Totnes (Royaume-Uni) (AFP) – Concentrés, têtes baissées, trois employés de Moor Trees, une pépinière du sud-ouest de l’Angleterre, écossent des gousses de graines rouges et les jettent une à une dans un grand seau. D’abord mises en pot, celles qui auront germé seront transplantées dans le sol au bout de deux ans.
Avec l’urgence climatique, planter des arbres est à la mode et parfois vu comme une solution miraculeuse par les États ou les entreprises pour capter du CO2 ou embellir leur bilan carbone.
A raison ou à tort, car cela reste un processus long, compliqué et qui ne doit pas occulter la nécessaire coupe des émissions polluantes.
« Il y a quelques années nous faisions grandir 6.000 arbres par an, maintenant c’est 15.000 et nous voulons passer à 25.000 », raconte Adam Owen, directeur de Moor Trees.
« Depuis trois ans, je n’ai pas eu à solliciter une seule personne pour savoir si nous pourrions planter des arbres pour eux. Ce sont les gens qui viennent nous chercher », ajoute-t-il, en passant dans des rangées bien alignées de plants de hêtres, protégés des rongeurs par des filets.
Les financements affluent de toutes parts: fonds gouvernementaux, donations d’entreprises ou de particuliers.
Chez Eden Project, autre ONG de reforestation, le budget est passé de « cinq millions de dollars en 2019 à 26 millions » cette année avec une expansion de leur activité dans huit pays, explique son directeur, Stephen Fitch. Ils espèrent lever 120 millions en 2023.
Le Royaume-Uni a beaucoup de retard à rattraper : seulement 13% du territoire britannique est couvert de bois et forêts contre 31 à 50% en moyenne en Europe.
Le gouvernement vise 30 millions d’arbres plantés par an à partir de 2025.
Mais cet objectif ambitieux risque d’être compliqué par la difficulté de trouver des terrains : beaucoup sont déjà construits, cultivés ou comportent des habitats à protéger, comme la tourbe ou les marais, autres puits de carbone naturels.
Les graines elles-mêmes manquent : il faut souvent en importer, notamment des Pays-Bas où l’horticulture est une industrie de premier plan – mais elles font alors courir le risque d’importer microbes ou bactéries.
Moor Trees milite ainsi pour la reforestation à partir de graines d’arbres locaux, adaptés au terroir britannique.
« Les arbres ont un rôle important à jouer pour retirer du carbone de l’atmosphère, il n’y a pas d’autre moyen » rapide de « séquestrer du carbone », souligne Luke Barley, consultant pour le National Trust, organisation publique de défense du patrimoine et des parcs naturels britanniques.
« Dernière lubie »
Mais il s’inquiète des risques de « greenwashing » : des pays ou des entreprises pourraient être tentés de planter des arbres pour soigner leur image tout en repoussant leurs efforts pour véritablement trancher dans leurs émissions de CO2.
« Il n’est pas acceptable pour une organisation de continuer à fonctionner comme si de rien n’était, en se contentant de compenser ses émissions à travers les plantations d’arbres », insiste-t-il.
En particulier, pendant que l’attention se porte sur les nouveaux arbres qui ne séquestreront des quantités significatives de carbone que dans 20 ans, la déforestation des forêts tropicales continue, dénonce-t-il, dans un entretien à l’AFP.
Adam Owen s’agace aussi de ce que les arbres soient devenus « la dernière lubie » sur laquelle les décideurs politiques se précipitent après avoir mis l’accent ces dernières décennies sur la production alimentaire agricole, puis les biocarburants.
Or, souligne-t-il, planter des arbres demande du temps, beaucoup d’argent, et donc une visibilité à long terme.
Les pépinières de petite échelle ne seront pas à même de relever seules le défi.
Certaines fermes se lancent dans cette activité, nouvelle source de revenus notamment pour les éleveurs à l’heure où la consommation de viande chute au Royaume-Uni.
Adam Owen fait cependant valoir que la vocation d’organisations à but non lucratif comme la sienne est également de créer du lien social.
Et Briony James, directrice des actions publiques chez Moor Trees, dit avoir vu « une augmentation notable des bénévoles ces dernières années », qui jouent « un rôle crucial, car planter des arbres prend beaucoup de temps ».
Une fois qu’il savent comment planter, ils peuvent le faire chez eux « et contribuer à la reforestation » de leur région, assure-t-elle.
© AFP
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