Le nouveau rapport de l’IPBES sur l’ampleur de l’exploitation des espèces sauvages par l’humanité et la nécessité de les préserver

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Éléphants de mer - Près du Cap de la Bonne Espérance République Sud Africaine - Province du Cap © Yann Arthus-Bertrand

L’humanité utilise plus de 50 000 espèces sauvages pour se nourrir, se chauffer ou se soigner, mais les scientifiques estiment qu’à peine 34 % d’entre elles sont exploitées de façon durable. Ces données proviennent du nouveau rapport d’évaluation de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, l’équivalent du Giec pour la biodiversité) Comment les êtres humains peuvent-ils bénéficier des espèces sauvages de manière durable ? (le communiqué en anglais) publié vendredi 8 juillet. Sa publication intervient dans un contexte marqué par l’érosion rapide de la biodiversité et la crise climatique qui y contribue fortement.  Ses auteurs rappellent que l’exploitation des espèces sauvages est le second facteur d’érosion de la biodiversité derrière la destruction des milieux et avant le changement climatique. « La surexploitation est l’une des principales menaces pour la survie de nombreuses espèces sauvages terrestres et aquatiques », affirme le professeur John Donaldson, un des 85 experts qui a rédigé ce rapport. « S’attaquer aux causes de l’utilisation non durable et, dans la mesure du possible, inverser ces tendances bénéficiera aux espèces sauvages ainsi qu’aux personnes qui en dépendent. »

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« La surexploitation est l’une des principales menaces pour la survie de nombreuses espèces sauvages. »

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Une utilisation massive du vivant mise en lumière par l’IPBES

Le rapport de l’IPBES souligne le fait que 1 personne sur 5 dépend des espèces sauvages pour se nourrir ou en tire directement des revenus. En effet, ce ne sont pas moins de 10 000 espèces sauvages qui sont exploitées dans l’alimentation humaine, qu’elles soient cueillies pour les végétaux, chassées pour les animaux ou pêchées. « Avec environ 50 000 espèces sauvages utilisées par le biais de différentes pratiques, dont plus de 10 000 espèces sauvages récoltées directement pour l’alimentation humaine. Les populations rurales des pays en développement sont les plus susceptibles de recourir à des pratiques non durables, l’absence de solutions de substitution les contraignant souvent à exploiter davantage les espèces sauvages déjà menacées » explique Jean-Marc Fromentin, qui a contribué au rapport de l’IPBES. Il s’avère que 70 % des populations pauvres dans le monde dépendent directement des espèces sauvages et des activités qu’elles favorisent.

« 1 personne sur 5 dépend des espèces sauvages pour se nourrir ou en tire directement des revenus. »

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50 000 espèces sauvages utilisées par l’humanité

Derrière ce chiffre de 50 000 espèces sauvages se cache grande diversité, comme l’explique l’IPBES. Il y a 31 400 espèces de plantes sauvages dont 7400 d’arbres. L’IPBES recense 1500 de champignons utilisés par l’être humain. À cela s’ajoutent 7 500 espèces aquatiques sauvages (poissons et invertébrés), 1 700 espèces d’invertébrés terrestres sauvages, 7 500 espèces d’amphibiens, de reptiles, d’oiseaux et de mammifères sauvages. Concrètement, selon Marla R. Emery, une des auteurs du rapport, « 70 % des populations pauvres de la planète dépendent directement des espèces sauvages. Pour une personne sur cinq, les champignons, les algues et les plantes sauvages constituent des sources d’alimentation et de revenu ».

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Ainsi, la pêche artisanale fait vivre plus de 100 millions de personnes dans le monde, mais leurs moyens de subsistance sont menacés par la pêche industrielle. 90 millions de tonnes de poissons sont pêchés chaque année et on estime qu’un tiers des pêcheries sont surexploitées.

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Le rapport rappelle également que 2,4 milliards de personnes dans le monde, toujours parmi les plus démunis peinent à accéder à une énergie bon marché propre et dépendent encore du bois pour cuisiner ou chauffer. C’est un des facteurs de la déforestation. Près d’un milliard de personnes n’ont pas accès à l’électricité. Une des conséquences de la pauvreté et la précarité est que la moitié du bois collecté dans le monde sert à produire de l’énergie, et ce chiffre monte à 90 % en Afrique. De façon plus générale, cela contribue au fait que l’exploitation forestière non durable menace la survie de 12 % des espèces sauvages d’arbres.

Matthieu Jousset, directeur du pôle Action Carbone Solidaire de la Fondation GoodPlanet, qui développe depuis 15 ans des projets d’accès aux énergies propres pour lutter contre la déforestation, commente cet aspect du rapport : « il est urgent dans ce contexte de proposer, en priorité dans les pays d’Afrique subsaharienne, des alternatives reposant sur l’efficacité énergétique ou les énergies renouvelables pour réduire la consommation du bois dans la vie quotidienne. Ce dernier sert pour la cuisson, l’accès à l’eau potable et pour l’hygiène. Dans le même temps, cela contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre, a des impacts positifs sur la santé des populations et améliore leurs conditions de vie. »

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La question de la chasse est abordée et montre les ambiguïtés de la pratique qui, d’un côté contribue à l’approvisionnement en viande de certains foyers tandis que, de l’autre, la pratique participe à la diminution des populations d’animaux sauvages, notamment parmi les grands mammifères. L’IPBES appelle en conséquence à s’orienter vers une chasse plus durable basée sur la connaissance des espèces et la lutte contre le braconnage.

