporte difficilement sept dollars. « Ca ne fait pas vivre un foyer », lâche-t-il. « La plupart des pêcheurs ont abandonné la profession pour des petits boulots. Il ne reste plus que quelques vieux ».

© AFP

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