Englouti par les eaux, un Etat est-il voué à être rayé de la carte?

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La capitale des Maldives, Malé, en septembre 2013 © AFP Roberto SCHMIDT

Nations unies (Etats-Unis) (AFP) – Si la mer engloutit les Maldives ou les Tuvalu, efface-t-elle le pays de la carte et ses citoyens avec? Cette perte inconcevable infligée par le changement climatique représente un écueil inédit pour la communauté internationale et les peuples menacés de perdre jusqu’à leur identité.

« C’est la plus grande tragédie qu’un peuple, qu’un pays, qu’une nation puisse affronter », lance à l’AFP l’ancien président des Maldives Mohamed Nasheed.

Selon les experts climat de l’ONU (Giec), le niveau de la mer a déjà gagné 15 à 25 cm depuis 1900 et la hausse s’accélère, avec un rythme encore plus rapide dans certaines zones tropicales.

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Ainsi, si la hausse des émissions se poursuivait, les océans pourraient gagner près d’un mètre supplémentaire autour des îles du Pacifique et de l’océan Indien d’ici la fin du siècle.

Cela reste certes en-dessous du point culminant des petits Etats insulaires les plus plats mais la montée des eaux va s’accompagner d’une multiplication des tempêtes et des vagues-submersions: l’eau et la terre seront contaminées par le sel, rendant nombre d’atolls inhabitables bien avant d’être recouverts par la mer.

Selon une étude citée par le Giec, cinq Etats (les Maldives, les Tuvalu, les Iles Marshall, Nauru et Kiribati) risquent ainsi de devenir inhabitables d’ici 2100, créant 600.000 réfugiés climatiques apatrides.

 « Fiction légale »

Une situation inédite. Des Etats ont bien sûr été rasés de la carte par des guerres. Mais « nous n’avons jamais vu un Etat perdre complètement son territoire en raison d’un événement physique comme la montée de l’océan », note Sumudu Atapattu, de l’université de Wisconsin-Madison.

Or la Convention de Montevideo de 1933 sur les droits et les devoirs des Etats, référence en la matière, est claire: un Etat est constitué d’un territoire défini, d’une population permanente, d’un gouvernement et de la capacité à interagir avec d’autres Etats.

Alors si le territoire est englouti, ou que plus personne ne peut vivre sur ce qu’il en reste, au moins un des critères tombe.

Mais « le concept d’Etat est une fiction légale créée pour les besoins du droit international. Alors nous pourrions créer une nouvelle fiction pour inclure ces Etats déterritorialisés », plaide Sumudu Atapattu.

C’est d’ailleurs l’idée derrière l’initiative « Rising Nations » lancée en septembre par plusieurs gouvernements du Pacifique: « Convaincre les membres de l’ONU de reconnaître notre nation, même si nous sommes submergés par les eaux, parce que c’est notre identité », expliquait à l’AFP le Premier ministre des Tuvalu Kausea Natano.

Certains réfléchissent déjà au mode d’emploi de ces Etats-Nations 2.0. « Vous pourriez avoir le territoire quelque part, la population ailleurs et le gouvernement à un troisième endroit », explique à l’AFP Kamal Amakrane, directeur du Centre pour la mobilité climatique à l’Université Columbia.

Cela nécessiterait d’abord une « déclaration politique » de l’ONU, puis un « traité » entre l’Etat menacé et un « Etat hôte », prêt à accueillir le gouvernement en exil dans une sorte d’ambassade permanente et sa population qui aurait alors une double nationalité.

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L’ancien responsable onusien attire aussi l’attention sur une ambiguïté de la Convention de Montevideo: « Quand on parle de territoire, est-ce la terre ferme ou un territoire maritime? ».

 « Des humains ingénieux »

Grâce à ses 33 îles éparpillées sur 3,5 millions de km2 dans le Pacifique, Kiribati, minuscule en termes de surface terrestre, possède l’une des zones économiques exclusives (ZEE) les plus grandes au monde.

Si cette souveraineté maritime était préservée, alors un Etat ne disparaitrait pas, assurent certains experts.

Alors que certains îlots sont déjà engloutis et que les rivages reculent, geler les ZEE permettrait d’abord de préserver l’accès à des ressources capitales.

Dans une déclaration d’août 2021, les membres du Forum des îles du Pacifique, dont Australie et Nouvelle-Zélande, ont d’ailleurs « proclamé » que leurs zones maritimes « continueraient à s’appliquer, sans réduction, nonobstant tout changement physique lié à la hausse du niveau de la mer ».

Mais, dans tous les cas, certains n’envisagent tout simplement pas de quitter leur pays menacé.

« Les humains sont ingénieux, ils trouveront des moyens flottants pour continuer à vivre là », affirme Mohamed Nasheed, évoquant des villes flottantes.

Mais ces Etats n’ont pas les ressources pour de tels projets. La question du financement des « pertes et préjudices » causés par les impacts du réchauffement sera d’ailleurs un point brûlant de la COP27 en Egypte en novembre.

Même en défendant « le droit de rester » et de ne pas abandonner sa terre et « son héritage », « il faut toujours un plan B », insiste de son côté Kamal Amakrane.

Dans cette optique, il appelle à lancer « dès que possible » un processus « politique » pour préserver les futurs Etats inhabitables, « pour donner de l’espoir aux populations ».

Parce que l’incertitude actuelle « crée de l’amertume et du désarroi, et avec ça, on tue une nation, un peuple ».

© AFP

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