Un monde moins sauvage ?

Le rapport relève un fait qui devrait interroger notre rapport au vivant et à ce que nous consommons: l’essor des débouchés pour les produits d’origine sauvage associé aux règlementations conduit à un glissement de leur production du prélèvement dans la nature vers les plantations et l’élevage. Les auteurs écrivent que « depuis 40 ans, le commerce de nombreuses espèces sauvages a été remplacé ou a été complété par le commerce issus des mêmes espèces végétales ou animales sauvages dorénavant élevées ou cultivées dans des fermes. » C’est notamment le cas pour les poissons, les amphibiens, les plantes et les oiseaux. Ainsi, la moitié de ces produits commercialisés viennent désormais d’élevages ou de fermes. Ce qui peut réduire l’impact des prélèvements dans la nature, mais aussi susciter une offre qui autrement n’existait pas. Les auteurs pointent les risques d’une telle évolution, produire par l’agriculture et l’élevage des espèces sauvages, accroît les risques liés aux espèces envahissantes et aux zoonoses.

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Mieux préserver les espèces sauvages

Les scientifiques de l’IPBES ne se cantonnent pas à un constat sur l’érosion du vivant. Ils notent des signes positifs comme des progrès dans la prise de conscience face aux trafics d’espèces sauvages. Toutefois, ces derniers demeurent lucratifs puisqu’ils rapportent aux criminels 199 milliards de dollars. Les trafics d’espèces sauvages se classent au 3e rang des trafics internationaux illégaux en valeur.

Les chercheurs soulignent cependant le rôle de la biodiversité dans l’économie sans que cela se fasse au détriment de l’environnement. Bien au contraire, préserver la biodiversité peut même devenir un levier économique. Le tourisme d’observation de la faune et de la flore sauvage a ainsi généré des revenus colossaux. Ils écrivent : « le tourisme d’observation des espèces sauvages est l’une des principales raisons pour lesquelles, avant la pandémie de COVID-19, les aires protégées du monde entier recevaient 8 milliards de visiteurs et généraient 600 milliards de dollars. ». Les chercheurs de l’IPBES appellent donc à trouver de nouvelles manières de concilier les activités humaines et la préservation des espèces sauvages, ou, tout simplement, à réapprendre à exploiter durablement les ressources naturelles.

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Les scientifiques de l’IPBES rappellent aussi que la biodiversité est une composante essentielle de l’identité et de la culture, surtout chez les peuples indigènes. Le rôle des communautés indigènes dans la conservation et le bon usage des ressources fournies par la nature est mis en avant et devrait nous inspirer. « La bonne gestion de la biodiversité par les peuples autochtones est souvent intégrée dans les pratiques, la spiritualité et les savoirs locaux », déclare Marla R. Emery qui a pris part à la rédaction de ce rapport. « L’utilisation durable des espèces sauvages est un élément central de l’identité et de l’existence de nombreux peuples autochtones et communautés locales. Leurs pratiques et leurs cultures sont variées, mais affichent des valeurs communes, dont l’obligation de traiter la nature avec respect, d’avoir un sens de la réciprocité, d’éviter le gaspillage, de gérer les récoltes et de d’assurer une distribution juste et équitable des contributions des espèces sauvages au bien-être de la communauté. À l’échelle mondiale, la déforestation est généralement plus faible sur les territoires autochtones. »

« L’augmentation de la population humaine et de la consommation augmenteront la pression sur les espèces sauvages. »

L’IPBES montre aussi la complexité des questions de biodiversité et leurs liens avec le climat. Les chercheurs notent que paradoxalement la technologie peut jouer un rôle dans la préservation du climat et des écosystèmes ou bien contribuer à leur dégradation. Ils soulignent aussi que dans les usages des espèces sauvages, au cœur de leurs travaux : « la demande est liée aux tendances démographiques et économiques. L’augmentation de la population humaine et de la consommation augmenteront la pression sur les espèces sauvages. »

Enfin, l’élaboration a pris 4 ans à 85 scientifiques qui ont épluché plus de 6 200 études. Il est publié à quelques mois d’un important cycle de négociations internationales sur la biodiversité dans le cadre de la COP15 de la Convention sur la Biodiversité. Elle doit se tenir en décembre 2022 au Canada et doit conduire les pays du monde entier à prendre des engagements plus amitieux que jamais en faveur la biodiversité. Ce qui fait dire à Anne Larigauderie, Secrétaire exécutive de l’IPBES : « elle présente également un intérêt immédiat pour la Convention sur la diversité biologique qui œuvre à l’établissement d’un nouveau cadre mondial de la biodiversité pour la prochaine décennie, ne serait-ce que par la mise en avant du potentiel inexploité de l’utilisation durable des espèces sauvages pour contribuer encore davantage à un grand nombre d’Objectifs de Développement Durable.  L’utilisation durable des espèces sauvages est cruciale pour toutes les personnes et toutes les communautés. Ce rapport aidera les décideurs du monde entier à adopter des politiques et des mesures qui servent au mieux les intérêts des êtres humains et de la nature. »

Julien Leprovost

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Le site Internet de l’IPBES

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