D’éleveurs de bétail à soigneurs face à la déforestation de l’Amazonie colombienne

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Deux petits singes dans la réserve naturelle de La Ñupana à Agua Bonita, San José del Guaviare, en Colombie, le 2 juin 2023 © AFP Raul ARBOLEDA

San José del Guaviare (Colombie) (AFP) – Deux pumas tout juste nés et un porc-épic convalescent se partagent une pièce dans la maison de la famille Zapata, qui a définitivement abandonné il y a une dizaine d’années l’élevage de bétail pour se consacrer aux animaux de la jungle colombienne victimes de la déforestation.

« Quand on est arrivé, il n’y avait pas un seul ver de terre, le sol était complètement compacté », explique à l’AFP Dora Sanchez qui avec son mari et leur fille, gère la réserve Ñupana dans le département de Guaviare, dans le sud de la Colombie.

« J’ai commencé à faire des expériences, à mettre en place des systèmes agroforestiers et on a commencé à constater que la forêt se transformait, que la faune revenait », explique cette ingénieure en agroforesterie de 48 ans. « Peu à peu, ma famille a compris qu’il s’agissait d’un bon processus », ajoute-t-elle, un renard et un singe avec une patte en moins jouant à ses côtés.

C’est en 2012 que la famille rompt définitivement avec la tradition de l’élevage dans la région, qui oblige à défricher des parcelles de forêt pour les convertir en pâturages. Lors de son installation dans le secteur, en 1997, la plupart des nouveaux arrivants pratiquaient l’élevage ou la culture de la feuille de coca, matière première pour la fabrication de la cocaïne, dont la Colombie est le premier producteur mondial. Dans les deux cas, la forêt était sacrifiée.

Victimes collatérales

Désormais, la famille travaille main dans la main avec le gouvernement local pour la réhabilitation de la faune. Une soixantaine d’animaux, du tatou à l’ocelot en passant par les pumas et le porc-épic, sont soignés dans la réserve.

La plupart ont été confisqués à des personnes qui les gardaient comme animaux de compagnie ou qui s’apprêtaient à les vendre. D’autres, comme les petits pumas, sont des victimes collatérales de la déforestation dans un département qui a perdu 25.000 hectares de forêt en 2021.

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« Cette ferme était entièrement dédiée à l’élevage de bétail : 56 hectares, dont seulement 12 de forêt fortement exploitée », souligne la mère de famille, qui a progressivement replanté des arbres.

Finalement, « on s’est dit: +Plus d’élevage de bétail ! Nous choisissons la forêt, les arbres+ », se souvient-elle. Aujourd’hui, la forêt s’étend sur 40 hectares et les touristes visitent son sentier écologique. Certains « adoptent » un animal et contribuent ainsi à son entretien.

Samantha Zapata, la fille du couple, est à la fois heureuse et triste lorsqu’elle nourrit au biberon les petits pumas âgés de deux semaines. « Ils sont très mignons (…) mais on est aussi tristes parce que leur mère a été tuée », déplore cette étudiante en agronomie de 23 ans.

Vivre en cage »

Les deux bébés tiennent quasiment dans une main, mais dans quelques mois en perdant les taches de leur fourrure, ils deviendront le deuxième plus grand félin des Amériques après le jaguar.

Comme la plupart des animaux de la réserve, ils ont été sauvés par la Corporation pour le développement durable de l’Amazonie du Nord et de l’Est (CDA), l’autorité environnementale locale.

Une femme de la municipalité de Calamar, à quelque 80 kilomètres de là, les a trouvés dans la forêt « avec le cordon ombilical, les yeux encore fermés (…) couverts de fourmis et de feuilles mortes », raconte Adolfo Bravo, vétérinaire de l’organisation. « On suppose que (la mère est morte) à cause du braconnage », avance-t-il.

Dora Sanchez dénonce la déforestation: « Les gens ont commencé à étendre la frontière agricole, à envahir le territoire des félins. Dans certaines zones, ils ont été laissés comme sur des îlots. Que fait le félin? Il chasse à la frontière et ils le tuent ».

Pour l’instant, les deux petits pumas s’alimentent d’une préparation proche du lait maternel. « A 4/5 mois, nous commencerons à leur donner de la viande (…) et des proies vivantes pour qu’ils apprennent à chasser », explique Samantha Zapata, disant espérer qu’ils « ne seront pas tristement condamnés à vivre en cage ».

Pour son père, Hector Zapata, 57 ans, « pouvoir les guider pas à pas vers une libération précoce ou future est l’un des défis les plus difficiles que nous ayons à relever ».

© AFP

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