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La moitié du phosphore disponible présent dans les sols agricoles au niveau mondial est d’origine humaine

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Mines de phosphates de Khourigba, Sidi Chennane, région de Béni Mellal Khénifra, province de Khouribga, Maroc (32°40'1.59" N - 6°42'58.43" O)© Yann Arthus-Bertrand

Près de 47 % du phosphore disponible présent dans les sols agricoles au niveau mondial provient de l’utilisation des engrais minéraux. « Notre travail met en évidence le fait que notre production de nourriture est très dépendante des engrais minéraux de synthèse. Or, il va falloir apprendre à s’en passer », résume Joséphine Demay, scientifique qui travaille sur le phosphore dans l’agriculture. En effet, une partie importante de l’agriculture mondiale dépend des engrais phosphatés de synthèse puisque le phosphore contribue au développement des plantes pour lesquelles il est un nutriment essentiel. Les engrais minéraux à base de phosphore sont issus de l’extraction des roches phosphatés transformés en engrais. Leur usage s’est généralisé depuis les années 1950 avec la Révolution Verte (mouvement d’intensification de la production agricole reposant sur les produits phytosanitaires et les fertilisants de synthèse). Cependant, depuis des années, les scientifiques alertent sur des risques de pénurie d’engrais phosphatés d’ici la fin du siècle en raison de la surexploitation de la ressource. Ils prévoient « un pic du phosphore » avant 2050.

Le phosphore une ressource inégalement répartie

C’est dans ce contexte qu’une étude de chercheurs de l’INRAE (l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et de Bordeaux Sciences Agro publiée en janvier 2023 dans la revue Nature Geoscience a évalué la proportion de phosphore d’origine humaine dans sols du monde entier. « À l’échelle globale, la signature anthropogénique du phosphore disponible des sols agricoles est autour de 47% (à plus ou moins 8%), suggérant que la moitié de la fertilité actuelle en phosphore des sols provient du recours aux engrais minéraux », résume l’INRAE dans un communiqué. Il souligne également que « les résultats mettent en évidence de fortes disparités à la fois spatiales et temporelles dans la dépendance des pays aux engrais minéraux phosphatés. » Comme l’eau, le phosphore est une ressource indispensable à la croissance des êtres vivants, non-renouvelable et inégalement répartie. Certains pays disposent donc de phosphore en abondance dans leurs sols, que ce soit naturellement ou grâce aux engrais, tandis que d’autres en manquent.

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Joséphine Demay, doctorante à Bordeaux Sciences Agro et co-auteure de l’étude explique : « en fait, le phosphore est un minéral qui va se stocker dans le sol s’il est apporté en excès par rapport aux besoins des cultures. Or pendant longtemps, on a beaucoup plus fertilisé les sols en phosphore, notamment avec des engrais minéraux, que ce qui était prélevé par les plantes. C’est pour cela qu’on trouve aujourd’hui des sols avec une forte signature en phosphore anthropogénique ». Toutefois, la présence de phosphore ne garantit pas que les cultures en bénéficient. « Dans de nombreux pays du monde, s’il n’y a plus d’engrais phosphatés, cela poserait des problèmes pour les rendements agricoles. Certains sols, comme c’est le cas Amérique du Sud, ont un pouvoir fixateur fort. Le phosphore s’adsorbe sur la phase solide du sol en se combinant notamment avec des oxydes de fer ou d’aluminium et n’est alors plus disponible pour les cultures. Ceci explique que dans certaines zones les engrais minéraux soient parfois nécessaires à la production agricole.»

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Ainsi, dans les pays d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord, plus de 60 % du phosphore présent dans les sols provient du recours massif aux engrais minéraux phosphatés entre les années 1950 et 1970. A l’inverse dans les pays d’Afrique et d’Océanie, ces taux demeurent inférieurs à 30 % en 2017. Joséphine Demay met en perspective ces données avec le pic de phosphore qui devrait renchérir le prix des engrais : « les pays d’Afrique ont des sols relativement pauvres en phosphore du fait d’une moindre fertilisation. Or, dans ces zones-là, la question de l’accessibilité et donc du prix des engrais minéraux phosphatés est cruciale pour les agriculteurs. » Les auteurs de l’étude notent que des solutions adaptées au contexte local existent afin de mieux employer le phosphore.

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Légende de la carte Signature anthropogénique du phosphore disponible des sols agricoles à l’année 2017. Les pays en gris et gris hachuré ne sont pas considérés par manque de données et par mauvaise performance du modèle, respectivement. Carte DR INRAE

Recycler et mieux utiliser le phosphore

En France, la signature anthropogénique du phosphore disponible des sols agricoles à l’année 2017 est de 71 %. Cela ne dispense pas le pays de travailler afin de ne pas gaspiller une « ressource dont l’utilisation n’est pourtant pas durable » pour reprendre les termes de l’INRAE. Elle préconise de diversifier les cultures dans le temps : « certaines espèces cultivées, comme le lupin blanc ou le sarrasin, permettent de mobiliser le phosphore fortement lié à la phase solide des sols et ainsi d’augmenter la disponibilité pour les différentes cultures de la rotation. De plus, il est urgent dans ces pays de préserver la fertilité acquise en phosphore des sols en limitant l’érosion des sols (par exemple avec des couverts végétaux ou le retour des haies dans les paysages agricoles) et en favorisant le recyclage des matières organiques (effluents d’élevage, boues de stations d’épuration, etc..). »

« La France dispose de stocks de phosphore disponibles très importants dans ses sols », rappelle Joséphine Demay. C’est pourquoi « il faut diminuer l’importation d’engrais minéraux de synthèse et se tourner vers le recyclage du phosphore, notamment en récupérant celui présent dans les boues de stations d’épuration. Toute la nourriture qu’on consomme en tant qu’humain contient du phosphore, pourtant seulement la moitié retourne sur les sols agricoles. L’autre moitié est perdue. »

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Enfin, renouer avec des pratiques agroécologiques présente un intérêt pour la préservation de la fertilité, notamment en phosphore. Joséphine Demay détaille : « ce qui compte, c’est de ne pas perdre le phosphore déjà présent dans les sols » L’érosion est un des facteurs de déperdition du phosphore et donc de fertilité. La scientifique suggère de « mettre en place des pratiques agricoles qui limitent l’érosion comme l’implantation de haies ou la mise en place de couverts végétaux. Ces pratiques permettent de protéger la fertilité acquise en phosphore. »

Julien Leprovost

Pour aller plus loin,
regarder l’intervention de Jospéhine Demay à Ma Thèse en 180 secondes

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